L’auteur a été journaliste, puis sénateur. Il est aujourd’hui directeur à la firme nationale de conseil stratégique Navigator et senior fellow à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.
Au lendemain de la chicane Barrette-Montpetit et de l’expulsion de Marie Montpetit du caucus, des commentateurs soutiennent que le Parti libéral du Québec est « en crise ». Est-ce exact ? Si oui, de quelle nature est cette crise ?
Je ne dispose pas, comme les journalistes, de nombreuses sources au sein du PLQ. Je suis « libéral » au sens philosophique du terme, mais je ne milite pas pour le parti. Mes commentaires sont donc strictement personnels et reflètent ma perception de la situation, vue de l’extérieur.
En crise, les libéraux du Québec ? Je dirais plutôt que le parti est à la dérive. Il navigue à vue, loin de son port d’attache. Et plus il s’en éloigne, moins ses militants se reconnaissent en lui.
Depuis deux ans, le PLQ a pris deux virages audacieux : l’un vers la gauche, l’autre vers le nationalisme. Si je comprends bien l’objectif de ce positionnement, il vise à regagner la sympathie de l’électorat francophone, ce dernier s’étant à ses yeux « égaré » chez Québec solidaire (la gauche) et à la Coalition Avenir Québec (le nationalisme).
Ces deux virages, opérés à vive allure, comportent des risques importants. Un parti politique a rarement avantage à imiter les autres. Les électeurs ne sont pas dupes ; ils vont choisir l’original plutôt que la copie, tandis que la base de la formation se retrouvera orpheline et désertera le navire. Ainsi, les derniers sondages et les résultats du financement confirment que, malgré sa campagne de séduction auprès des nationalistes francophones, le PLQ stagne.
L’immense popularité de la CAQ de François Legault, dopée par la pandémie, est évidemment la principale cause de cette situation. Mais ce n’est pas la seule.
Oui, le Parti libéral doit se renouveler et présenter un programme original. Mais ces changements doivent se faire en conformité avec les principes fondateurs du parti. Sinon, à quoi bon faire de la politique ?
Les valeurs libérales
Rappelons ces principes qui insufflent son énergie, sa cohérence et sa résilience au courant libéral au Québec :
1. Le libéralisme. Il s’agit de défendre la liberté des Québécois de penser, de s’exprimer, de militer, de s’organiser, de vivre leur vie privée, de gagner leur vie, de pratiquer leur religion, sans être tourmentés par l’État.
Cela dit, le Parti libéral du Québec n’est pas libéral à tout crin. Depuis toujours, son libéralisme est infléchi par les conditions d’existence de la nation québécoise et par le pragmatisme propre aux gens d’action.
2. En matière d’économie, sont libéraux ceux et celles qui croient que la liberté d’entreprendre est la meilleure garante de la créativité et de la prospérité. Pendant des décennies, les libéraux québécois ont spontanément attiré les plus grandes compétences économiques. Il est vrai qu’ils ne peuvent plus prétendre à ce monopole. Mais l’approche Legault est foncièrement dirigiste, avec les dérives que cela produit parfois. Il y a là matière à livrer une opposition constructive. Et c’est ici, notamment, que Dominique Anglade doit rassembler une équipe renouvelée, d’une crédibilité blindée.
3. La confiance et l’ouverture. Le Parti libéral aborde l’avenir autrement que les partis nationalistes exaltés. Le PLQ est nationaliste, bien sûr. Mais la nation québécoise, il la voit confiante en ses moyens, et cette confiance la rend ouverte au monde et à la diversité, que les Québécois considèrent comme des atouts et non comme des menaces. C’est ainsi que beaucoup de libéraux examinent avec un certain scepticisme l’idée du déclin du français, alors qu’une étude attentive des données à ce sujet — voir par exemple l’article de Jean-Pierre Corbeil dans Le Devoir du 5 octobre 2021 — amène à conclure que les choses sont loin d’être aussi noires que le font croire les prophètes de la disparition.
C’est également la confiance en la nation québécoise qui porte les libéraux à accueillir l’immigration à bras ouverts, tout en mettant en place les conditions qui favoriseront leur intégration. Déjà, l’entente Gagnon-Tremblay–McDougall de 1991 (l’accord Canada-Québec relatif à l’immigration) ouvrait la voie à ce que le Québec reçoive plus d’immigrants que le pourcentage de sa population par rapport à la population totale du pays. Nous sommes loin du compte, et c’est ce qui explique la perte de poids démographique du Québec au sein de la fédération, dont s’émeuvent tant ceux qui, pourtant, en sont responsables.
