
Bonne nouvelle : le Québec connaît depuis deux ans un petit baby-boom. Mauvaise nouvelle : il survient trop tard et sera donc loin d’être suffisant pour contrer l’effet de l’arrivée à la retraite de la génération du « vrai » baby-boom. Quand les bébés qui sont aujourd’hui dans leurs poussettes intégreront le marché du travail, ils ne seront jamais assez nombreux pour payer les pensions et les soins de santé de ceux qui s’appuieront alors sur une marchette !
Les politiques natalistes du Québec, comme le congé parental ou les centres de la petite enfance, ont un succès incontestable, mais elles n’auront un effet qu’à long terme. Dans l’immédiat, il n’y a rien à faire : les défis des années 2010 seront ceux du choc démographique. Et celui-ci se retrouvera au cœur des débats politiques.
Cet été, on avait pourtant de quoi se réjouir. À la surprise générale, le rapport annuel de l’Institut de la statistique du Québec sur les perspectives démographiques, publié en juillet, signalait que la population du Québec ne commencerait pas à diminuer en 2031, comme prévu. Ce ne serait pas avant 2056, disait le rapport, lorsque le Québec compterait entre 9,2 et 11 millions d’habitants.
Malgré cette embellie, l’avenir ne s’annonce pas vraiment plus rose. Car le début du déclin des 15 à 64 ans – ce que l’on considère généralement comme la population active – n’est décalé, lui, que d’un an, passant de 2013 à 2014.
Le problème du vieillissement de la population reste donc entier. Au cours des 15 prochaines années, la proportion de Québécois âgés de plus de 65 ans augmentera très rapidement, pour passer de 15 % à 25 %.
L’immigration ne peut constituer qu’un remède très partiel. Rien que pour stabiliser la population des 15 à 64 ans, le Québec devrait accueillir non pas autour de 45 000 immigrants par année, mais plutôt 300 000, ce qui est plus que le nombre total de nouveaux arrivants dans l’ensemble du Canada.
Si bien qu’en juillet dernier le Mouvement Desjardins sonnait l’alarme en précisant que si rien ne changeait, le Québec se dirigerait vers une situation ressemblant à celle du Japon, soit un appauvrissement collectif causé par une croissance économique très faible et un déclin de la main-d’œuvre. Ce que les économistes appellent une « diminution du PIB potentiel ». Dans leur vocabulaire, c’est une maladie grave…
Sur le plan politique, la démographie sera donc inévitablement au cœur des débats au cours des prochaines années. Simple question de chiffres bruts. Le poids politique du Québec ne cesse de diminuer au Canada, et avec lui sa force politique à la Chambre des communes. Le projet de loi C-56, déposé par le gouvernement Harper en 2007, veut changer la formule d’attribution des sièges de chaque province aux Communes. Ce qui en donnerait 5 de plus à l’Alberta, 7 à la Colombie-Britannique et 10 à l’Ontario.
Aujourd’hui, le Québec compte près du quart des députés fédéraux (24,3 %), avec 75 sièges sur 308. Si le projet de loi C-56 était adopté, le Québec aurait toujours 75 députés, mais sur un total de 330, pour un poids de 22,7 %. L’Ontario, qui s’estime lésé par cette nouvelle formule, exige non pas 10 mais 21 sièges supplémentaires. Selon cette éventualité, le Québec obtiendrait 21,9 % des sièges aux Communes.
La principale raison de cette baisse du pouvoir politique du Québec reste l’immigration. Bon an, mal an, le Québec accueille deux fois moins d’immigrants que l’Ontario et à peu près le même nombre que la Colombie-Britannique, pourtant deux fois moins peuplée.
Tout cela avant même le recensement de 2010, qui devrait rendre compte d’une nouvelle diminution du poids du Québec au sein de la fédération. Si on se projette en 2020, estime Statistique Canada, le Québec n’aura plus guère que le cinquième des députés fédéraux.
Quel sera l’effet de cette nouvelle donne sur le Bloc québécois, qui a dominé la scène fédérale au Québec depuis sa fondation, en 1993 ?
La minorisation confirmée des Québécois dans la fédération canadienne pourrait procurer le second souffle que cherche désespérément le mouvement souverainiste pour se relancer.
Le fait d’être si clairement dans une situation de minorisation accélérée peut tout aussi bien convaincre les Québécois de retrouver leurs vieilles habitudes en politique fédérale, soit de voter en bloc pour un parti pancanadien, afin de s’assurer que le Québec aura une voix forte au sein du gouvernement central. Comme ils l’ont fait pendant des décennies avec les libéraux de Pierre Trudeau ou les conservateurs de Brian Mulroney.
