Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton et de secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite agi comme directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique à la télé, à la radio et sur le web, Karl est président de Traxxion Stratégies.
En nommant David Johnston rapporteur spécial chargé de déterminer si une enquête publique était nécessaire dans le dossier de l’ingérence chinoise dans les élections canadiennes, Justin Trudeau avait comme objectifs immédiats de faire baisser la pression et de gagner du temps. Il donnait l’impression de faire quelque chose, sans pour autant agir de manière significative.
L’objectif final, cependant, était de s’assurer qu’une enquête publique complète et indépendante ne serait jamais déclenchée. C’est donc sans surprise que Johnston est arrivé à cette conclusion souhaitée. Le couvercle demeure sur la marmite.
Le problème pour Justin Trudeau, c’est que sous le couvercle, ça continue de bouillir… et que ça n’arrêtera pas demain matin.
Pour comprendre ce qui a mené David Johnston à ce constat, il faut savoir que pour l’ancien gouverneur général (nommé sous Stephen Harper en 2010), la raison d’État prime. L’intérêt supérieur du pays serait de son point de vue mieux servi sans enquête publique.
C’est ce qui l’avait aussi motivé dans ses propositions au premier ministre Stephen Harper en 2007, alors qu’il était conseiller pour l’élaboration du mandat d’une commission d’enquête (la commission Oliphant) sur les transactions entre l’ancien premier ministre Brian Mulroney et l’homme d’affaires germano-canadien Karlheinz Schreiber.
Le litige, connu également sous le nom d’affaire Airbus, portait sur des allégations de commissions secrètes versées à des membres du gouvernement du Canada pendant le mandat du gouvernement Mulroney, en échange de l’achat par Air Canada d’un grand nombre d’avions Airbus.
Rappelons que Brian Mulroney a accepté des centaines de milliers de dollars en espèces de Karlheinz Schreiber, et la GRC soupçonnait l’ancien premier ministre d’avoir accepté des pots-de-vin concernant la vente d’avions Airbus à Air Canada, alors propriété du gouvernement. Mais les circonstances entourant l’accord avec Airbus n’ont pas été explorées en profondeur — grâce à la recommandation de David Johnston.
Le raisonnement de Johnston était que, Airbus ayant déjà fait l’objet d’une enquête de la GRC amorcée en 1995, il y avait là un « terrain bien labouré ». Inutile d’aller plus loin. Mais les travaux subséquents de la commission Oliphant et les conclusions du juge font aujourd’hui paraître cette recommandation déconcertante… sauf si, justement, on la regarde du point de vue de la raison d’État.
David Johnston croyait qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur du pays de voir les pratiques commerciales du gouvernement du Canada étalées au grand jour. Le gouvernement Harper préférait certainement aussi croire que l’enquête de la GRC était allée au bout de l’histoire, sans rien avoir conclu de probant.
Ah oui : à l’époque, les libéraux dénonçaient les liens de David Johnston avec Brian Mulroney, lui qui avait été nommé par ce dernier à la tête de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie. Plus ça change…
Dans le cas présent, David Johnston a considéré que laver le linge sale de l’ingérence étrangère en public allait être néfaste pour la sécurité nationale. Nous sommes dans le domaine du renseignement, de l’espionnage et du contre-espionnage, le tout doublé d’intérêts commerciaux névralgiques. Ce que nous savons doit demeurer secret pour que les autres puissances étrangères ne puissent savoir ce que nous savons. L’opposition accuse Justin Trudeau d’avoir des choses à cacher… et c’est vrai, littéralement. David Johnston le confirme dans son rapport.
Une enquête publique aurait ouvert une véritable boîte de Pandore. Car les allégations d’ingérence étrangère dans notre démocratie ne concernent pas que la Chine. Pensons à la Russie, bien sûr. Mais aussi à l’Inde. Et Israël ? Sans oublier nos voisins du Sud… Il aurait fallu ratisser large pour bien cerner l’enjeu — et risquer des contrecoups fâcheux.