4. L’appartenance canadienne. Le PLQ est le seul parti pour qui l’appartenance à la fédération canadienne est un atout plutôt qu’un pis-aller. Non seulement, aux yeux des libéraux québécois, l’appartenance au Canada est avantageuse pour le Québec, mais il faut participer, investir le Canada pour faire évoluer la formule fédérale et en tirer pleinement profit.
Libéralisme politique et économique, confiance, appartenance canadienne : tel est l’ancrage du Parti libéral du Québec. Bien sûr, ces principes se conjuguent différemment selon les époques et les circonstances ; nous sommes en politique, pas en religion. Mais la formation s’égare chaque fois qu’elle néglige ses valeurs fondamentales.
Le projet de loi 96 et le mépris des droits
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Cela veut dire, par exemple, que le Parti libéral n’aurait pas dû applaudir lors du dépôt du projet de loi 96 (la réforme de la loi 101). Certainement, il faut continuer d’agir pour promouvoir l’usage du français au Québec ; certaines des mesures proposées peuvent être utiles. Mais le projet de loi est problématique à plusieurs égards. D’abord, son article 118, qui prévoit une disposition de dérogation extraordinairement large. En effet, le texte met de côté l’essentiel des droits fondamentaux protégés non seulement par la Charte canadienne des droits et libertés, mais aussi par les 38 premiers articles de la Charte (québécoise) des droits et libertés de la personne.
Parmi les droits qu’un citoyen ne pourra invoquer pour contester un volet ou un autre de la loi sur la langue, donc ceux écartés du revers de la main par le ministre Jolin-Barrette :
– Le droit à la vie (article 1 de la charte québécoise) ;
– La liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association (article 3) ;
– Le droit au respect de sa vie privée (article 5) ;
– La protection contre toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap (article 10) ;
– Le droit de se porter candidat lors d’une élection et le droit d’y voter (article 22) ;
– Le droit à un procès juste et équitable (article 23) ;
– Etc.
N’y a-t-il pas là motif, pour les libéraux, à organiser la résistance ?
Ensuite, le projet de loi 96 a la très mauvaise idée d’amender unilatéralement la Constitution canadienne de 1867 pour y inscrire, manœuvre tout à fait inutile, que le Québec est une nation dont la seule langue officielle est le français. Voici donc que le Québec, qui s’est toujours fermement opposé à tout changement constitutionnel sans son consentement, fait le coup au reste du pays ! Un parti qui a l’appartenance canadienne à cœur se doit de déplorer une telle manœuvre.
Bien sûr, un PLQ qui combattrait des éléments significatifs du projet de loi 96 serait dénoncé par les chroniqueurs. Et alors ? Le virage nationaliste de Dominique Anglade lui a valu les louanges unanimes des gardiens du consensus québécois ; quel bénéfice politique les libéraux en ont-ils retiré ?
Oui, un Parti libéral qui mènerait ce combat serait accusé par le gouvernement caquiste de trahir la Nation dont François Legault s’imagine aujourd’hui être le seul chef. Mais, n’en déplaise à la CAQ, la nation québécoise est libérale d’esprit. Lorsqu’on lui fait la preuve d’un excès d’autoritarisme, elle vire de bord. Après Duplessis, Lesage.
Sur chaque question se pointant dans l’actualité — la pandémie, les médecins de famille, les garderies, la pénurie de main-d’œuvre, etc. —, le PLQ doit d’abord jeter un coup d’œil vers ses valeurs fondamentales. Il ne s’agit pas de se tourner vers le passé, mais de s’inspirer de ces principes pour trouver des solutions nouvelles. C’est à cette seule condition que le PLQ fera valoir des idées originales, distinctes, formant un tout cohérent. Des politiques dans lesquelles se retrouveront les militants. À défaut de quoi le parti ne gagnera pas de nouveaux électeurs et démotivera sa base. Le résultat pourrait être catastrophique.
Le leadership
Le Parti libéral du Québec n’a pas de problème de leadership, mais un problème de cohérence. Dominique Anglade a le talent, la compétence et la résilience nécessaires pour diriger le PLQ aux élections de l’automne 2022. Il s’agit de savoir quelle plateforme électorale elle proposera aux Québécois. La réponse doit venir des militants du parti. Des militants sans lesquels, faut-il le rappeler, une formation politique n’est rien.
Les libéraux provinciaux se réuniront en congrès à la fin du mois. Je ne connais pas l’ordre du jour, mais je sais que ça va discuter ferme dans les corridors. J’espère que les partisans soutiendront Dominique Anglade, qui a besoin d’un appui fort de la base militante pour tenir le gouvernail dans la tempête.
