Ancien organisateur en chef pour le Québec du Parti conservateur du Canada, Marc-André Leclerc a été chef de cabinet d’Andrew Scheer et conseiller de Rona Ambrose lorsqu’elle était chef intérimaire. Il est présentement directeur principal chez Maple Leaf Strategies.
Avec 57 % des points au troisième tour, Erin O’Toole a pris les commandes du Parti conservateur du Canada. Mais pour avoir une chance de devenir le prochain premier ministre du Canada, le député de la circonscription de Durham, en Ontario, a beaucoup à faire, et il n’a pas le luxe du temps.
1 – Imposer son autorité sur le parti et le caucus
Près de 20 ans après sa fondation au début des années 2000, le nouveau Parti conservateur porte encore la marque de Stephen Harper. C’est pourquoi Erin O’Toole doit prendre des décisions concernant l’organisation de son parti. Tout d’abord, il devra nommer un nouveau directeur général ainsi qu’un nouveau directeur de campagne nationale. Il devra aussi revoir le fonctionnement du Fonds conservateur, qui administre les coffres du parti. Le nouveau chef devra imposer son style dans toutes les opérations quotidiennes de sa formation, comme les collectes de fonds, le choix des candidats et les publications dans les médias sociaux. Par ailleurs, le caucus devra comprendre que c’est maintenant lui le chef. Pour certains députés, ce sera donc la fin de la récréation. Erin O’Toole devra leur démontrer qu’il a la meilleure stratégie pour réussir.
2 – Être clair sur les enjeux sociaux
Au cours de la course à la chefferie, Erin O’Toole a grandement courtisé les conservateurs sociaux. Le député de Durham devra donc clairement expliquer sa position sur certains enjeux de société. Sinon ses adversaires utiliseront ces zones de flou contre lui, comme ils l’ont fait avec Andrew Scheer. Durant la course à la chefferie, il a parfois hésité à donner sa position personnelle sur le dossier de l’avortement. S’il veut pouvoir tourner la page sur cet enjeu, il devra rappeler qu’il est pro-choix et également rassurer les Canadiens et les Canadiennes sur le fait qu’un gouvernement conservateur ne rouvrira pas ce débat.
3 – Élargir la base conservatrice du parti
En 2019, les conservateurs ont remporté le vote populaire avec 34 % des intentions de vote, mais ils ont « seulement » obtenu 121 sièges à la Chambre des communes. Le défi est de taille pour Erin O’Toole : il doit inévitablement élargir la base conservatrice. La concentration du vote bleu dans l’ouest du pays ne donne pas la lecture réelle de l’humeur des électeurs canadiens. C’est bien beau, en effet, de remporter 69 % du vote en Alberta, mais la province compte seulement 34 sièges… Le nouveau chef conservateur devra donc travailler activement sur l’Ontario, le Québec et les provinces de l’Atlantique. Une évidence difficile à matérialiser tant les principes fondamentaux du parti sont nombreux et apparemment immuables. Le nouveau leader de la droite canadienne devra présenter à ses troupes une stratégie pour conduire le PCC à la victoire et ses membres, à commencer par son caucus, devront le suivre.
4 – Se faire connaître
Erin O’Toole est actuellement peu connu des Canadiens. C’est pourquoi l’ex-ministre des Anciens Combattants a besoin d’accroître sa notoriété partout au pays. Une grande tournée s’impose. Mais le défi sera de taille avec la pandémie. Comment aller à la rencontre des Canadiennes et des Canadiens tout en respectant les règles de distanciation physique ? Ce sera un tour de force de la part de l’équipe responsable de la tournée du nouveau chef conservateur. Avec une élection possible en 2021, Erin O’Toole n’a pas le luxe du temps. Il doit rapidement faire ses valises pour profiter des tribunes qui lui seront offertes.
