Les ministres des Finances ne comptent plus

L’époque des ministres des Finances tout-puissants, personnifiés par les Landry, Parizeau, Chrétien ou Martin, est révolue. Désormais, qui se soucie de l’opinion d’Eric Girard ou de Chrystia Freeland ? 

akinbostanci / Getty Images / CAQ / montage : L’actualité

À l’heure où Chrystia Freeland et Eric Girard planchent sur leur prochain budget, leur avenir comme ministres des Finances respectivement à Ottawa et à Québec est souvent évoqué. On prête depuis longtemps à la première l’ambition de succéder à Justin Trudeau à la tête du Parti libéral du Canada, tandis que le nom du second a circulé comme candidat potentiel chez les conservateurs fédéraux.

La figure du ministre des Finances n’est pourtant plus un gage de victoire. Dans son livre paru en janvier (Où allons-nous à partir de là : Un chemin vers la prospérité canadienne), Bill Morneau relate ses difficultés à parler à son patron en tête à tête lorsqu’il était ministre des Finances de Justin Trudeau.

Il fut néanmoins une époque où le bureau du ministre des Finances était pratiquement une salle d’attente avant d’accéder au poste de premier ministre. Jean Chrétien et Jacques Parizeau, par exemple, ont pu y faire croître leur prestige. Mais c’est surtout à la faveur du combat contre les déficits des années 1990-2000, où les gouvernements canadien et québécois ont convaincu les électeurs que les déficits étaient l’ennemi public numéro un, que la figure du ministre des Finances est devenue celle d’un superhéros économique au secours de la nation.

Bernard Landry au Québec, Paul Martin au Canada ou Gordon Brown au Royaume-Uni, pour ne nommer que ceux-là, ont tous bénéficié de cette image d’hommes responsables qui regagnaient les allées verdoyantes de la prospérité, pour citer Landry.

Peu importe les moyens utilisés — déficits pelletés dans la cour des gouvernements inférieurs ou sous-estimations des surplus financiers —, cette aura politique leur a servi de tremplin pour les hautes fonctions. Leurs qualités de leaders par la suite ? C’est une autre histoire. Leur longévité comme premiers ministres n’aura pas été des plus grandes…

L’étoile du super-ministre des Finances a commencé à pâlir durant les années Charest, lors du dégommage d’Yves Séguin après moins de deux ans en poste. La spontanéité du ministre sur le déséquilibre fiscal et le fédéralisme prédateur d’Ottawa, en plus de sa réticence à baisser les impôts de manière inconsidérée, avaient incité le premier ministre à lui préférer une figure taciturne comme Michel Audet.

De même, à Ottawa, qui se souvient de Ralph Goodale (ministre des Finances de Paul Martin) ? L’aura a aussi pâli en raison des ficelles politiques de plus en plus visibles, comme ce stratagème répété de prévisions volontairement pessimistes, où des surplus survenaient magiquement en fin d’exercice financier.

La crise mondiale de 2008 a également forcé une certaine littératie économique, menant à moins de crédulité. L’heure était à la responsabilité tranquille et raisonnable, pour reprendre le cliché, avec Jim Flaherty à Ottawa et Raymond Bachand à Québec. Le poste de ministre des Finances a lentement été subordonné aux choix (politiques) du premier ministre.

Si bien que, dans son récent entretien avec Gérald Fillion, il était presque rafraîchissant d’entendre Carlos Leitão, ministre de 2014 à 2018, faire son mea-culpa sur les compressions exigées par Philippe Couillard lors des deux premières années de son mandat.

On se souvient du budget de l’éducation de 2015 haussé de 0,2 %, bien en deçà de l’inflation, ce qui constituait de facto une baisse. De plus, le gouvernement de Philippe Couillard voulait resserrer les règles de départ anticipé, ce qui a aussi incité des enseignants à s’en aller. Et sa politique d’austérité était claire : on ne remplacerait pas les personnes ayant quitté leur poste. Ce qui a certes contribué à la pénurie de main-d’œuvre actuelle.

Idem pour la santé, où le président du Conseil du Trésor Martin Coiteux tenait les cordons de la bourse comme un Picsou. L’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette n’a jamais digéré d’apprendre l’existence d’un surplus de 7,6 milliards de dollars après l’élection de 2018. Un jour, Philippe Couillard et Martin Coiteux devront sortir de leur mutisme.

Ces exemples marquent désormais la fonction de ministre des Finances. Équilibrer les comptes n’est plus un programme politique suffisant. Les huit baisses d’impôts provinciales recensées au Québec depuis 30 ans sont oubliées.

Aujourd’hui, Eric Girard a beau évoquer les baisses d’impôts en prévision de son prochain budget, le discours du ministre n’est plus parole d’évangile. La majorité des économistes, l’Institut du Québec et le Conseil du patronat s’alignent avec les syndicats pour s’y opposer, afin de combler les besoins de l’État d’abord.

À Ottawa, la figure a aussi été malmenée, mais différemment. La pandémie aurait pu faire de Bill Morneau un intouchable avec ses mesures d’aide ; il est pourtant parti dans la tourmente après le scandale UNIS (WE Charity), dans lequel lui et son gouvernement avaient été accusés de conflit d’intérêts avec l’organisme qui avait reçu un contrat de 20 millions de dollars de l’État.

Mais ce sont surtout ses doléances, exprimées dans son livre, qui sont révélatrices. Il se plaignait du peu d’accès à son premier ministre ainsi que des aides tous azimuts offertes par son gouvernement durant la pandémie. On a beaucoup mis ça sur le compte de son inexpérience comme élu.

C’est peut-être plus profond que cela. Le ministre des Finances n’est plus l’antichambre du pouvoir. Il n’est plus l’assise incontournable d’un gouvernement. Il est même devenu, dans le cas de Morneau, un acteur secondaire. Chrystia Freeland devrait prendre des notes.

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