Legault : derrière son sourire, un plan…

La récolte a été plus mince que prévu, pourtant François Legault avait un air serein le soir du 4 septembre. Le chef entrevoyait déjà la vraie bataille. Celle qu’il estime pouvoir gagner dans 18 à 24 mois, a constaté L’actualité, qui a passé les dernières 24 heures de la campagne à ses côtés.

Legault : derrière son sourire, un plan…
Photo : G. Alexandar

Assis à l’arrière de la petite salle de réception du Buffet Mar-Chan, à Le Gardeur, l’homme d’affaires Charles Sirois a la mine basse. Il n’est pas le seul. Un silence de salon mortuaire règne depuis que le nombre de circonscriptions acquises à la Coalition Avenir Québec stagne à 19 sur les écrans de télévision.

François Legault est le seul à parcourir de long en large la pièce décorée avec goût, réconfortant au passage sa femme, ses sœurs et ses amis réunis pour l’annonce des résultats électoraux dans cet endroit gardé secret, à cinq minutes du lieu de rassemblement des militants de la CAQ. Entre deux tapes dans le dos, le chef de la Coalition téléphone à Pauline Marois puis à Jean Charest pour les féliciter, et retravaille son dis­cours. Il a trois versions – victoire, défaite honorable et défaite «?sévère?» – et doit maintenant mélanger les deux dernières.

Il jette un œil inquiet à l’écran de l’ordinateur portable posé sur un comptoir, qui affiche les résultats de L’Assomption, sa circon­scription. À 22 h passées, il n’a qu’une mince avance de 461 voix. «?Est-ce que je vais gagner???» demande-t-il en fronçant les sour­cils. «?Ça devrait?», répond Brigitte Legault, son organisatrice en chef. Ils devront patienter jusqu’à 23 h pour en être assurés.

Le chef aperçoit alors Charles Sirois. Il traverse la pièce, se plante devant lui, le prend par les épaules et le regarde dans les yeux. «?C’est une première étape. Il va y en avoir une deuxième. Je ne lâche pas?: 27 % du vote, c’est excellent?», lui dit-il. Sirois esquisse un demi-sourire, heureux d’entendre que l’aventure lancée par les deux hommes il y a un an ne se terminera pas, malgré un nombre de sièges inférieur aux attentes – ils espéraient remporter entre 27 et 37 circonscriptions.

À 22 h 15, François Legault balaie du regard la vingtaine d’invités. «?Bon, on s’est battus et bien battus. Ce sera un gouvernement minoritaire, alors on va repartir bientôt et se battre de nouveau?!?» lance-t-il. Certains applaudissent, d’autres vont le serrer dans leurs bras.

Son conseiller principal et confident, Martin Koskinen, regarde les deux téléviseurs bran­chés sur Radio-Canada et TVA. Il a l’air calme – même si son estomac, noué par la nervosité, l’empêche de se servir au buffet. «?La seule chose qu’on souhaitait, c’était un gouvernement minoritaire du PQ ou du PLQ. On aurait aimé faire plus, on s’était mis à rêver, alors on est déçus. Mais si on regarde ça froidement, on n’a pas perdu, ce soir?», dit-il.

Le cellulaire de Koskinen sonne. C’est l’attaché de presse du premier ministre Charest, Hugo D’Amours. Il est 22 h 25. François Legault doit commencer son discours dans 10 minutes, sinon Jean Charest prendra la parole avant lui, prévient-il. «?O.K., on part?!?» lance Martin Koskinen à la ronde. Tout le monde se précipite dehors, vers les voitures, à la pluie battante. Direction?: la salle communautaire Laurent-Venne, pour rejoindre les 300 militants.

Les dernières 24 heures de la campagne, que L’actualité a passées aux côtés du chef de la CAQ, ont permis de comprendre la sérénité qui régnait à la tête du parti mardi soir. François Legault entrevoyait déjà la vraie bataille, celle qu’il estime pouvoir gagner, dans 18 à 24 mois.

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Legault avec Jacques Duchesneau le dernier jour de la campagne, puis regardant à la télé le dévoilement du scrutin. « Je suis le seul chef qui ne peut pas perdre ce soir », avait-il confié un peu plus tôt. (Photos : G. Alexandar)

François Legault a été surpris par la force du vote libéral, admet son conseiller principal, Martin Koskinen. « Jamais on n’aurait pensé que le PLQ résisterait aussi bien après tous les scandales. La commission Charbonneau pourrait leur faire mal, mais ils sont loin d’être morts.

L’expérience que va acquérir la CAQ à l’Assemblée nationale, le temps que le chef aura pour faire passer son message, com­binés aux conséquences possibles de la commission Charbonneau pour le PQ et le PLQ, per­mettront à son parti de triompher, croit-il, optimiste. «?On sera prêts?», assure François Legault.

La campagne qui se termine, galvanisée par l’arrivée de Jacques Duchesneau, a eu des répercussions inattendues sur la santé financière du parti. Les maigres 5 000 dollars par jour qu’amassait la formation à la fin du printemps sont passés à 40 000 dollars par jour (1,4 million en 35 jours). Et puisque la CAQ a géré un budget de campagne très serré (environ trois millions de dollars), elle en ressort sans aucune dette. Une rareté en politique. «?On a effacé notre marge de crédit. On pourrait repartir en campagne demain matin?», dit Brigitte Legault.