5 – Choisir un lieutenant politique pour le Québec
Pour Erin O’Toole, le choix du lieutenant est une décision très importante qui aura une influence sur les résultats des conservateurs lors de la prochaine campagne. Un seul député du Québec, Richard Martel, a décidé de donner son appui à Erin O’Toole durant la course à la chefferie. Ainsi, l’ancien entraîneur de hockey et député de Chicoutimi-Fjord pourrait bien devenir le nouveau lieutenant de l’équipe conservatrice. Une autre option pour le successeur d’Andrew Scheer serait de demander à Gérard Deltell de jouer ce rôle. Le député de Louis-Saint-Laurent est resté neutre durant la course cette année, mais il avait appuyé Erin O’Toole lors de la course en 2017. Une autre option serait de conserver le député de Richmond-Arthabaka, Alain Rayes, dans son rôle actuel de lieutenant. Cependant, il est fort possible que le chef décide de nommer un nouveau bras droit au Québec et ainsi imposer son leadership sur le parti.
6 – Former son cabinet fantôme
Très rapidement, Erin O’Toole devra former son cabinet fantôme. Il lui faudra récompenser les députés qui l’ont appuyé, mais également attribuer des postes prestigieux à ceux qui ont soutenu son principal rival, Peter MacKay. Ainsi, on peut penser que le nouveau chef n’hésitera pas à demander à des élus du clan MacKay d’occuper un rôle dans son équipe de direction à la Chambre des communes. C’est une belle façon de démontrer l’unité du parti après une campagne qui a créé la division. La composition du cabinet fantôme d’Erin O’Toole sera un bon indicateur du style et du ton qu’il souhaite emprunter dans les activités quotidiennes à la Chambre des communes.
7 – Travailler sur sa plateforme électorale pour l’après-pandémie
Avec le vote de confiance qui se tiendra à la suite de la présentation du discours du Trône par le premier ministre, Justin Trudeau, Erin O’Toole doit demander à son équipe électorale de monter rapidement une plateforme électorale conservatrice. Il devra présenter une vision aux Canadiens. Il devra les faire rêver. Il devra leur présenter l’image du Canada sous son règne. Il devra nous dire comment la vie des Canadiens s’améliorera et comment notre pays sortira encore plus fort de la pandémie. Très souvent, les conservateurs présentent des politiques qui sont bonnes, raisonnables et sensées, mais cela prend plus que cela pour convaincre l’électeur. Dans le contexte de la COVID-19, le député natif de Montréal aura également la lourde tâche d’expliquer comment il équilibrera les finances du pays. Habituellement, les conservateurs aiment discuter de budget équilibré et de baisse d’impôts en pleine campagne électorale. Mais il y a fort à parier que ces deux thèmes ne seront pas au cœur de leur plateforme. Ainsi, il faudra un plan financier clair pour montrer aux Canadiens comment un gouvernement O’Toole remettra le Canada sur la bonne voie.
8 – Trouver un potentiel ministre des Finances
Pour mettre en place un plan constructif pour la relance économique du pays, Erin O’Toole devra désigner son ministre des Finances dans un nouveau gouvernement conservateur. Le nouveau chef devra s’assurer d’avoir un candidat pour un poste économique dans ses rangs. Trouver cette perle rare est désormais incontournable, avec la nomination de Chrystia Freeland aux finances. Elle a la chance d’avoir une image positive dans les médias, et ceux-ci chercheront activement à voir qui pourrait prendre sa place dans un gouvernement O’Toole. En 2018, dès le début de la campagne électorale, François Legault avait déjà en tête qui serait son futur ministre des Finances. Il était clair qu’Éric Girard avait le profil de l’emploi. La tâche peut sembler simple, mais convaincre un as des chiffres de faire le saut en politique n’est pas toujours évident.
