
Le sénateur Mike Duffy a réussi, avec ses révélations en cascade, à pousser le premier ministre Stephen Harper dans les câbles, de même qu’à le rendre encore plus vulnérable aux attaques de l’opposition et, en particulier, aux questions incisives du chef néo-démocrate Thomas Mulcair. Tout ça à la veille d’un congrès national du Parti conservateur qu’on espérait pouvoir calmer en lui jetant en pâture trois sénateurs en disgrâce.
Il ne devait pas en être ainsi dans le scénario imaginé par les conservateurs. Ils n’avaient pas prévu que M. Duffy jouerait son va-tout. Qu’il déballerait son sac avec méthode. Si le premier ministre et son entourage n’avaient pas prévu que le sénateur refuserait de couler tout seul, ils ont fait preuve d’une méconnaissance étonnante du personnage.
Mike Duffy a révélé que ses frais d’avocat, engagés durant les tractations pour le pousser à rembourser ses allocations de dépenses injustifiées, ont été payés par l’avocat du Parti conservateur, Arthur Hamilton. M. Duffy a même déposé auprès du greffier du Sénat un message de l’avocat et une copie du bordereau de chèque. On n’a pas vu la facture à l’origine de ce paiement venant de la firme d’avocats de M. Hamilton, mais on a tout de suite que l’argent venait du Parti conservateur. Ce qui était exact.
Le parti et le premier ministre ont confirmé la chose en disant qu’il était monnaie courante pour un parti d’aider les membres du caucus à payer des frais juridiques liés à leur fonction. À l’époque, M. Duffy était toujours membre du caucus conservateur. Pamela Wallin et Patrick Brazeau aussi, mais ils n’ont eu droit à aucune aide. Pourquoi ? M. Harper a esquivé la question quand elle lui a été posée en Chambre. Il n’a pas été capable de dire non plus pour quels services l’avocat de M. Duffy avait été payé.
M. Duffy a aussi soutenu que c’est le bureau du premier ministre (BPM) qui a suggéré au sénateur de mentir sur la source des 90 000 $. Anticipant des questions à ce sujet, des membres du BPM auraient conseillé à M. Duffy de dire qu’il avait contracté un prêt pour ce faire. Il a dit avoir des preuves de cela, mais il ne les a pas fournies. On n’a donc que sa version des faits.
Le premier ministre a répliqué à ces allégations en affirmant qu’une seule personne de son entourage avait été complice de Mike Duffy dans cette «tromperie», et c’était nul autre que son ancien chef de cabinet Nigel Wright. Un homme qu’il dit maintenant avoir renvoyé alors qu’il avouait, en mai dernier, regretter sa démission.
Fait à noter, M. Harper s’est montré plus prudent mercredi aux Communes. Car il y a des risques à sacrifier ainsi des gens qui croyaient vous servir loyalement. Si M. Wright décide de défendre sa réputation, qui sait ce qu’il pourra révéler.
Les stratèges conservateurs ont voulu prouver aux partisans conservateurs que le premier ministre partage l’indignation de sa base face aux abus des trois sénateurs et qu’il veut, comme elle, qu’ils soient sévèrement punis.
Mais en voulant se présenter comme l’intraitable défenseur de l’éthique parlementaire qui n’a pas peur de sévir, M. Harper a dû se contredire, en particulier sur le cas de M. Wright. Il a dû aussi laisser bien des questions sans réponse, donnant du même coup du poids à l’accusation de M. Duffy voulant qu’il n’ait jamais été question d’éthique dans cette affaire, mais toujours de politique. Que son but était d’apaiser sa base.
En menaçant de suspendre sans salaire les sénateurs Wallin, Duffy et Brazeau, au moyen d’une procédure d’exception, il les a poussés à briser le silence qu’ils observaient en attendant la fin des enquêtes policières. Bref, les conservateurs ont joué avec le feu et se sont brûlés.
Devant ce fouillis, le premier ministre tente encore de s’en laver les mains en prétendant que le Sénat agit de façon indépendante. Il y a bien eu des contradictions entre M. Harper et son leader parlementaire au Sénat, Claude Carignan, mais elles sont un écran de fumée. La preuve en est que M. Carignan a présenté une nouvelle motion «du gouvernement» jeudi , qui regroupe et nuance les trois motions de suspension – les trois sénateurs pourraient garder leur assurance-santé complémentaire et leur assurance-vie.
Cette motion «du gouvernement» n’a pas été présentée avant pour sauver les apparences – et permettre un vote libre, disent certains -, mais en optant au départ pour de simples motions, les conservateurs se sont piégés eux-mêmes. Ils se sont retrouvés privés des outils procéduraux nécessaires pour limiter les débats. La nouvelle motion n’est donc que ça, une astuce pour contourner le problème et arriver à tenir le vote plus rapidement. Les conservateurs espéraient que ce soit avant le discours de M. Harper, vendredi soir, devant ses militants réunis en congrès à Calgary. Des militants qui sont mécontents du gâchis et qui risquent de le faire savoir en fin de semaine, d’autant plus que le vote au Sénat n’aura lieu que la semaine prochaine.