Ce coussin donne une marge de manœuvre à François Legault. Lors d’une longue entrevue dans son autocar, la veille du vote, entre deux visites à Terrebonne et Laval, le chef de la CAQ prévoyait déjà un gouvernement péquiste minoritaire. Il travaillera de manière «?constructive?», a-t-il dit, mais ne fera pas tous les compro­mis pour maintenir en vie le gouver­ne­ment. «?Je ne veux pas cau­tionner le statu quo. Je connais bien Pauline, elle ne fera pas le virage que je souhaite. Ça va être difficile de m’enten­dre avec le gouvernement. Il y a des chances que le Parti libéral change de chef. Ce seront eux qui vont collaborer avec le PQ pour éviter des élections?», a-t-il dit. Jean Charest annoncera effectivement sa démission le 5 septembre.

François Legault croit que le gouvernement Marois survivra à son premier budget, au printemps, mais que le sable deviendra vite mouvant. «?Le PQ et le PLQ seront malmenés par la commission Charbonneau. Il n’est pas question qu’on fasse des alliances ou coalitions avec eux.?»

Dans ce contexte, Legault se félicite encore de la prise de Jacques Duchesneau, «?qui a changé l’allure de la campagne?», dit-il.Les deux hommes s’étaient ren­con­trés à deux reprises ce printemps, pour discuter du projet de loi 1 que la CAQ voulait proposer en campagne. Jacques Duches­neau a donné un coup de main à l’élaboration de cette loi anticorruption, sans accepter un poste de candidat. «?Il n’avait pas dit non, mais il était froid à l’idée?», raconte François Legault.

Une troisième rencontre, le samedi 28 juillet, quatre jours avant le déclenchement des élections, dans le grand bureau de la maison de François Legault, permettra de sceller l’accord. À une condition?: Jacques Duchesneau voulait éplucher les livres de la CAQ pour s’assurer que tout était en ordre. Le jeudi 2 août en après-midi, l’ancien policier appelle Martin Koskinen et confirme sa candidature.

François Legault aurait voulu l’avoir à ses côtés dès le début de la campagne pour l’annonce de son projet de loi anticorruption, «?mais il voulait du temps pour se préparer?», raconte le chef. Le lendemain, 3 août, le Globe and Mail éventait la nouvelle.

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La veille du vote, la transmission de l’autocar de la CAQ a lâché au coin des boulevards Le Corbusier et Saint-Martin, à Laval ! « Il est temps que ça finisse ! On a vraiment étiré l’élastique au maximum », a dit Legault en s’engouffrant dans la voiture des gardes du corps de la Sûreté du Québec, qui l’ont conduit au resto pour le souper. (Photo : G. Alexandar)

Si l’arrivée de Jacques Duches­neau a été le bon coup de la campagne, Martin Koskinen estime que l’erreur aura été de «?prendre de front trop de joueurs en même temps?», ce qui a effrayé des citoyens plus craintifs devant le changement. «?On a tiré à beaucoup d’endroits et on a eu de la difficulté à bien expliquer ce qu’on voulait faire. On souhaitait attirer l’attention, mais on a peut-être poussé un peu fort?», dit-il.

Legault n’est pas aussi contrit. «?Je vis bien avec la controverse, elle a contribué à m’amener jus­qu’ici. J’ai dit la vérité sur des sujets difficiles, comme Hydro-Québec et l’éducation. Je suis fier de ça, lance-t-il en souriant. Je suis tout sauf beige comme personnalité.?»

Dans la minifourgonnette qui le mène entre deux bureaux de scrutin, François Legault est confiant en ce jour J. Le pouvoir lui semble hors de portée, mais ça ne l’embête pas. «?Ça pour­rait prendre deux élections avant de briser l’axe fédéralisme-souveraineté. On part de loin. Mais pendant ce temps-là, les problèmes du Québec prennent de l’ampleur?», dit-il entre deux bouchées de son sandwich. Il se voit en transition. «?Je suis le seul chef qui ne peut pas perdre ce soir?», lâche-t-il.

Son entourage préfère cette attente à une victoire minoritaire. «?On a un programme ambitieux, difficile à implanter avec un gouvernement minoritaire. Ça nous prendrait une majorité?», dit Martin Koskinen.

François Legault sort du bureau de scrutin de L’Épiphanie et remonte dans la minifourgonnette. Il est passé 14 h. Il a les traits tirés, les épaules tombantes. Il sort son iPhone pour écrire quelques messages sur Twitter, réseau qu’il affectionne, «?malgré la trop grande agressivité en campagne?», dit-il. Il écrit ses 140 caractères, puis sourit en voyant passer un message qui contient une référence aux «?caribous?», terme qu’il a utilisé lors du débat des chefs l’opposant à Pauline Marois pour décrire «?les pressés de la souveraineté?» au Parti québécois.

«?Je ne savais pas que ça fonctionnerait autant?!?» s’anime-t-il soudain, encore fier de son coup presque deux semaines plus tard. «?J’utilisais ce terme dans les caucus du PQ. Quand un député se levait pour faire une grande envolée lyrique sur la souveraineté, alors qu’il n’y avait personne à convaincre autour de la table, je me penchais à l’oreille de Sylvain Simard pour lui dire?: « Bon, les caribous vont encore sortir. » Une perte de temps.?»

Fin d’après-midi, la camionnette ramène le chef à l’hôtel. Il se dirige vers sa chambre pour lire les trois versions de son discours et tenter de faire une sieste. Le marathon tire à sa fin. «?Je suis nerveux, confie-t-il. J’ai des pensées positives et négatives. On a travaillé tellement fort pendant des mois. Des centaines, des milliers de personnes comptent sur moi. Et je ne contrôle plus rien maintenant.?»