9 – Convaincre Peter MacKay de se présenter comme candidat
Pour obtenir de bons résultats dans les provinces de l’Atlantique, Erin O’Toole devra convaincre son principal rival, Peter MacKay, de se présenter comme député en Nouvelle-Écosse lors de la prochaine campagne électorale. Actuellement, les conservateurs ont seulement quatre sièges à l’est du Québec et un seul député en Nouvelle-Écosse. La candidature de Peter MacKay permettrait au chef de la droite canadienne d’améliorer sa députation dans une région du pays où le potentiel de gains est significatif.
10 – Améliorer son français
Les progrès qu’Erin O’Toole a faits au cours des dernières années dans sa maîtrise de la langue de Molière ne sont pas suffisants pour lui permettre de se présenter au débat en français contre Justin Trudeau et Yves-François Blanchet. L’ancien ministre des Anciens Combattants devra travailler fort sur l’accord du masculin et du féminin, par exemple. Il devra faire deux choses rapidement. Premièrement, il devra avoir des francophones dans sa garde rapprochée. Quotidiennement, il devra s’exprimer en français et s’imprégner des enjeux du Québec. Deuxièmement, il devra passer plusieurs semaines en immersion au Québec, en faisant appel à une école de langue.
11 – Une bonne relation avec François Legault
Pour réussir au Québec, Erin O’Toole devra entretenir une bonne relation avec François Legault et la Coalition avenir Québec. Le nouveau chef conservateur aurait intérêt à organiser rapidement une rencontre avec le premier ministre du Québec. Durant la course, Erin O’Toole était le seul candidat à présenter une plateforme spécifiquement pour le Québec. Quelques éléments, notamment l’élaboration de nouvelles ententes administratives avec le gouvernement du Québec et l’accroissement de l’autonomie de la province en matière d’immigration, sont des points qui pourraient séduire François Legault.
12 – S’occuper de l’environnement
Pour remporter la prochaine campagne, Erin O’Toole doit courtiser les 18-34 ans. Nous savons que l’environnement est en enjeu prioritaire pour cette tranche de l’électorat. Ainsi, l’ancien ministre dans le gouvernement de Stephen Harper devra élaborer un plan et, surtout, démontrer que les changements climatiques sont au cœur de ses priorités. Les électeurs veulent sentir que les conservateurs sont sérieux dans leur désir de faire en sorte que notre pays soit plus vert. Bien entendu, le chef conservateur dira qu’il est contre une taxe sur le carbone, mais il devra faire la démonstration que sa solution de rechange est meilleure que le plan proposé par Justin Trudeau.
Je pense que les Canadiennes et les Canadiens mènent en général des débats très malsains relativement à divers enjeux sociaux. Ce qui est le cas notamment sur la question de l’avortement. Je suis loin d’être même convaincu que ce soit un débat qui devrait relever de la politique, lorsque tout cela est une question santé publique. Il vaut mieux se fier aux professionnels sur ce genre d’interventions.
Vouloir que le nouveau chef de l’opposition prenne position sur cette question aura pour effet d’occulter les vraies questions de société qui se poseront inéluctablement au cours des prochaines années.
Si nous voulons vraiment un débat politique ayons plutôt un débat sur la santé. Toute la santé, incluant les ressources en santé mentale et les soins qu’il faut prodiguer aux personnes âgées.
Notre système électoral est ainsi fait que le nombre de voix ne détermine pas le nombre de sièges. Depuis le temps que nous l’avons, n’est-ce pas assez dommage que messieurs Harper ou encore Scheer n’aient pas travaillé sur un mode de scrutin alternatif ? Est-il si vrai que les Canadiens soient si attachés à ce mode de représentation ?
Étant donné que la pandémie n’est pas derrière nous. Travailler de façon péremptoire sur l’après n’est pas une solution intéressante. Il faut être capable de travailler sur plusieurs niveaux, produire une plateforme électorale est la manière la plus sure de se planter à long terme. Ce qu’il faut c’est un plan avec beaucoup de flexibilité. Ce qu’il faut c’est définir les enjeux. Ce qu’il faut c’est inspirer la confiance.
