Interrogé ce matin sur son désir d’obtenir une majorité parlementaire lundi prochain, Justin Trudeau a maintenu la ligne qu’il s’était donnée dès le début de la campagne et qui consiste à ne jamais utiliser ce mot. « Moi, je veux le plus de députés forts du Québec et de partout au Canada au sein d’un gouvernement libéral », s’est-il contenté de dire. Et pour cause.
La majorité ne figure sur aucun écran radar des sondeurs. Le prochain gouvernement canadien, à moins d’un revirement de dernière minute, sera minoritaire. Ne reste plus qu’à en déterminer la couleur. Mais justement, quelles règles s’appliqueront pour décider qui tiendra les rênes ? Sur l’appui de quels partis d’opposition le parti au gouvernement pourra-t-il compter pour se maintenir au pouvoir, et à quelles conditions ? Et retournera-t-on en campagne électorale en cas de défaite parlementaire rapide ?
Pour l’instant, ces questions n’obtiennent pas de réponse. Cela se comprend peut-être d’un point de vue stratégique, mais c’est bien dommage pour l’électeur qui voudrait soupeser ses options.
Les règles du parlementarisme britannique prévoient que forme le gouvernement celui qui est capable d’obtenir — et de conserver — la confiance de la Chambre des communes. Ce n’est donc pas nécessairement le parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges. C’était arrivé en 1925 : le premier ministre libéral sortant Mackenzie King s’était fait offrir la possibilité de former le gouvernement même s’il avait obtenu moins de sièges que son rival conservateur.
La tradition récente, elle, est différente. En 2008, alors qu’il était passé à un cheveu de perdre le pouvoir quelques semaines après sa réélection au profit d’une coalition entre Stéphane Dion et Jack Layton, Stephen Harper avait littéralement empoisonné le puits. Il était parti en guerre contre le concept de coalition pour en saper toute légitimité. Le parti qui remporte le plus de sièges doit former le gouvernement, point à ligne, avait répété en boucle le chef conservateur. À l’élection suivante, en 2011, il avait utilisé la coalition tel un repoussoir pour attaquer ses adversaires. Il avait remporté sa majorité. Depuis, sachant que le public connaît peu les règles parlementaires, les chefs politiques n’osent pas remettre une telle option à l’ordre du jour. Il y a donc fort à parier que le parti qui remportera le plus de sièges le 20 septembre sera le premier à essayer de former un gouvernement. Mais avec quels appuis ? Là est toute la question.
On sait d’expérience que les libéraux minoritaires arrivent à se maintenir au pouvoir grâce à l’appui du NPD, avec qui ils ont une grande affinité idéologique, et parfois aussi grâce à celui du Bloc québécois. Mais Erin O’Toole n’aurait pas, lui, d’alliés naturels au Parlement. Qui l’appuierait s’il obtenait plus de sièges que Justin Trudeau ?
Le chef du NPD refuse de dire à quelle(s) condition(s) il collaborerait avec un gouvernement d’Erin O’Toole. Tout au plus son porte-parole dit-il que le NPD n’appuiera aucun budget ne contenant pas d’argent pour les garderies. Jagmeet Singh refuse de répondre à la question au motif qu’il fait campagne pour devenir lui-même premier ministre. Pourtant, étant donné que son parti jouit au mieux de 22 % des intentions de vote dans les sondages, ces questions n’ont rien d’hypothétique. Ses électeurs, souvent effrayés par la perspective d’un gouvernement conservateur, voudraient probablement savoir comment le chef et ses troupes se comporteraient face à un O’Toole premier ministre.
Yves-François Blanchet, pour sa part, s’en tient à sa ligne habituelle, à savoir qu’il évaluera chaque proposition à l’aune des intérêts du Québec. Il appuiera celles qu’il juge bonnes pour la nation québécoise et s’opposera aux autres. Il a affirmé clairement lundi qu’il « n’embarquer[ait] pas dans une coalition d’aucune espèce de façon ». Mais fixera-t-il une condition sine qua non à son appui au premier budget du gouvernement ? Tout au plus a-t-il dit lors du débat des chefs que la hausse de 28 milliards de dollars du transfert en santé qu’il exige au nom des provinces « est passablement non négociable, en effet ».
C’est avec toutes ces questions en tête que le groupe Democracy Watch a publié ce matin un document fort intéressant. Il demande aux chefs de parti de dire dès maintenant à quelle date le Parlement serait rappelé, quels seraient les votes considérés comme engageant la confiance de la Chambre ou encore dans quelles conditions un parti d’opposition serait invité à former le gouvernement.
Certes, il y a un brin de naïveté dans la démarche. C’est d’ailleurs un peu la marque de commerce de cette organisation. Ce groupe s’était adressé — en vain — aux tribunaux en 2008 pour faire déclarer illégale l’élection fédérale précipitée au motif qu’elle contrevenait à la loi sur les élections à date fixe.
