Le théâtre d’été de la démocratie

Observateur assidu de la période de questions à la Chambre des communes, Olivier Niquet fait un constat : on y entend rarement des réponses. 

Paul Ducharme / montage : L’actualité

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.

Travail oblige, je ne manque presque jamais la période de questions à la Chambre des communes à Ottawa. 

Vous pourriez penser que ma vie est un enfer, mais ce n’est pas si horrible. Il arrive même que l’exercice me procure des émotions. Et pas juste de la colère ou du découragement. Des fois, je ris. Des fois, je pleure. Des fois, je m’émeus devant le théâtre de la démocratie. Après tout, ces gens sont là pour la plupart parce qu’ils ont des idéaux, et on devine derrière leur mascarade qu’ils croient faire ce qu’il y a de mieux pour l’avancement du monde.

J’utilise le terme « mascarade », parce qu’on va se le dire, il y a très peu de réponses à la période de questions. Il y a surtout des affirmations tendancieuses, des mots d’esprit et un peu de sparages. 

J’aime bien dire que la période de questions est plutôt une sorte de théâtre d’été de la démocratie. On ne fait pas dans la subtilité. Bien sûr, on note les idées et les stratégies de chaque partie, mais on retient surtout les effets de toge, les encouragements tonitruants et les applaudissements inattendus. Ça me rappelle cette citation tirée de Cyrano de Bergerac : « Vous applaudissez des audaces niaises, des obscurités qui se donnent pour des profondeurs, et quelquefois des turpitudes pures et simples. » Il y a de tout ça à la Chambre des communes.

(D’accord, ça ne m’a pas vraiment rappelé la pièce d’Edmond Rostand, j’ai simplement fait une recherche pour des citations relatives à la langue de bois. Je verse moi-même dans l’obscur qui se donne pour de la profondeur.)

Je suis particulièrement fasciné par la langue de Justin Trudeau. En Chambre comme en conférence de presse, il est passé maître dans l’art d’agencer les mots « assurer », « travailler » et « continuer ». Il ne « fait » jamais quelque chose. Il travaille pour s’assurer de continuer à travailler. Il a dit récemment que « ce comité de parlementaires […] va continuer de faire leur travail pour s’assurer de façon multipartisane que le travail soit fait ». Il a aussi déclaré : « Donc nous allons continuer de faire le travail. On est en train d’écouter les Canadiens pour s’assurer qu’on n’est pas en train de capturer des armes qu’on devrait pas. » Je ne sais pas si on peut « capturer » des armes, mais bon. Une petite dernière ? « On va continuer de travailler […] pour essayer d’assurer un consensus. […] C’est une question de travailler avec les partenaires pour s’assurer que cette fois-ci on puisse aider. » 

Otto von Bismark (oui, je l’ai trouvé par le même processus que Cyrano) a déjà dit à propos de son passage en politique : « J’ai fait des progrès rapides dans l’art d’utiliser beaucoup de mots pour ne rien dire du tout. » On nage donc dans le flou. Justin Trudeau n’est pas très affirmatif. 

C’est le contraire du chef conservateur Pierre Poilievre, qui donne plutôt dans les déclarations tranchées. Tranchées et répétées à n’en plus finir. J’imagine qu’il espère qu’à force de marteler sans cesse les mêmes phrases, celles-ci finiront par percoler dans les médias et entrer dans la tête des gens. C’est toutefois très lassant pour quelqu’un qui regarde chaque jour ses discours ou ses interventions à la Chambre des communes.

Il a longtemps parlé de la « Justinflation », associant habilement « Justin » et « inflation » par l’entremise d’un jeu de mots digne d’un restaurant de déjeuners. Depuis quelques mois, il répète plutôt à toutes les deux phrases que Justin Trudeau est au pouvoir depuis huit ans. Comme si on ne l’avait pas remarqué. Chaque sujet qu’il aborde commence par : « En huit ans de Justin Trudeau… » Ses députés ont aussi reçu la note de service et ont intégré cette information primordiale à leurs interventions. J’ai déjà hâte à l’année prochaine pour qu’il parle des neuf ans de Justin Trudeau. Ça va faire changement.

Pierre Poilievre brosse également un portrait du Canada sous Justin Trudeau (qui est là depuis huit ans, je vous le rappelle) très peu flatteur. En fait, on a même l’impression que le Canada est une sorte d’enfer où les mères de famille monoparentale sont affamées parce que M. Trudeau est « en guerre contre le travail » et où les gens vont dans les banques alimentaires pour demander l’aide médicale à mourir. C’est une phrase qu’il a dite à plusieurs reprises, se basant sur les propos du président d’une banque alimentaire de Mississauga. Une situation difficile à vérifier et encore plus difficile à extrapoler à l’ensemble du pays.

On a donc la stratégie de ne jamais vraiment rien dire en espérant ne pas faire de gaffe, quitte à ce que personne n’y comprenne rien, et la stratégie de parler beaucoup et souvent de la même chose pour être certain que tout le monde a bien compris. Aux prochaines élections fédérales, nous aurons le choix entre l’art de ne rien dire et la cassette. Place au théâtre.

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Devant de tels enfantillages, ne serait-il pas approprié pour les journalistes et les citoyens que nous sommes de produire quotidiennement un relevé de notes de la période des questions sur le modèle de nos examens de l’école secondaire, sinon primaire.

En fin de session on voit souvent un relevé de l’assiduité des parlementaires. Cette fois, on pourrait mesurer, chiffres à l’appui, le niveau d’adhésion et de respect de la démocratie dont font preuve nos dirigeants. Je parie un vieux deux en papier qu’ils échoueraient lamentablement.

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Aux dernières élections présidentielles des États-Unis, je regardais tout ça et je pensais: « pauvres citoyens des États-Unis » qui devaient choisir entre Donald Trump et Joe Biden.

Maintenant, je me réalise que nous sommes dans le même genre de bateau: aux prochaines élections Fédérales se sera Poilièvre contre Trudeau. J’ai l’impression que la situation sera inversée et que, cette fois, se seront les Américains qui vont penser: »Pauvres citoyens Canadiens » en regardant qui sera candidat.

Le théâtre d’été deviendra alors du grand théâtre… et on a pas fini d’entendre parler pour ne rien dire.

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