La question démographique risque aussi de bouleverser l’équilibre à l’intérieur même du Québec. Au cours de la prochaine décennie, l’Abitibi-Témiscamingue et le Bas-Saint-Laurent rejoindront la Côte-Nord, le Saguenay¬ Lac-Saint-Jean et la Gaspésie parmi les régions dont la population décroît, indiquent les derniers chiffres de l’Institut de la statistique du Québec. L’immigration ne peut compenser et accélère la tendance : malgré les efforts pour inciter les nouveaux arrivants à s’établir en région, plus de 80 % d’entre eux continuent de choisir le grand Montréal.
Cette situation est connue depuis longtemps, mais elle ne représente pas toute l’ampleur du problème. La réalité est que seuls le grand Montréal et l’Outaouais connaissent un accroissement de leur population supérieur à la moyenne. Les régions qui connaissent une augmentation modeste de leur population – comme celle de Québec – l’obtiennent essentiellement pour les « mauvaises raisons » : une migration de personnes plus âgées, venant des régions qui se dépeuplent.
Le poids politique respectif des régions du Québec est presque un sujet tabou, même si des circonscriptions comme Chambly ou Masson comptent deux fois plus d’électeurs que celles de Matane ou de Matapédia. Il y a donc, au Québec, des électeurs dont le vote a deux fois plus de poids que les autres. Pourtant, le 25 novembre dernier, le gouvernement Charest a rejeté l’idée d’adopter une nouvelle carte électorale, qui aurait aboli trois circonscriptions, en Gaspésie, dans le Bas-du-Fleuve et en Beauce. Il a plutôt proposé, avec son projet de loi 78, d’instaurer un nombre minimal de circonscriptions par région administrative. Même si les régions en croissance démographique pourraient voir le nombre de leurs députés augmenter, celles qui sont en situation de décroissance ne pourraient jamais le voir diminuer. Ce qui revient à perpétuer un déséquilibre démocratique. De plus, le gouvernement Charest se trouve à fermer la porte à toute solution à long terme, comme une réforme du mode de scrutin.
La question du poids politique du Québec au sein du Canada et des régions à l’intérieur du Québec est déterminante, parce que les gouvernements devront faire des choix difficiles pour revenir à l’équilibre budgétaire, après les déficits accumulés au cours des derniers mois pour contrer la crise économique.
Le tout dans le contexte d’une reprise qui s’annonce beaucoup plus lente et plus modeste que prévu. En novembre, la Banque TD prévoyait que la croissance économique annuelle ne serait que de 1,6 % au cours de la prochaine décennie, alors qu’elle avait été de 3 % pendant les années 1980 et 1990, et d’environ 2,6 % pour la décennie 2000, avant que frappe la récession.
Devant une dette beaucoup plus importante que celle des provinces, le fédéral agira sans doute comme il l’a toujours fait : en augmentant les impôts, en sabrant dans ses transferts aux provinces, ou en faisant les deux. Les débats d’il y a quelques années sur le financement des soins de santé – dont le coût, en 2009, représentait 11,9 % du PIB du Canada, contre 10,8 % en 2008 – ne pourront que reprendre.
Mais au Québec s’y ajoutera inévitablement un débat sur la pertinence de ce qu’on appelle le « modèle québécois ». Et la plus dure remise en question pourrait bien venir du reste du Canada.
Dans un livre publié cet automne et intitulé Fearful Symmetry : The Fall and Rise of Canada’s Founding Values, l’économiste conservateur Brian Lee Crowley estime que ce sont d’autres provinces du Canada – celles qui paient la péréquation – qui assument la facture des coûteuses expériences sociales québécoises, comme les garderies à sept dollars, l’assurance médicaments ou le congé parental.
Or, souligne l’auteur – un tenant de la théorie du « chantage à la séparation », selon laquelle le Québec aurait ainsi obtenu plus que sa part des contributions fédérales -, si le Québec n’a plus la force démographique, économique et politique de soutenir ses initiatives sociales, pourquoi les autres provinces, qui refusent de se les offrir, devraient-elles continuer à payer la facture des expériences québécoises ?
La décennie 2010 semble s’amorcer sous des augures propices pour les conservateurs au Canada. Quels pourraient être les effets d’une certaine intolérance au « modèle québécois » de la part du gouvernement fédéral et de certaines provinces ? Un retour en force du mouvement souverainiste ou, au contraire, une volonté d’influencer le plus directement possible les lieux de pouvoir au Canada ?
Chose certaine, l’équilibre entre les poussettes et les marchettes sera l’élément déterminant des débats politiques de la prochaine décennie. Baby-boom ou pas.
(Michel C. Auger est premier analyste politique à la télévision de Radio-Canada.)
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Et encore
SONDAGE
Dans 10 ans, le Québec sera un pays indépendant.
Tout à fait / Plutôt d’accord 17 %
Tout à fait / Plutôt en désaccord 78 %
Ne sait pas / Refus 5 %
Les plus convaincus d’une accession prochaine du Québec à l’indépendance sont les francophones (19 %), les jeunes de 18 à 34 ans (21 %) et les résidants des régions (23 %). Parmi les diplômés universitaires, seulement 12 % y croient.