N’empêche. Certaines questions posées méritent qu’on s’y attarde. Dans le cas d’un hypothétique gouvernement conservateur renversé quelques mois à peine après sa prise de pouvoir, ne vaudrait-il pas mieux, comme cela s’est fait, par exemple, en Colombie-Britannique en 2017, de proposer le pouvoir à son rival au lieu de relancer le bal électoral ? À plus forte raison si la pandémie n’est pas encore terminée ? Et ne serait-il pas pertinent de déterminer d’emblée quels seront les votes susceptibles de faire tomber le gouvernement ?
Les gouvernements minoritaires sont de véritables trous noirs. Ils siphonnent une quantité vertigineuse d’énergie à essayer de se maintenir en poste. Ce n’est que tractations de coulisses et conjectures pour tenter de prédire la stratégie des rivaux. Codifier, ne serait-ce qu’un peu, les règles du jeu alors que le pays est encore aux prises avec la COVID ne serait peut-être pas une si mauvaise idée.
Vous êtes aussi naîve que le groupe dont vous avez parlé.
La politique, c’est la guerre, joué un peu différemment.
Jean-Marie Brideau
Moncton NB
Voici ce qui est écrit à l’article 56 du projet de loi C-16, déposé en mai 2006 puis adopté en 2007 :
« 56.1 (1) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu’il le juge opportun. »
L’une des particularités du parlementarisme britannique vient du fait qu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs, le gouvernement et le Parlement siègent dans la même chambre. Bref, ils font « lit commun »… de sorte qu’en tout temps, le Parlement peut faire tomber le gouvernement et le gouvernement peut demander au gouverneur générale (ou la gouverneure) la dissolution du Parlement quand tout ça lui convient.
La loi sur les élections à dates fixes n’a en rien modifié le modèle parlementaire qui était en cours du temps de la Reine Victoria. Étonnement aujourd’hui, dans le Parlement du Royaume-Uni lorsque le parti qui obtient le plus grand nombre de sièges n’est pas majoritaire, il conclut une entente de gouvernement avec un tiers parti pour avoir la majorité et légitimer son pouvoir de gouverner.
Mais… au Canada, ça marche pas comme ça.
La réalité est que le gouverneur général n’est nullement tenu d’accéder à la demande d’un Premier ministre de dissoudre le Parlement. Il devrait ou elle devrait (de par les pouvoirs qui lui sont conférés) demander au chef de l’opposition d’essayer de former le gouvernement et… c’est seulement en cas d’échec, donc de dernier recours qu’on devrait procéder à cette dissolution. Le processus serait un peu plus long, nonobstant plus juste.
Mais… au Canada, ça marche évidemment pas comme ça. Puisque le ou la gouverneur-e ne représentent notre Souveraine que formellement lorsqu’à toutes fins pratiques ils ou elles sont la « créature » du Premier ministre.
Mais… au Canada, il semblerait que même la Cour suprême ne voit dans tout cela pas la moindre dérive constitutionnelle que ce soit. Pourtant des parlements qui ont emprunté le modèle britannique comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande (un modèle de démocratie soit dit en passant) ; cela fait belle lurette que ces parlements ne fonctionnent plus comme ça.
— Une petite question me chicotte : Considérant que c’est le juge Richard Wagner qui assurait l’intérim après le départ de Julie Payette, est-ce que Justin Trudeau aurait demandé et obtenu la dissolution de Parlement si le juge Wagner avait poursuivi l’intérim plus longtemps ?
Mais… l’honorable Mary Simon – fraichement investie gouverneure générale du Canada – pouvait-elle refuser quoique ce soit à Justin Trudeau ? Pourtant c’est à elle que revient la garde des sceaux et la préservation de la Constitution du Canada. En période de pandémie, il semblerait que la prudence soit de mise quand ce qui relève de la santé publique a quelque peu mis en dormance tout ce qui relève des prérogatives et des privilèges politiques.
Faut croire que la Colombie très britannique a plus de tradition démocratique que le Canada monarchiste-constitutionnaliste car la lieutenant-gouverneure de la province n’avait pas accepté la demande de la PM Clark qui voulait dissoudre l’assemblée législative il y a 3 ou 4 ans et aller en élection. Au contraire, Mme Guichon a demandé au NPD qui avait une entente avec les Verts de former le gouvernement, un gouvernement qui a fonctionné pendant quelques années jusqu’à ce que le PM Horgan veuille avoir une majorité et qui a déclenché des élections.
À l’instar de Mme Jean, Mme Simon ne semble pas avoir l’envergure nécessaire pour avoir une véritable discrétion quant aux demandes du PM et rend ce poste complètement illusoire et inutile, ce qui n’est une nouvelle pour personne. Mme Simon, une Inuk, avait la chance de faire une différence en politique canadienne; elle a refusé et s’est cantonnée dans son rôle de potiche et les Autochtones au Canada devraient en tenir compte, eux qui misaient beaucoup sur elle pour changer la politique canadienne.