D’ailleurs, si jamais Pierre Poilievre devient premier ministre, on ne doit pas s’attendre au déclenchement rapide d’une enquête publique dans le dossier — quoi qu’il en dise et bien qu’il le revendique présentement. L’exercice serait trop périlleux.
Cela dit, même si les arguments de David Johnston pour défendre sa décision sont appuyés, il reste un problème pour les libéraux fédéraux : trop souvent dans le passé, ils ont confondu la raison d’État avec leurs intérêts partisans. Le scandale des commandites en est un exemple probant. Et cela explique le doute qui habite l’électorat quant aux motivations profondes du gouvernement Trudeau dans le dossier de l’ingérence…
David Johnston affirme dans son rapport qu’une enquête publique « prolongerait le processus [que lui-même mène] sans l’approfondir », et que « tout retard serait préjudiciable à l’intérêt public ». Sachant la pression de l’opinion publique très forte, Johnston a ouvert quelques soupapes. Ainsi, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement vérifiera son rapport — et il souhaite que les chefs d’opposition puissent le faire aussi. Johnston tiendra également des audiences publiques où l’on pourra entendre des experts et des membres de la diaspora. Il prolongera donc le processus… ce qui n’est pas sans ironie : ce faisant, il pourrait nuire à l’intérêt public qui guide sa décision annoncée mardi.
Les questions vont continuer de fuser : qui savait quoi ? Quand l’ont-ils appris ? Comment a réagi le gouvernement ? Que savait Justin Trudeau ? Qu’est-ce qu’on cache ? Et pourquoi ? Avec ce rapport Johnston, et la suite annoncée de ses travaux, l’opposition a maintenant beau jeu de maintenir la marmite sur le feu : elle sait qu’il y aura d’autres histoires, témoignages et fuites.
Le couvercle n’est pas étanche et des gouttes continueront d’ébouillanter le gouvernement. Une goutte à la fois, tel un supplice chinois.
Et c’est bien comme cela. Pour moi, toutes les enquêtes que j’ai connues,ont coûtées des fortunes et n’ont pas changées grand choses.Et pour l’espionnage, ça ne peut être au grand jour. Combien nous ont coûtée l’affaire de 2 Michael avec le boycott de la Chine pour nos exportations? Veut-veut pas nous sommes trop lié avec eux, économiquement.
L’ingérence étrangère et l’espionnage industriel sont des faits qu’il faudrait être bien naïf pour croire qu’une enquête publique pourrait en dire plus. Que la Chine, la Russie de Poutine ou les États-Unis et autres se mêlent de nos élections est tout-à-fait compréhensible et il ne reste qu’à nous d’empêcher ces ingérences car le Canada n’est pas seul dans tout ça, la plupart des autres pays sont aussi victimes d’ingérence étrangère et ont réagi à leur manière, selon l’amplitude de la menace.
Par exemple, hier le président Erdogan a été reconduit pour un mandat de 5 ans, ce qui n’étonnera personne surtout quand on sait que la Russie de Poutine a tout fait pour influencer le vote en sa faveur. Poutine a besoin d’Erdogan autant qu’Erdogan a besoin de Poutine pour garder le pouvoir et pour la Russie c’est une aubaine d’avoir de l’intelligence fraîche d’un pays membre de l’OTAN.
Les États-Unis ont eux aussi reçu les attentions de Poutine lors de l’élection de Trump (où cela a bien fonctionné) et il faudrait être benêt pour ne pas croire que Poutine s’est mêlé de la dernière élection présidentielle et qu’il ne le fera pas pour la prochaine car il a tout intérêt à voir les républicains au pouvoir et à la présidence sachant que cela signifiera un désengagement dans cette guerre aux côtés de l’Ukraine.
Alors, ne pas croire à l’ingérence étrangère dans les élections canadiennes, un pays somme toute fort insignifiant, serait faire preuve d’une naïveté sans bornes et il faut laisser les services secrets faire leur travail et mettre autant que possible les bâtons dans les roues de ces ingérences.