Le triomphe solidaire du surplace

Québec solidaire n’a jamais manqué d’ambition, quitte à faire sourciller les analystes politiques. Ses dirigeants ont dû eux aussi lever les sourcils après l’élection du 3 octobre. 

montage : L’actualité

Peu après la campagne de 2018, nous avions reçu à Esprit politique (le défunt balado de L’actualité) le naguère nouveau député solidaire de Rosemont, Vincent Marissal. Commentant son arrivée récente au sein du caucus solidaire, l’ancien journaliste et chroniqueur politique de La Presse avait mentionné au passage qu’il appréciait son nouveau rôle de député et qu’il souhaitait faire deux mandats (il a été réélu le 3 octobre dernier, donc c’est réussi) afin d’être présent lorsque, je paraphrase, « QS s’approcherait du pouvoir ».

Il n’y avait pas de caméra dans la salle, mais je me souviens d’avoir sourcillé. Québec solidaire « proche du pouvoir » ? À cette époque, l’idée ne m’était jamais passée par l’esprit, car une perception de QS jadis bien ancrée voulait qu’il soit d’abord et avant tout un mouvement de contestation populaire, et non un « parti de pouvoir ». Je n’affirme pas ici que cette perception colle à la réalité, mais c’était tout de même difficile d’imaginer qu’une formation politique dont le sommet de l’époque était d’avoir reçu l’appui d’un électeur sur six et qui détenait 10 des 125 sièges de l’Assemblée nationale puisse rêver au pouvoir — à court ou moyen terme.

Or, même si le parti représenté par Gabriel Nadeau-Dubois est le seul de l’opposition à avoir augmenté son total de sièges par rapport à l’élection de 2018 (de 10 à 11), ses appuis parmi l’électorat québécois ont stagné, et ce, malgré l’arrivée de l’ancien leader étudiant à sa tête, possiblement le meilleur orateur à avoir dirigé QS jusqu’ici. Au suffrage universel, Québec solidaire a perdu 15 000 votes par rapport à 2018 et sa part des voix est passée de 16,1 % en 2018 à 15,4 % en 2022. Il a conservé 9 de ses 10 sièges (Rouyn-Noranda–Témiscamingue lui a été arraché par la Coalition Avenir Québec) et a ajouté deux circonscriptions montréalaises à son total : Maurice-Richard et Verdun.

Néanmoins, la question demeure : Québec solidaire a-t-il plafonné ?

Comparons les résultats de 2022 et de 2018 dans les 125 circonscriptions (nous avons fait le même exercice avec le Parti libéral ici et le Parti québécois ici). Dans le graphique ci-dessous, les points au-dessus de la ligne pointillée sont les circonscriptions où QS a surperformé par rapport à 2018. Les points sous la ligne pointillée représentent celles où QS a perdu du terrain (en pourcentage des suffrages).

De Rosemont à Gouin, soit les circonscriptions assurées à QS, nous remarquons que les résultats sont généralement semblables à ceux de 2018 (c’est-à-dire que les points longent la ligne pointillée), à quelques broutilles près. Cinq circonscriptions ont enregistré des progrès notables par rapport à 2018, soit Maurice-Richard, Verdun, Viau, Saint-François et Saint-Henri–Sainte-Anne.

Cependant, Québec solidaire n’était pas réellement compétitif ailleurs au Québec, même dans des circonscriptions auxquelles les têtes d’affiche du parti avaient consacré beaucoup de temps et d’efforts, comme Rimouski. À cet égard, de multiples sources chez QS m’ont écrit pendant la campagne pour m’assurer que je sous-estimais les appuis au parti dans cette circonscription du Bas-du-Fleuve. Or, une fois les votes bien comptés le 3 octobre au soir, la candidate solidaire a certes obtenu un score respectable — 21 % des suffrages —, mais loin en troisième place et plus de 6 000 votes derrière le candidat de la CAQ. Bref, QS n’a jamais été dans le coup dans Rimouski.

