
Il y a une vingtaine d’années, un débat avait opposé l’administration du maire Pierre Bourque aux défenseurs du patrimoine architectural. L’enjeu ? La préservation du squelette de l’ancien entrepôt frigorifique du Vieux-Montréal (à l’angle d’Amherst et de Saint-Antoine).
Le bâtiment vétuste n’avait plus aucun attrait. Décharné, réduit à ses arêtes de béton, il ressemblait à une structure inachevée plutôt qu’à une empreinte emblématique du passé industriel du «Faubourg à m’lasse».
Le porte-parole d’Héritage Montréal, Dinu Bumbaru, s’opposait à sa démolition, tout en reconnaissant que la structure n’avait aucune valeur architecturale ou historique. «Quand on n’arrive pas à faire avancer les choses, on fait un geste d’éclat, déplorait-il dans Le Devoir. Ça va créer un terrain vague de plus.»
Deux décennies plus tard, un bouquet de condos a poussé sur le terrain vague de jadis. Ces bâtiments sont à l’architecture ce que le pissenlit est à la flore : ce ne sont pas les plus beaux ni les plus inspirants.
Il n’en demeure pas moins que cet aménagement est autrement plus enviable que ne l’était celui des années 1990, alors que le quartier était un champ de ruines postindustrielles.
Le débat sur la préservation de l’Agora, au square Viger, me rappelle cet épisode peu glorieux de la vie municipale. Encore une fois, les défenseurs du patrimoine choisissent leurs causes sans faire de nuances.
Loin de moi l’idée de comparer l’œuvre du sculpteur Charles Daudelin à l’ancien entrepôt frigorifique — quoique les arêtes de béton prédominent dans les deux cas.
L’Agora est le résultat d’une démarche artistique, tandis que l’entrepôt frigorifique était une œuvre de démolition inachevée. Daudelin et les deux autres concepteurs du projet (Claude Théberge et Peter Gnass) envisageaient que la structure de béton soit recouverte d’un immense toit vert, sous lequel on aménagerait des cafés et des boutiques. Les trois artistes avaient prévu des plans d’eau, des gradins, des aires de jeu et une fontaine mobile, le Mastodo, qui s’est brisée après quelques semaines d’utilisation.
Les artistes avaient sculpté le square Viger en trois parties : une agora (lieu de rassemblement), un jardin (lieu de contemplation) et un terrain de jeu (lieu de récréation), expliquait récemment au Devoir Raphaël Fischler, directeur de l’École d’urbanisme à l’Université McGill.
On connaît la suite. L’espace n’a jamais été exploité à son plein potentiel par la Ville de Montréal. Le square Viger, enclavé et coupé du reste de la ville, est devenu le refuge par excellence des marginaux et des sans-abris parmi les plus durs du centre-ville. C’est un marché de la drogue et de la misère qui est devenu infréquentable… même pour les itinérants, qui en ont pourtant vu d’autres.
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Le maire Denis Coderre a raison de proposer un réaménagement complet du square Viger, qui se trouve à un jet de pierre du nouveau CHUM. Sa seule erreur est d’avoir voulu agir trop rapidement, sans prendre en considération les objections de la famille Daudelin et des amis du patrimoine.
Cette semaine, l’administration Coderre a décidé de retarder la démolition. La pause permettra de réfléchir et d’élaborer un possible compromis. Il y a moyen de préserver certains éléments de l’Agora tout en réaménageant le square, dans le souci immédiat et nécessaire de le rendre accessible à tous les Montréalais. Je dis bien certains éléments.
Il faut résister à la tentation de sacraliser l’Agora et de traiter l’œuvre sans la situer dans son contexte. Il y a des vérités qui ne se disent pas facilement, au risque de passer pour un rustre, mais il faut quand même oser.
L’Agora n’est pas l’œuvre grandiose que ses défenseurs imaginent. Elle n’a pas vécu à la hauteur de ses promesses. C’est un projet à mi-chemin entre l’art public et l’aménagement urbain qui prouve une chose : les artistes ne font pas tous de grands urbanistes ou de grands architectes.
Avant de crier au saccage, le milieu des arts devrait faire une balade sur les lieux. Des étudiants de troisième année en urbanisme ou en architecture seraient en mesure de leur montrer toutes les erreurs de conception qui ont compromis la réussite de cet espace public : trop d’escaliers, trop de béton, une fermeture complète sur le reste de la ville.
L’Agora est ceinturée par des barbelés invisibles. L’endroit est ainsi fait qu’il ne sera jamais invitant.
Se pose alors la question de la propriété des espaces publics. En premier lieu, ceux-ci appartiennent aux Montréalais, et c’est à leurs représentants élus de prendre les décisions qui s’imposent — aussi difficiles soient-elles.
Ils ne doivent pas abdiquer de leurs responsabilités, même si la famille Daudelin demande un droit de regard sur l’avenir du square Viger.
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Je trouve votre réflexion très éclairante.
J’ai eu l’occasion d’écouter un débat à la radio très intéressant, car on a pu entendre des réflexions qui ne disent pas habituellement, telle
« Est-ce que tout ce que fait un artiste est de l’art… et
Qu’est-ce qui justifie que cela ai tellement de valeur pour la société que l’on doive le conserver ».
Cette semaine, après le travail une collègue et moi avons passé par l’Agora, ce que nous ne faisons jamais car l’environnement étant insécurisant. C’est littéralement étouffant ce style architectural qu’est le terme « brutalisme » Il peut être original et symposer comme il le fait bien à la Place Bonaventure, mais pas pour un parc. Vivement un appui à M. Coderre et je lance l’invitation, aller vous promener seul à la tombe du jour, vous verrez par vous même.
C’est une monstruosité en béton, qu’elle ait été conçue par un artiste n’y change rien. Son style est soviétique, cette place mérite la démolition comme le mur de Berlin. Le square Viger doit redevenir un espace vert, pour permettre aux citoyens d’y respirer.
C’est le passage du temps – connu aussi sous le nom de « postérité » – qui fait le tri de l’art : où comme toujours, il y a beaucoup d’ivraie pour peu de bon grain. L’idée que tout en est bon au présent de l’indicatif, sans discrimination.aucune, voire sans nuances, me semble plutôt émaner d’un groupe de pression, ou d’un lobby, ou d’une caste. Alors qu’une « mentalité syndicale » est utile – malgré ses tics atroces et de nombreux inconvénients – dans bien des domaines de l’activité humaine, dans celui des arts elle est une plaie. Or ça y ressemble : j’entends par là que les défenseurs à tout crin de la bien mal nommée ‘Agora’ ne semblent jamais considérer la possibilité d’un ratage, comme si la notion d’œuvre réussie ne tenait plus. Mais sur l’autre versant, il faut ajouter ce que je viens d’apprendre en lisant l’article de Brian Myles : à savoir que cette œuvre d’aménagement urbain – que je connais pour l’avoir arpentée car j’habite à deux jets de pierre – est en fait inachevée. Quoi qu’il en soit, puisqu’elle s’intitule ‘Agora’, il faut bien dire que son emplacement a été bien mal choisi. Il suffisait d’observer la carte, d’arpenter les environs pour savoir que cet endroit coupé du reste de la ville ne serait jamais un lieu de rassemblement public.