Les conversations de couloir devraient plutôt porter sur la manière de reconnecter le parti à sa base. Autrement dit, les militants doivent convaincre Mme Anglade et son entourage de repenser leur plan d’action afin de l’ancrer davantage dans les valeurs et principes qui font du Parti libéral, depuis plus de 150 ans, une formation politique distincte, cohérente et toujours moderne.
Tellement pertinent! Je suis membre du PLQ et votre analyse me rejoint complètement. J’ai d’ailleurs fait part de ma déception au PLQ. Le virage pris sous la direction de Dominique Anglade est injustifiable. En 2014, ce qui n’est pas très loin, le PLQ sous Philippe Couillard remportait une gouvernance majoritaire. Dominique Anglade a reçu des louanges unanimes des gardiens du consensus québécois!! Est-ce vraiment ce qu’elle visait et ce que les électeurs du PLQ attendaient d’elle? Dommage! Elle avait pourtant le niveau d’intelligence nécessaire pour relever le défi de devenir la première femme issue des minorités à accéder au poste de PM du Québec. C’est la démocratie qui se retrouve perdante en éliminant de l’échiquier politique le porteur d’une vision fédéraliste qui rejoint une majorité de québécois. Le « Oui » à l’indépendance peine toujours a atteindre les 40%! J’espère que les militants du PLQ sauront mesurer la désaffection que ce virage nationaliste gauchiste pourrait signifier en dégringolade aux prochaines élections!
Madame, désolé de devoir « péter votre balloune », mais vous risquez de déchanter. Le PLQ n’est plus un parti d’idées, et ce, depuis fort longtemps : il cherche d’abord et avant tout à prendre le pouvoir, quitte à se faire passer de temps à autre pour un parti nationaliste (carte que Robert Bourassa a joué a maintes reprises et que Dominique Anglade joue à son tour, dans l’espoir de voir le PLQ se faire réélire).
Bonne analyse, mais vous avez oublié de vilipender la loi sur la laïcité, numéro 21. Celle-la aussi, elle déroge et dérange.
Fort bon exposé des valeurs libérales universelles. Mais rigidité excessive dans leur application à la situation originale du Québec au sein du Canada tant du point de vue social que culturel. C’est ce que Mme Langlade a compris et reflété à l’égard du projet de loi 96.
J’ai lu gobé comme une éponge le texte de monsieur Pratte.
Dominique Anglade a tous les atouts dans sa main de son jeu de cartes politique , pour être cette cheffe rassembleuse ,inspiré confiance pour diriger la Belle Province un jour prochain, espoir utopique…
Mais sa plus grosse faiblesse est son image dans le sens esthétique ou le « look » qui ne se démarque pas de GND, madame Le Bel , Hivon & Manon Massé son « look » hirsute sympathique. Le PLQ aurait avantage à lui défrayer un faiseur d’image , pour recadrer l’image esthétique cosmétique qu’elle projette en 2021.
Côté idéologique, elle a évacué les libertés individuelles & le démarternage de l’état .
Avec les frais Libéraux , les québécois-ses auraient mieux respirés & soufflés au plus fort de la pandémie, Arruda aurait été à sa place comme faire-valoir discret dans l’ombre que là, depuis un an & demi sous les feux de la rampe.
On a plus de rempart versus le nationalisme-nauséabond de la CAQ , stimulé par la meute de canailles intellectuelles des scribouillards de Québecor TVA/Qub/JdM.
Je suis un farouche francophile , mais allergique aux Don Quichottes linguistique, vont miner plomber la prochaine campagne électorale au Québec l’an prochain. Dès 2018, pré-Covid , déja on parlait pénurie de main-d’oeuvre, & d’habitation, logements, la CAQ lui a préféré sa Loi 96 & la Loi 21 pour plaire à la clientèle louve identitaire.
Anglade , positif , elle essaie de placer l’encombrant Gaétan Barrette dans la voie d’évitement, le boulet de Couillard à l’élection perdue de 2018.
LIBERTÉ INDIVIDUELLE , LIBERTÉ D’ENTREPRISE , LIBERTÉ SPIRITUELLE , revenons-y s.v.p. _
Voilà là, ce que je pense.
Je suis une libérale convaincue et présentement, je me sens « orpheline ».
Je ne me reconnais pas dans le parti libéral de Dominique Anglade.
Selon moi, elle est plus près de la CAQ que du PLQ.
Bravo M.Pratt très bon article