Sur les cinq circonscriptions où QS a amélioré son sort, le parti de gauche en a gagné deux (Maurice-Richard et Verdun) et a été relativement compétitif dans deux autres (Viau et Saint-Henri–Sainte-Anne). Dans Saint-François, même si la candidate solidaire Mélissa Généreux, grande vedette régionale (elle s’est fait un nom comme directrice régionale de santé publique après la tragédie de Lac-Mégantic), a obtenu 28 % des suffrages, c’était 5 800 votes (14 points) de moins que la députée caquiste Geneviève Hébert.

Autre donnée troublante pour QS, son vote médian dans les 125 circonscriptions a été de 13,1 %, ce qui signifie que QS s’est situé sous cette marque dans 62 circonscriptions du Québec. En fait, QS a franchi la barre des 20 % de votes dans 21 circonscriptions seulement. Cela veut dire que le parti n’est donc tout simplement pas dans la course pour une masse critique de sièges. Il lui en faudrait trois fois plus dans cette part du vote qu’on appelle la « zone payante », à partir de laquelle on peut faire des gains tangibles, pour entretenir un espoir de former le gouvernement.

Cela dit, QS a fait preuve de réalisme pendant un moment de la campagne, quand il a dit viser davantage l’opposition officielle que le pouvoir. Encore là, il lui aurait fallu une vingtaine d’autres circonscriptions dans la zone payante pour avoir ne serait-ce qu’une chance de coiffer les libéraux au rang de premier perdant.

D’ailleurs, le sondage Léger publié mardi dans les médias de Québecor accordait une hausse de quatre points à Québec solidaire, au moment où la bisbille était prise au Parti libéral. Or, à ce niveau, ce n’est guère plus que 13 sièges, dans le meilleur cas de figure, que QS récolterait. Pas 35 ou 25, mais 13. Les solidaires ne formeraient encore que la deuxième opposition à Québec, derrière le PLQ.

Néanmoins, dans la ligne de mire de Québec solidaire se trouvera assurément la circonscription de… Saint-Henri–Sainte-Anne, qui sera vacante à partir du 1er décembre prochain (après la démission de sa députée, la cheffe libérale Dominique Anglade). Une élection partielle devra s’y tenir avant le 1er juin 2023. Il pourrait s’agir de l’occasion parfaite pour Québec solidaire d’aller chercher un 12e élu, ce qui lui permettrait de se qualifier pour le titre de groupe parlementaire reconnu. Mais avant que cette hypothèse se confirme, peut-être pas avant six mois, QS devra encore quémander des concessions auprès des autres partis — la CAQ et le PLQ — pour recevoir une quelconque forme de reconnaissance parlementaire. On est loin du pouvoir évoqué par Vincent Marissal.

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Une chose que les sondages dont vous êtes assurément expert, peuvent difficilement évaluer c’est que: dans plusieurs circonscriptions, on plante un poteau libéral et ils seront élus.

QS a devant lui une tâche sûrement insurmontable : réconcilier les intérêts de sa base urbaine, jeune, éduquée, multiculturelle… avec un électorat plus rural, plus âgé, nationaliste et pas nécessairement sorti des universités québécoises. On a constaté la déconnexion du parti par rapport à cette partie de la population quand les solidaires ont proposé des taxes qui touchaient les producteurs agricoles.
Peut-être quand les effets des changements climatiques se feront sentir beaucoup plus en région, si QS prend le temps de faire le tour des contés ruraux et comprendre leur réalité en profondeur, alors les solidaires pourront aspirer à gouverner. Il ne sera agréable, pourtant, car le parti aura à probablement à gérer la crise climatique dans toute sa « splendeur » destructrice.

Il y a une solution toute simple pour QS s’il veut vraiment paver sa voie vers le pouvoir. Il lui faut se fusionner avec le PQ qui somme toute lui ressemble, se recentrer dans son discours pour éviter d’avoir l’air trop extrémiste et dès lors, le nouveau parti unifié de centre gauche pourrait aller chercher possiblement jusqu’à 30% de l’électorat aux prochaines élections et peut être plus si la conjoncture politique du moment plombe les ailes des caquistes.