L’espionnage existe pour vrai

Les accusations d’espionnage industriel contre un employé d’Hydro-Québec nous rappellent que cette pratique existe dans la vraie vie, pas seulement au cinéma. Ces menaces doivent être prises au sérieux par nos gouvernements, estime notre collaborateur.

Anatoliy Kidun / Getty Images / montage : L’actualité

Yan Plante est vice-président de l’agence de relations publiques TACT. Il est un ex-stratège conservateur ayant conseillé l’ancien premier ministre Stephen Harper lors de trois élections. Comptant près de 15 ans d’expérience en politique, il a également été chef de cabinet de l’ex-ministre Denis Lebel.

On m’a déjà dit que la seule façon de m’assurer que les conversations que j’avais avec mon ministre n’étaient pas sur écoute était d’éteindre nos cellulaires, de les laisser dans une pièce et d’aller chuchoter en marchant dehors. Et encore là, rien n’était totalement sûr. 

En tant que chef de cabinet d’un ministre fédéral des Transports, être informé de certaines menaces terroristes et d’espionnage était au sommet de ma liste de tâches, aussi surréalistes certains breffages pouvaient-ils me sembler parfois.

La plupart des pays développés font de la collecte de renseignements. Le Canada possède ainsi de l’information sur d’autres pays, et plusieurs en ont également sur lui. Nous faisons notamment partie du groupe des Five Eyes avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces cinq partenaires se transmettent des renseignements stratégiques qu’ils ont interceptés.

L’objectif premier de nos services de renseignements est de protéger la sécurité et les intérêts du Canada. À l’inverse, certains pays sont sans scrupules à notre égard et ont des visées industrielles potentiellement dangereuses pour notre économie. 

Si nous ne sommes pas vraiment une cible militaire, nous en sommes une pour nos ressources naturelles, ainsi que pour nos connaissances et notre développement technologique dans plusieurs secteurs névralgiques, comme l’aérospatiale. 

Et puisque nous sommes voisins de la plus grande puissance mondiale, entrer dans les bases de données du Canada pour tenter d’obtenir des informations sur les États-Unis ou pour déstabiliser l’économie américaine en nuisant aux chaînes d’approvisionnement entre les deux pays peut sembler attrayant et moins risqué que d’y aller de front. 

L’arrestation récente d’un employé d’Hydro-Québec, soupçonné d’avoir fait de l’espionnage industriel, représente une occasion de sensibiliser la population, les entreprises et même des politiciens au fait que le phénomène est réel, et qu’il faut faire le nécessaire pour diminuer les risques. 

Commençons par l’espionnage politique. Cette pratique existe partout dans le monde depuis très longtemps, et elle est bien documentée. La plupart des personnes qui ont voyagé à l’étranger dans le cadre de leurs fonctions gouvernementales le savent et pourraient ainsi vous dire que les précautions à prendre sont parfois extraordinaires… 

Si vous deviez faire un voyage diplomatique en Chine ou en Russie, je vous recommanderais par exemple de tenir pour acquis qu’il y aura des caméras et des micros dans votre chambre d’hôtel. Même chose dans les voitures qui vous transporteront à travers la ville pour vos rencontres officielles. Et comme tout bon agent de renseignements vous le suggérerait, ne prenez aucun risque au retour : jetez vos valises avant d’arriver à la maison. Du personnel de l’hôtel a possiblement placé des instruments miniatures d’écoute électronique dans vos bagages… 

Mais pourquoi les pays se surveillent-ils autant ? 

En premier lieu pour des raisons de sécurité nationale et de protection des alliés. Prenons l’agression de Vladimir Poutine en Ukraine. Les renseignements transmis continuellement à l’Ukraine aident assurément le pays à résister aux assauts.

Les États espionnent aussi pour connaître le fond de la pensée d’un autre pays dans le cadre de négociations commerciales, ou sur tout autre enjeu à haute tension. 

Il y a également de l’espionnage industriel — par lequel des pays mal intentionnés tentent d’obtenir des données stratégiques d’autres gouvernements ou d’entreprises étrangères. L’avènement des technologies rend cette pratique de plus en plus fréquente et complexe à contrer.

En Russie et en Chine notamment, la communauté internationale soupçonne que des milliers de gens travaillent à ne faire que cela : essayer d’entrer dans les systèmes informatiques des entreprises étrangères ou des gouvernements étrangers. 

Comment cela fonctionne-t-il ? Grâce aux moyens informatiques, les espions peuvent évidemment procéder à distance. Mais ils ont aussi l’option d’agir plus directement, en ouvrant par exemple un commerce dans un pays étranger, le plus près possible d’un parc industriel d’intérêt. L’idée est de se rapprocher physiquement de la cible, pour subtiliser plus facilement des informations stratégiques et faire des observations. Ce sont des moyens réellement utilisés par des pays hostiles et ils sont bien connus des gouvernements démocratiques.

Autre possibilité : les espions peuvent parfois tenter de s’infiltrer dans une organisation — c’est la prémisse du dossier de l’employé d’Hydro-Québec (qui est notamment accusé d’espionnage et de fraude ; il sera de retour en cour la semaine prochaine). 

Quand les pays qui nous espionnent obtiennent des secrets industriels, ils peuvent s’en servir de plusieurs façons. En essayant d’acheter une entreprise dans le secteur d’activité stratégique visé, par l’intermédiaire d’une entreprise (qu’ils dirigent) de leur pays. Ou encore en inondant le marché mondial d’une technologie semblable à celle mise au point et dérobée — qu’ils peuvent vendre à un prix que ceux qui ont fait les investissements en recherche et développement n’ont tout simplement pas les moyens d’offrir. 

Les conséquences peuvent être dramatiques pour les entreprises d’ici et leurs employés, et avoir des répercussions importantes sur l’économie canadienne.

C’est notamment pour ces raisons que le gouvernement du Canada s’est doté de la Loi sur Investissement Canada, à l’égard des investisseurs étrangers qui veulent acquérir des entreprises canadiennes stratégiques. La loi et le cadre décisionnel permettent au gouvernement de refuser une transaction si Ottawa soupçonne que l’acquéreur est en fait une société-écran à la solde d’un gouvernement étranger. Cette politique fédérale continue d’être renforcée régulièrement.

Ce sont des considérations semblables qui ont guidé le gouvernement Trudeau dans sa décision de bannir Huawei de la technologie 5G au Canada, plus tôt cette année.

Bien que tout cela semble très hollywoodien, la réalité dépasse parfois la fiction. L’incessant développement des outils technologiques favorise l’accroissement de ces menaces avec le temps. Autant nos gouvernements que nos grandes entreprises doivent faire le maximum pour s’en protéger.

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Jetez vos valises avant d’arriver à la maison. Du personnel de l’hôtel a possiblement placé des instruments miniatures d’écoute électronique dans vos bagages…
Vraiment? Comment ces instruments pourraient-ils fonctionné exactement? Ils seraient alimenté en électricité de quelle façon ? Ils transmettraient à quelle distance? Enfin, il est rare que l’on garde ses valises dans la même pièce où on a des conversations?