La politique n’est peut-être pas un jeu, mais les élections, oui. Les campagnes électorales constituent une joute éliminatoire où les équipes se battent pour chaque centimètre de glace. Et pour poursuivre dans l’analogie sportive, il n’y a pas de points supplémentaires pour le style, seule la victoire compte.
Les progressistes-conservateurs de Doug Ford, en Ontario, viennent de faire la démonstration exemplaire d’une campagne presque exclusivement défensive, digne de la belle époque de la « trappe » des Devils du New Jersey de Jacques Lemaire. Il suffit d’étouffer l’attaque pour gagner, car l’apathie des électeurs joue généralement en faveur du gouvernement sortant, surtout si ce parti détient une avance écrasante chez les électeurs plus âgés, lesquels se rendront aux urnes coûte que coûte.
Lors d’une discussion, un stratège politique de l’opposition m’avait dit : « Contrairement à la CAQ, nous ne faisons pas de politique selon les sondages, mais selon nos convictions. » Discours certes vertueux, mais qui m’a rappelé la fameuse tirade de l’ancien entraîneur des Jets de New York Herm Edwards : « On joue pour gagner. Allô ?? On joue pour gagner ! »
La décision récente de François Legault de ne pas participer à un débat du consortium des médias québécois anglophones (CBC, CTV Montreal, Global News et CJAD) n’est pas tant un affront à la communauté anglophone qu’une stratégie politique bien calculée.
L’excuse officielle de la CAQ est que le premier ministre sera trop occupé pour y prendre part. Cela peut constituer une explication légitime : chaque débat fait perdre de deux à trois jours de campagne aux chefs. Par contre, si l’on administrait une petite dose d’un sérum de vérité aux stratèges caquistes, ils et elles vous diraient fort probablement que le premier ministre aimerait mieux ne participer à aucun débat à heure de grande écoute, si seulement il n’allait pas en payer un prix politique. La CAQ étant au sommet des intentions de vote, parions que le premier ministre préférerait se promener en autocar et serrer des mains pendant un mois plutôt que d’aller se faire marteler par quatre autres chefs en quête de clips pour les réseaux sociaux.
Les parallèles avec les progressistes-conservateurs de Doug Ford ne s’arrêtent pas là. Tout comme son homologue ontarien, François Legault domine les intentions de vote chez les électeurs plus âgés. Dans le dernier sondage de la maison Léger, en avril, la CAQ trônait seule en tête auprès des électeurs de 55 ans et plus avec pas moins de 57 % d’appuis, une avance écrasante de 37 points (!) sur le PLQ dans cette tranche de l’électorat. De plus, François Legault est perçu comme le meilleur candidat au poste de premier ministre par 55 % de ces électeurs. En deuxième place se trouve la cheffe libérale Dominique Anglade avec… 10 %.
Ces gens se rendront assurément aux urnes le 3 octobre prochain, si l’on se fie aux tendances électorales des dernières décennies. Le premier ministre pourrait donc théoriquement faire campagne sur le pilote automatique, son seul objectif étant de ne pas alimenter de controverse, de ne pas donner de carburant à ses détracteurs et de laisser ses rivaux prendre tous les risques.
En Ontario, l’absence totale de mouvement dans les intentions de vote au cours des dernières semaines illustre le succès de la campagne somnifère des progressistes-conservateurs.

Non seulement les déboires des troupes de Doug Ford pendant la pandémie n’ont pas miné leurs appuis parmi l’électorat, mais même les attaques répétées des chefs des partis d’opposition tout au long de la campagne n’ont pas un tant soit peu écorché le premier ministre. Le débat des chefs n’a eu aucun effet lui non plus — à l’exception d’une montée modeste du Parti vert de l’Ontario (qui pourrait doubler son caucus en passant de un à deux sièges). C’est comme si les électeurs ontariens avaient mis une sourdine sur cette campagne et que leur idée était déjà faite.
Ce n’est pas nécessairement le scénario qui attend les Québécois cet automne, mais la domination de la CAQ dans les intentions de vote et les taux de satisfaction toujours élevés à l’égard du gouvernement, selon les sondages, laissent entendre que les Québécois se sont peut-être déjà fait une tête… à moins d’un revirement majeur, ce que la CAQ tentera à tout prix d’éviter.
Si la CAQ de François Legault suit la campagne ontarienne de près, elle trouvera peut-être une stratégie bien ficelée pour une réélection facile et sans histoire. Pas de controverse, pas d’affirmation scandaleuse, pas de jeu risqué. C’est certes peu souhaitable pour notre démocratie, mais en campagne électorale, il n’y a pas de prix de consolation pour les perdants.
La CAQ et François Legault n’ont pas à chercher une stratégie. Ils savent bien que le style « popa a raison » plait bien. Pour ce qui du débat en anglais… Popa n’a pas le temps, pis cela ne l’intéresse pas, pis il en a vraiment pas besoin. Point!
Je ne saurais mieux dire, autrement comment expliquer que la CAQ soit en première place dans les intentions de vote au terme d’un mandat aussi désastreux.