Dominic Vallières a, pendant plus de 10 ans, occupé les postes d’attaché de presse, de porte-parole, de rédacteur de discours et de directeur des communications auprès d’élus de l’Assemblée nationale et des Communes (Parti québécois, Bloc québécois, Coalition Avenir Québec). Il est directeur chez TACT et s’exprime quotidiennement comme analyste politique à QUB radio.
Pour la seconde fois depuis l’adoption de la loi sur les élections à date fixe en 2013, le scrutin se tiendra comme prévu le premier lundi d’octobre. Si tout était nouveau en 2018, les élections qui seront déclenchées sous peu nous permettent déjà de voir que des éléments se répètent et qu’ils deviendront des incontournables.
Parmi ceux-ci, il y a le constat que les élections à date fixe se déroulent en quatre temps.
Vous vous souvenez peut-être des premières promesses du PQ en août 2018 ? Son chef de l’époque, Jean-François Lisée, proposait de l’argent pour le matériel scolaire et de l’aide pour les lunchs. Ces sorties avaient été tournées en dérision. Or, pour la campagne actuelle, le Parti libéral de Dominique Anglade a présenté, lors d’une toute première sortie… une aide financière additionnelle pour le matériel scolaire (215 dollars par enfant). Certains se sont interrogés : pourquoi reprend-on la même stratégie ?
J’avance cette hypothèse : en ce moment, bien que tous les Québécois qui suivent l’actualité connaissent la date du scrutin, peu ont la tête aux élections. Il faut profiter des dernières journées d’été, faire un ultime grand tour des amis, passer une dernière fin de semaine au chalet, au camping ou dans les parcs nationaux. Pour ceux qui ont des enfants, il faut aussi acheter le matériel scolaire pour la nouvelle année qui commence…
En faisant des propositions qui collent à la réalité des jeunes familles, un électorat très courtisé, les partis veulent envoyer le signal qu’ils comprennent leurs besoins et qu’ils sont donc en phase avec elles. Il s’agit en quelque sorte d’une mise en bouche.
Quant aux annonces plus costaudes de politiques publiques, elles risquent d’avoir un taux de pénétration moins intéressant que celles visant des éléments précis de la vie courante.
Je remarque aussi qu’on accorde une couverture beaucoup plus grande à la course aux candidatures, qui devient un indicateur supplémentaire de l’attractivité des partis. On ne se demande plus si les formations auront 125 candidats, mais bien quand ce sera fait.
Finalement, il me semble qu’on donne plus de place aux slogans qu’on ne l’a fait en 2014 ou en 2012, quand je participais au processus.
Nous sommes donc dans le premier temps de la campagne. Les partis sont actifs, sans se lancer dans des explications sur le cadre financier et les engagements majeurs. Les autocars sont, à l’exception de celui des conservateurs, encore remisés.
C’est au retour de la fête du Travail que les choses sérieuses commenceront. Une fois la rentrée derrière eux, les Québécois ouvriront plus grand les oreilles pour suivre la campagne. La préparation au premier débat des chefs marquera cette période. Comme on voudra rendre publics un maximum d’engagements avant cette rencontre, on se bousculera au portillon pour faire des points de presse le plus tôt possible dans la journée, et ainsi imposer le « narratif » de la campagne.
Le processus est simple : chaque parti tiendra un point de presse sur le sujet de son choix. De ces cinq sujets, un seul prédominera dans l’espace médiatique et amènera les quatre autres partis à réagir. La formation qui réussira à imposer son thème « gagnera » donc la journée. Notez qu’un parti attirera parfois une plus grande couverture que ses compétiteurs, mais pour les mauvaises raisons. Déclarations maladroites ou malheureuses d’un candidat, drôles de fréquentations, commentaires gênants surgissant du passé pour se retrouver à la une des journaux : les possibilités de faire dérailler la campagne sont nombreuses.
L’œil avisé remarquera que si beaucoup de candidats se trouvent déjà dans l’embarras, les déclarations les plus embêtantes feront surface au lendemain du jour limite pour enregistrer des candidats, soit le 17 septembre. La logique est simple : si un chef décide de se départir d’un candidat, il ne peut le remplacer qu’avant la date limite. Si celle-ci est dépassée, le parti se retrouvera donc avec 124 candidats, ou 123, ou 122… et ne recevra pas de votes dans les circonscriptions où la candidature aura été retirée. Comme le financement des formations est en grande partie public au Québec, moins de votes équivaut à moins d’argent, pour quatre ans. L’incitatif est donc important !
La troisième période correspond aux débats. Les caravanes sont à l’arrêt, un certain flottement se fait sentir. C’est le moment, hormis l’attente des résultats, où la pression est au maximum sur les équipes de campagne. On fait des répétitions du débat, on révise les attaques, on affine le discours d’ouverture et de fermeture. Puis, l’instant venu, tous se dirigent vers le studio de télévision. Si des centaines de milliers de Québécois écoutent le débat, quelques dizaines l’écoutent avec une boule au ventre, espérant que leur chef en sortira vainqueur — ou, minimalement, qu’il ne perdra pas de plumes.
La dernière période commence dès le lendemain avec le redémarrage des caravanes. Les débats sont terminés, la conjoncture est clairement favorable ou défavorable (ou à effet nul) à un parti, on passe d’une campagne pour convaincre à une logistique de « sortie de vote ». Les électeurs sont identifiés, ils doivent maintenant se rendre aux bureaux de scrutin. C’est ici que vous entendrez ce qu’on nomme les appels au vote. « J’ai besoin d’une majorité », « je veux rassembler », « écrivons l’histoire » sont autant de phrases qui feront leur apparition dans la bouche des chefs.
Je ne vous mentirai pas, même après autant de campagnes, ma fréquence cardiaque s’est emballée pendant que je rédigeais ces lignes. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai hâte !