Si faire rêver les électeurs est la solution, il vaudrait mieux dans ce cas vider des litres de LSD dans les cuves d’eau potables des villes comme l’avait préconisé en son temps l’activiste et psychologue Timothy Leary. Résultats garantis….
Bref si je devais donner à monsieur O’Toole un conseil, c’est qu’il reste lui-même. De toute évidence cela semble jusqu’à présent lui avoir bien servi.
Un petit mot encore sur les taxes carbones. Actuellement, la plupart des économistes sérieux admettent que les taxes sur le carbone n’apportent toujours pas les résultats escomptés en matière de réduction de gaz à effet de serre. C’est donc sur les objectifs qu’il faut travailler, sur les moyens qu’il faut développer et sur le financement de ces développements. Si nous pouvons nous payer des déficits abyssaux pour soutenir l’économie en période de pandémie, nous pouvons alors nous payer des déficits récurrents pour sauver la planète.
Vous écrivez « Depuis le temps que nous l’avons [le système électoral uninominal à un tour], n’est-ce pas assez dommage que messieurs Harper ou encore Scheer n’aient pas travaillé sur un mode de scrutin alternatif ? » Je sens un peu de sarcasme ici car pour les conservateurs ce serait un désastre et ils n’auraient à peu près aucune chance de former un gouvernement de coalition avec un autre parti car tous les autres sont à tendance progressiste. C’est la grosse erreur de Trudeau et des libéraux de ne pas avoir sauté sur l’occasion quand ils le pouvaient et étaient majoritaires – cela leur aurait assuré le pouvoir (quoique partagé) pour un avenir prévisible. La proportionnelle au Canada ne jouerait pas en faveur de la droite religieuse et le parti de M. O’Toole est justement celui de la droite religieuse, la Bible Belt, canadienne.
@ NPierre,
Comment ? Moi ! Faire le moindre sarcasme. Mais vous n’y pensez pas !
Blague à part, je suis de votre avis. Je pense que Trudeau risque de s’en mordre les doigts de ne pas avoir modifié le mode de scrutin lorsqu’il en avait le temps et les moyens. De nombreux pays démocratiques dans le monde partagent le gouvernement avec d’autres formations, cela n’empêche pas d’obtenir une très bonne gouvernance.
À notre époque, ce qui est bénéfique, c’est de trouver l’harmonie tout en conjuguant les talents.
DE GUERRE LASSE…
Les conservateurs ont battu du tambour sur leurs 175 000 membres votants.
Le dépouillement des votes a été un fiasco.
O’Toole a fini , de guerre lasse, par se faire élire avec, environ, 19 200 voix….
C’est pour le moins faiblard !
Il va falloir qu’il rallie les troupes, mais les scissions sont importantes.
Son ‘apparente jovialité ne suffira certes pas au Québec : son afect vibre au même tempo que celui de Scheer…
Et puis, pour finir un mot sur le discours trumpiste d’Andrew Scheer : l’ouverture de la chasse aux sorcières!
Si ce parti déjà rétrograde glisse si bas que cela, il n’est nullement souhaitable de le voir réémerger.
Lire « son affect » (sous réserve de son existence)
Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse. Ce ne sera vraiment pas une mince tâche! J’ajouterai à votre liste l’ajout à son équipe personnelle d’un spécialiste de l »image: pas pour le changer, il doit rester lui-même, mais pour lui donner d pempetits conseils simples et pratiques sur son habillement, la façon de créer de l’intérêt autour de lui: dans les médias et surtout chez les moins-perçus de 40 ans. Son manque de charisme pourra lui nuire. Par contre, si les gens le croient profondément sincère,s’il arrive avec un programme qui se défend et surtout s’il évite d’être flou sur les sujets chauds, il pourrra surprendre
.Dans mon cas, j’en suis pratiquement rendu à dire » n’importe qui sauf Trudeau » pour le prochain mandat. C’est vous dire…