Et il n’y a pas que les conservateurs qui grincent des dents. M. Harper et son parti glissent dans les sondages. Les trois principaux partis fédéraux seraient maintenant au coude à coude, selon Ipsos Reid, le Parti conservateur arrivant troisième par un point derrière les libéraux et les néo-démocrates.
La majorité des Canadiens se disent d’accord avec les sanctions que les conservateurs veulent infliger aux trois sénateurs, mais presque autant d’électeurs affirment ne pas croire la version du premier ministre, révèlent les deux sondages publiés mardi, Ipsos Reid et Ekos. Le sondage Ekos montre même que plus de gens croient M. Duffy que M. Harper, et que l’étoile de ce dernier a sérieusement pâli.
M. Harper ne pourra pas toujours dire que c’est la faute des autres. Tous les protagonistes de cette saga ont été nommés par lui et plusieurs sont encore en poste. Au Sénat, au parti et au BPM. Il n’y a que lui qui peut répondre de ses choix.
M. Harper s’est précipité lui même dans les sables mouvants. Dans ces sables, plus on se débat de façon malhabile plus on s’enfonce.
Il y aura-t-il une âme charitable pour lancer une corde solide, attachée à un arbre solide, pour l’aider à s’extraire de ce bourbier?
Personnellement, je ne le souhaite pas, tellement j’ai peu de sympathie pour ce Monsieur le contrôleur maladif. Je souhaite même qu’il soit avalé, politiquement parlant, par cette boue fangeuse et carnivore où il a volontairement mit les pieds.
De toute évidence les règles du Sénat sont à revoir, et cet épisode devrait servir de carburant à haut indice d’octane pour se faire.
Les sénateurs ne sont pas seuls coupables. Il y a des circonstances qui mitigent en faveur des accusés : l’ambiguïté des règles est avérée. Donc, acte.
Je crois que M. Harper dépasse ses prérogatives et que la constitution ne permet pas au Premier ministre d’intervenir de cette façon dans cette institution. Je verrais d’avantage les provinces intervenir dans ce dossier. Après tout, ces sénateurs ne les représentent-ils pas ces provinces? Le Sénat n’est pas la chose du Premier ministre, ni hier, ni aujourd’hui. Le Sénat appartient au Parlement dans son ensemble. Ce n’est pas le bureau du Premier ministre.
Le Premier ministre souhaite tellement tout contrôler qu’il perd la notion des choses. Chaque chose à sa place et une place pour chaque chose. Mais M. Harper déteste que quoi que ce soit lui échappe. Il veut tout contrôler. Qui trop embrasse mal étreint, c’est bien connu. M. Harper devrait lire autre chose que des traités d’économie.
Comme le faisait remarquer M. Clark, interviewé par Peter Mansbridge, et incapable de retenir un sourire discrètement malicieux, très éloquent, M. Harper aurait dû et devrait consulter des sages qui ont été là avant lui et qui ont eu l’intelligence de ne pas faire ce qu’il a fait. Mais M. harper est très orgueilleux… » Harper knows best » pour paraphraser cette émission bien connue.
M. Harper n’est pas aussi intelligent qu’il le croit. Preuves à l’appui. 🙂
Au revoir? M. Harper.
Vous écrivez : « Les stratèges conservateurs ont voulu prouver aux partisans conservateurs que le premier ministre partage l’indignation de sa base face aux abus des trois sénateurs et qu’il veut, comme elle, qu’ils soient sévèrement punis. »
Est-il possible que les stratèges du parti ne soient pas tellement doués ? Cela ne fait-il pas mal paraître la base qui ainsi s’indignerait pour tout et pour rien ? En situation de crise, il faut faire face à la musique, dire les vraies choses au gens, la vérité reste encore la meilleure arme, les gens pardonnent facilement lorsqu’ils s’identifient à un homme qui est comme eux. Depuis quand un premier ministre se devrait-il d’être une icône ?
En quoi des punitions exceptionnelles contre trois sénateurs peuvent-elles rassurer l’opinion publique ? Sur ce point, j’ai de la difficulté à suivre l’apparente majorité des gens. Cela ouvre selon moi la porte à toutes formes d’arbitraires, l’arbitraire ouvre la porte à toutes les formes de totalitarisme. Rien à voir avec de saines et vigoureuses institutions démocratiques qui reposent sur l’État de droit. Comment les gens peuvent-il se contenter par ces sanctions projetées ?
Au terme de l’exercice, en faisant mal paraître le Sénat, ce sont toutes les institutions qui en pâtissent. Tout cela est contre-productif, vient contredire des mots tels que progrès et évolution. Nous nous enfonçons dans les ténèbres, les profondeurs d’une société archaïque et tout bonnement primitive.
Alors quelle serait donc la prochaine étape ?