Les ambitions d’Obama vis-à-vis de Téhéran passent par Bagdad

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Vendredi 1er novembre, le premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, achèvera une visite de trois jours aux États-Unis par une rencontre avec le président Obama. Si ce dernier ne doit pas négliger, comme le lui ont rappelé d’influents sénateurs, la responsabilité de Maliki dans les violences qui agitent actuellement l’Irak, il ne doit pas non plus oublier que ses ambitions pour la redéfinition de la politique américaine au Moyen-Orient passent par Bagdad.

La résurgence de la violence à grande échelle en Irak

Le Chiite Nouri al-Maliki est arrivé à la tête du gouvernement irakien en 2006. Reconduit après de longs mois de tractations en 2010, il aspire à obtenir un troisième mandat lors des élections générales prévues le 30 avril 2014.

Sa visite de cette semaine aux États-Unis — la première depuis 2011 — intervient dans un contexte de résurgence de la violence à grande échelle en Irak. Le premier ministre irakien aura donc logiquement insisté au cours de ses discussions avec le vice-président Biden, avec le secrétaire à la Défense Hagel et avec le président Obama sur la nécessité de renforcer la coopération entre l’Irak et les États-Unis en matière de sécurité.

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La recrudescence de la violence en Irak depuis le début de 2013 est en partie imputable aux actions menées par le gouvernement Maliki. Depuis 2006, il est critiqué pour son peu d’empressement à mener un processus de réconciliation entre les différentes communautés, pour son inefficacité et sa corruption, ainsi que pour ses tendances autocratiques. Ces doléances, essentiellement exprimées par la minorité sunnite, ont été durement réprimées en avril dernier alors que les autorités ont répliqué par la force à un mouvement de protestation jusque-là pacifique.

Les tensions entre communautés sur la répartition du pouvoir au sein du système politique irakien n’expliquent cependant pas à elles seules la dégradation de la situation sécuritaire depuis le début de l’année. Les dynamiques régionales jouent en effet également un rôle majeur. L’Irak est aujourd’hui à double titre au centre du nouvel épisode de la rivalité entre les Chiites, emmenés par l’Iran, et les Sunnites, dont le principal fer de lance est l’Arabie saoudite.

D’une part, le territoire irakien sert de zone de transit à l’assistance que l’Iran fournit à son allié syrien, le régime de Bachar al-Assad. D’autre part, les insurgés sunnites engagés dans la guerre civile en Syrie et appuyés notamment par l’Arabie saoudite exploitent la porosité de la frontière irako-syrienne.

Or, l’Irak n’est pas qu’une voie de passage pour les différentes parties au conflit syrien. Il en est aussi de plus en plus une victime collatérale. Un rapport récent de l’International Crisis Group relève ainsi que certains groupes sunnites irakiens entendent capitaliser sur les succès de l’insurrection en Syrie pour mobiliser plus d’hommes et obtenir plus d’armes pour lutter contre le gouvernement Maliki considéré par bien des Sunnites irakiens comme une marionnette de Téhéran.

L’importance de l’Irak dans la stratégie d’Obama pour le Moyen-Orient

Maliki est bien conscient que l’insécurité qui prévaut actuellement dans son pays fragilise son pouvoir et nuit à ses chances pour les élections d’avril prochain. Il a donc logiquement plaidé au cours de sa visite à Washington pour un renforcement de la coopération dans la lutte contre le terrorisme et pour l’accélération de la livraison d’armement. L’administration Obama doit profiter de cette vulnérabilité de Maliki pour en faire un partenaire.

Après tout, les Américains n’ont pas perdu plus de 4 000 soldats et dépensé des centaines de milliards de dollars pour que l’Irak sombre dans le chaos et la guerre civile. Pays majoritairement arabe et chiite, doté d’un régime semi-démocratique, l’Irak est au cœur des principales tensions qui animent le Moyen-Orient : Sunnites contre Chiites ; régimes autocratiques contre aspirations démocratiques ; et pays du Golfe regroupés au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) contre Iran. Dans la perspective du grand jeu diplomatique que Barack Obama semble vouloir ouvrir en lançant un dialogue avec l’Iran, les États-Unis ont donc besoin d’un Irak fort.

Depuis la révolution islamique de 1979 en Iran, la présence américaine au Moyen-Orient repose en effet essentiellement sur l’alliance avec les régimes sunnites, en particulier l’Arabie Saoudite. Si cette alliance a pu avoir des vertus, notamment en matière d’approvisionnement pétrolier, elle a également alimenté l’islamisme radical qui frappa les États-Unis le 11 septembre 2001. En misant sur une transformation profonde du Moyen-Orient ayant comme point de départ le changement de régime en Irak, les néoconservateurs de l’administration Bush avaient identifié un levier intéressant pour extirper les États-Unis d’une relation ambiguë avec les régimes sunnites.

Empêtrée dans les sables mouvants de la contre-insurrection en Mésopotamie et aveuglée par une vision manichéenne qui l’empêchait de voir les perspectives prometteuses d’un dialogue avec l’Iran (le président Ahmadinejad n’était pas non plus le partenaire le plus facile), l’administration Bush ne parvint cependant pas à capitaliser sur les opportunités stratégiques ouvertes entre 2001 et 2003.

Libéré d’un conflit irakien qui a nourri l’impopularité des États-Unis sur la scène internationale, en plus d’avoir évité le piège d’une nouvelle intervention armée dans un pays musulman (en renonçant à des frappes contre la Syrie de Bachar al-Assad) et trouvé — enfin — un interlocuteur a priori ouvert à la discussion en la personne du nouveau président iranien Rouhani, Barack Obama peut se lancer dans une grande entreprise de rééquilibrage des relations américaines au Moyen-Orient dont les bénéfices à moyen et long terme seraient nombreux.

Cette entreprise sera parsemée d’embuches. Pas tant de la part d’un allié israélien (et de ses relais au Congrès légitimement préoccupés par les ambitions nucléaires de Téhéran) que de la part des pays arabo-sunnites du Golfe, qui redoutent de voir l’Iran être reconnu comme une puissance régionale incontournable et alliée des États-Unis.

L’administration Obama doit donc profiter de la visite de Maliki à Washington pour replacer l’Irak au cœur de sa grande stratégie pour le Moyen-Orient. Elle ne peut pas se contenter de satisfécits généraux et creux sur le partenariat durable entre les deux pays.

 

Julien Tourreille
Directeur adjoint de l’Observatoire sur les États-Unis

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