Le problème chinois de Justin Trudeau

L’approche de Justin Trudeau envers la Chine a pris un nouveau tournant au cours du sommet du G20 de novembre à Bali, en Indonésie. Analyse de notre collaborateur.

Sean Kilpatrick / La Presse Canadienne

Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton et de secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite agi comme directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique à la télé, à la radio et sur le web, Karl est président de Traxxion Stratégies.

Depuis des semaines, la Chine est au cœur des débats politiques du Canada. Et beaucoup de brouillard entoure les enjeux en cause.  

Le tout a commencé lorsque le bulletin de nouvelles du réseau de télé anglais Global a diffusé, au début du mois de novembre, des informations selon lesquelles la Chine se serait ingérée dans les élections fédérales de 2019, en appuyant financièrement au moins 11 candidats. 

Selon Global, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aurait informé le gouvernement au début de 2022, et une série de mémos auraient été remis au premier ministre ainsi qu’à divers ministres. Le SCRS aurait ajouté que Pékin tentait d’introduire des agents dans des bureaux parlementaires et travaillait activement à la défaite de politiciens vus comme hostiles aux intérêts de la Chine.

C’est semble-t-il sur la base de ces informations que Justin Trudeau a accosté le président chinois, Xi Jinping, au sommet du G20, le 17 novembre à Bali. L’ingérence étrangère dans le processus démocratique canadien ne saurait être tolérée, cela va de soi. Il en va de même concernant les postes de police clandestins qui seraient tenus par la Chine au Canada, histoire de surveiller la diaspora chinoise. Cela sans oublier l’espionnage industriel chinois à Hydro-Québec. Lesquels de ces éléments ont été soulevés directement par Justin Trudeau lors de ses discussions avec Xi Jinping ?

Politiquement, les libéraux fédéraux étaient sous pression. Depuis le reportage de Global, l’opposition talonne le gouvernement. Des questions légitimes et toutes simples demeurent sans réponse. Qui sont les 11 candidats qui ont pu bénéficier de l’aide de la Chine en 2019 ? Est-ce que certains de ces candidats siègent maintenant aux Communes ? De combien d’argent parle-t-on ? Les fonds provenaient-ils directement de Pékin ou passaient-ils par un intermédiaire ? Est-ce que la Chine s’est ingérée dans des élections précédentes ? Et surtout, si le SCRS l’a bien informé dès janvier, qu’a fait le gouvernement dans ce dossier au cours des 10 derniers mois ? Les réponses vagues des ministres libéraux sont troublantes.

L’accrochage entre Trudeau et Jinping a d’abord eu l’effet escompté. Les premières pages des journaux et des sites d’information du Canada ont rapporté le compte rendu venant du bureau du premier ministre : Justin Trudeau faisait la leçon à Xi Jinping et se tenait debout devant la superpuissance. 

Dès le lendemain, Xi Jinping réprimandait et menaçait même Justin Trudeau pour avoir révélé la teneur de leur conversation. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose, car il s’agit d’un affrontement au sommet qui permet à Justin Trudeau de se positionner en grand défenseur des intérêts canadiens. 

Mais depuis, le premier ministre ne semble pas vraiment être maître du dossier. Depuis son retour au Canada, il répète qu’il n’a « jamais eu aucune information » du SCRS concernant une possible ingérence chinoise dans les élections canadiennes. Pourtant, dans les jours suivant la diffusion de la nouvelle par Global, Justin Trudeau paraissait confirmer les informations, dénonçant la Chine qui « continue de jouer des jeux agressifs avec nos institutions et avec nos démocraties ». 

Pendant ce temps, Élections Canada, par la bouche de son président, Stéphane Perrault, affirme « ne pas être en position de se prononcer sur l’exactitude des contenus des récents reportages ». 

Peut-être bien que oui, peut-être bien que non… Difficile d’y voir clair, surtout que Justin Trudeau fait usage de la technique du judo d’utiliser la force de son adversaire pour le faire tomber, en disant qu’« il n’y a pas eu d’ingérence qui a changé l’issue de nos élections » et en accusant l’opposition de vouloir délégitimer les résultats, comme le font les trumpistes. Mais c’est pourtant son bureau qui a « spinné » son avertissement à Xi Jinping, alors que l’opposition n’a jamais amené ce sujet sur le tapis…

Il est possible que Justin Trudeau n’ait pas été mis au courant directement en janvier, même si ça soulève bien des questions sur les raisons qui auraient poussé son personnel politique à lui cacher ces rapports du SCRS. Mais il est aussi peu probable que le premier ministre ait agi sur un coup de tête en abordant spontanément le sujet avec Xi Jinping sur la seule base d’un reportage journalistique. 

Sans avoir toutes les réponses à nos questions, nous pouvons tirer quelques conclusions. La manœuvre de Justin Trudeau à Bali et la stratégie médiatique pour la faire mousser ne constituaient pas une tactique diplomatique ayant pour but de convaincre Xi Jinping et Pékin de cesser de s’ingérer dans les affaires canadiennes. Ces actions ne visaient pas non plus à renforcer les liens commerciaux ou à faire baisser les tensions entre les deux pays. 

Comme dans bien des dossiers internationaux, l’intérêt national prime : il semble que l’objectif politique était de bien faire paraître Justin Trudeau à court terme et que l’obligation de résultats à long terme n’était pas une véritable considération. Le problème chinois demeure donc entier. 

Les commentaires sont fermés.

Justin Trudeau a commis un impair diplomatique de débutant en dévoilant un aspect d’une conversation privée avec le leader chinois.Il a fait de la politique partisane avec un enjeu important de politique internationale au lendemain de gestes de détente des présidents américains et chinois…

D’abord, il est invraisemblable que le PM n’ait pas été averti des notes de service du SCRS et il a donc menti à ce sujet. Il est évident qu’il n’est pas parti sur une balloune d’une nouvelle de Global pour apostropher le président chinois, cela n’a pas de bon sens. C’est un secret de polichinelle que les deux pays sont à couteaux tirés et le PM Trudeau n’a pu parler à Xi Jinping que dans une conversation de corridor, ce qui a peu à voir avec la diplomatie mais encore moins avec une conversation privée.

Que la Chine et la Russie interviennent dans les élections des pays occidentaux fait peu de doutes, il y a des preuves surtout d’interférence sur le web et il serait naïf de croire que cela ne se fait pas à plus grande échelle. Il est probable que le PM se soit fait sermonné par le SCRS pour avoir dévoilé en public les avertissements qu’il avait reçus et cela l’a poussé à nier avoir été informé, ce qui est incroyable et nous laisse penser qu’il s’agit d’un autre mensonge de politicien. Ça n’aide certainement pas sa cause !

En Chine, le nom de famille apparaît en premier. On ne dit pas M. Jinping (c’est son prénom) mais M. Xi.