L’État gère mal ses morts

Il n’existe aucun critère ou grille d’analyse pour décider si des funérailles nationales doivent être organisées. C’est le règne de l’arbitraire, et cela devrait changer — le plus tôt possible, estime notre collaboratrice.

Ryan Remiorz / La Presse Canadienne ; montage : L’actualité

Députée libérale à Québec de 2007 à 2022, Christine St-Pierre a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, de même que ministre des Relations internationales et de la Francophonie. Journaliste à Radio-Canada de 1976 à 2007, elle a été courriériste parlementaire à Québec et à Ottawa, puis correspondante à Washington. 

Tout le Québec est en deuil à la suite du décès de Michel Côté, un géant du milieu artistique québécois, le 29 mai dernier. Les stations de radio et de télévision ainsi que la presse lui ont consacré d’importantes émissions spéciales. Sa mort a même eu des échos à l’international sur les ondes de TV5MONDE, où on lui a rendu hommage en rediffusant une entrevue de Patrick Simonin avec l’acteur. 

Trois jours plus tard, une manchette crue faisait la une : « Michel Côté n’aura pas de funérailles nationales. » Le bureau du premier ministre s’est alors lancé dans des explications qui, à mon sens, ne tiennent pas la route pour justifier cette étonnante décision. « Après des vérifications auprès des équipes du protocole au gouvernement du Québec, il a été convenu de ne pas tenir des funérailles nationales. »  

En novembre, à la suite du décès de Jean Lapointe, la décision avait été la même, accompagnée des mêmes raisons alambiquées. Pourtant, six mois auparavant, Guy Lafleur recevait les plus grands honneurs, proposés à la famille par François Legault lui-même. 

Allez y comprendre quelque chose.

Une ancienne responsable des activités protocolaires m’a expliqué qu’en réalité, ce n’est pas le Protocole qui décide de qui peut être honoré : « Le Protocole est consulté, il donne son avis. Il y a des discussions entre le cabinet du premier ministre et celui du ministère des Relations internationales — de qui relève le Protocole —, mais ce dernier se range aux souhaits du cabinet du premier ministre. »  

C’est donc le Protocole qui exécute les décisions du gouvernement, et non le contraire.

Sur le site du gouvernement, on peut lire que les funérailles d’État sont généralement réservées aux anciens premiers ministres. Les funérailles nationales sont quant à elles réservées aux personnalités « qui ont marqué notamment la vie politique, selon une décision du gouvernement ». 

Mais la question qui revient toujours : sur quels critères se base le gouvernement pour arriver à la conclusion que des funérailles nationales sont, ou ne sont pas, appropriées ? La réponse est très simple : aucun critère ou grille d’analyse n’existe. C’est du cas par cas, souvent motivé par la pression populaire. 

Je me souviens que lors du décès de Gilles Carle (en 2009, j’étais ministre de la Culture), Pierre Curzi, alors porte-parole de l’opposition officielle, multipliait les sorties médiatiques pour que l’État lui accorde l’honneur de funérailles nationales. On peut voir ce scénario se répéter dès qu’une personnalité d’envergure disparaît. 

Outre des funérailles nationales, le premier ministre peut demander que des gestes symboliques soient faits, telle la mise en berne du drapeau sur le parlement. Mais ici aussi, tout dépend de la volonté de celui qui gouverne. Jean Charest avait par exemple demandé que le drapeau soit mis en berne lors du décès d’Audrey Best, ex-épouse de Lucien Bouchard, mais le premier ministre Legault ne l’a pas imité à la suite du décès d’Andrée Simard, épouse de Robert Bourassa. 

Au cours de mon mandat au ministère des Relations internationales (2014-2018), j’ai demandé que l’on réfléchisse à l’idée de mettre en place un véritable processus de reconnaissance officielle lors des décès de personnalités marquantes. Le cas par cas allait à mon avis devenir intenable — de très grands noms vont nous quitter dans les prochaines années, il faut prévoir la chose.

La mort de Lise Payette en 2018 a accéléré la prise de conscience quant à l’importance de changer nos pratiques. Nous avons offert à la famille la tenue de funérailles nationales, mais dans ses dernières volontés, Lise Payette avait expressément demandé qu’il n’y ait rien de religieux pour honorer sa mémoire. À la suite de discussions avec sa petite-fille Flavie, nous avons convenu d’offrir un « hommage national », formule qui était tout à fait nouvelle, car elle revêtait un caractère laïque plus moderne et éloigné de la religion. La famille a été fort satisfaite de notre proposition.

Mais à la suite de la défaite de notre gouvernement à l’automne 2018, l’idée de se doter d’une nouvelle façon de faire semble avoir été reléguée aux oubliettes — publiquement, il ne se passe rien et on nous sert les explications selon lesquelles c’est le Protocole qui décide… 

C’est lors d’une présence officielle en France — je représentais le Québec aux hommages rendus à l’ancien premier ministre français Michel Rocard et à l’écrivain Jean d’Ormesson, en 2017 — que l’idée de revoir nos coutumes avait germé dans mon esprit.

En France, l’hommage national est une décision prise par le président de la République pour honorer des militaires morts au combat ou des personnalités civiles décédées. La cérémonie se tient dans la cour d’honneur des Invalides, un vaste complexe patrimonial au cœur de Paris. Elle est d’une grande sobriété et finement chorégraphiée. Le cercueil est recouvert du drapeau français, des proches prennent la parole puis le président prononce l’éloge funèbre, le tout accompagné de pièces musicales choisies.

Les dignitaires sont rassemblés d’un côté de la cour dans des sections indiquant leur rang protocolaire et demeureront debout pendant toute la cérémonie. Le cercueil est conduit solennellement vers la sortie. 

Le Québec, qui se veut un État laïque, devrait emprunter le modèle français. Il est urgent d’engager une réflexion afin d’éviter de blesser des familles qui sont déjà durement touchées. Le cas par cas risque autrement de devenir gênant : nos bâtisseurs méritent mieux que des choix arbitraires et des titres d’articles qui déshonorent leur immense contribution au Québec moderne.

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« Ses morts » ? Depuis quand les Québécois et Québécoises décédés appartiennent-ils à l’État? Curieuse « façon de dire »… pour traiter d’un sujet effectivement très délicat… et difficile à trancher… Peut-il vraiment exister une manière uniforme de traiter tous les cas? Les fans de sport trouveront bien évident qu’une vedette de hockey soit traité différemment d’un éminent politicien, d’un artiste remarquable, d’un écrivain ou d’un chercheur ou médecin hors du commun… Comment départager cette « hiérarchie de mérites »… et de notoriété? Bonne chance, dans votre démarche! Je ne crois pas qu’il puisse exister une issue capable de contenter tout le monde. Il y aura toujours des « pourquoi pas lui, ou elle? » Une diversité de formules possibles ne manque certainement pas d’intérêt, surtout si l’on considère que certaines familles « ne veulent pas ceci ou cela ». Si au moins l’on pouvait connaître clairement les volontés du défunt, à l’avance… Mais, encore là, aucune solution uniforme ne pourrait nous guider, ou guider « l’État »… Considérations intéressantes, néanmoins…

Je suis tout à fait d’accord! Il faut honorer les gens qui redorent l’image du Québec ici et ailleurs dans tous les domaines.
Les décisions devraient être encadrées par des critères précis et égaux pour tous.

Effectivement, c’est difficile à trancher. Cependant une chose est certaine, c’est qu’on doit exclure toute forme de religion d’une reconnaissance civile post-mortem. Qu’il s’agisse d’une personnalité politique, sportive, culturelle ou autre, ça n’a aucun rapport avec toute religion, peu importe laquelle.

Je suis tout-à-faire d’accord. Quand je pense qu’on a offert des funérailles à René Angelil…