L’été désastreux de Trudeau

Il n’y a pas que les intentions de vote qui doivent inquiéter les libéraux. Presque tous leurs voyants sont au rouge en ce début d’automne politique à Ottawa.

Sean Kilpatrick / La Presse Canadienne ; montage : L’actualité

Dans quelques semaines, le gouvernement libéral de Justin Trudeau entamera sa neuvième année au pouvoir. Si l’usure se faisait déjà sentir depuis des mois dans la bulle à Ottawa, ce n’est qu’en juillet et août derniers que cette impression a vraiment percolé dans l’électorat canadien.

Même si un sondage Nanos Research ne donnait ces derniers jours que cinq points de retard aux libéraux sur les conservateurs, il vaut mieux regarder les grandes tendances plutôt qu’un seul ensemble de chiffres. Au début septembre, la maison Abacus Data accordait plutôt 14 points (!) d’avance au Parti conservateur du Canada (PCC), alors que selon un sondage de l’Institut Angus Reid, le parti dirigé par Pierre Poilievre menait par 12 points. À la fin août, Recherche Mainstreet publiait ses plus récents chiffres, qui mesuraient l’écart entre les deux partis à 13 points. Nous sommes donc loin de l’égalité statistique dans laquelle libéraux et conservateurs étaient coincés depuis les élections de 2021.

Et jeudi matin, un tout nouveau sondage d’Abacus Data pour le compte du Toronto Star accordait 15 points d’avance aux conservateurs, 41 % contre 26 % pour les libéraux. Les tendances des dernières semaines semblent donc s’accentuer au lieu de s’estomper.

La moyenne pondérée des sondages du modèle Qc125 donne maintenant une avance de 10 points au PCC de Pierre Poilievre au niveau national. Comme vous pouvez le constater ci-dessous, ce n’est que dans les dernières semaines estivales que le PCC a su distancer son rival libéral, dont les appuis ont commencé à glisser sous la barre des 30 %. Le Nouveau Parti démocratique (NPD), pendant ce temps, ne parvient pas à profiter de cette glissade libérale et reste coincé à une moyenne de 18 %.

Même si le mouvement demeure somme toute modeste (baisse de cinq points des libéraux et hausse de quatre points des conservateurs en comparaison avec les résultats du scrutin de 2021), cette érosion libérale et cette hausse des conservateurs placent maintenant le PCC en territoire majoritaire dans la projection de sièges. Cela est causé, entre autres, par un mouvement des appuis aux conservateurs dans les provinces de l’est du pays, notamment l’Ontario et le Québec.

Ce n’était qu’un heureux hasard que le congrès national du PCC ait lieu à Québec la semaine dernière (la Vieille Capitale avait été sélectionnée pour un congrès du PCC avant la pandémie), alors que plusieurs sondages situaient le PCC au-dessus de la barre des 20 % au Québec — un seuil que le parti n’a pas réussi à atteindre lors d’élections générales depuis 2008. Les chiffres d’Abacus mesuraient même presque une triple égalité statistique la semaine dernière : 30 % pour le Bloc québécois (BQ), 28 % pour le Parti libéral (PLC) et 25 % pour les conservateurs. Évidemment, avec de tels chiffres, le PCC pourrait espérer enregistrer des gains nets au Québec, à la fois aux dépens du Bloc et du PLC.

Au congrès, où j’ai pu échanger avec des membres, des délégués et des députés, plusieurs pouvaient à peine contenir leur engouement. « Justin Trudeau est fini », m’a-t-on dit à plusieurs reprises. Lors d’autres discussions informelles auxquelles j’ai assisté, certains élus et attachés politiques se demandaient même de quoi aurait l’air le premier Cabinet Poilievre.

Mais comme le veut le vieil adage, il ne faudrait peut-être pas vendre la peau de l’ours libéral avant de l’avoir battu lors d’élections en bonne et due forme...

Un grand sage ordonnerait assurément aux conservateurs de faire preuve d’une certaine retenue. Andrew Scheer a passé l’été 2019 en avance dans la plupart des sondages à la suite des déboires des libéraux dans l’affaire SNC-Lavalin. À mi-course en 2021, Erin O’Toole avait pris les devants après un début de campagne somnifère de l’équipe libérale. Dans les deux cas toutefois, le PLC a remporté le scrutin qui a suivi par 36 et 41 sièges d’écart, respectivement.

L’optimisme débridé des conservateurs peut paraître prématuré, mais les chiffres des dernières semaines donnent tout de même matière à un peu d’excitation de leur part. Car ce ne sont pas que les intentions de vote qui ont basculé en faveur des conservateurs, de nombreux autres indicateurs importants aussi.

Comme l’a fait remarquer le PDG d’Abacus Data, David Coletto, dans son analyse de sondage, les électeurs canadiens sont d’humeur particulièrement morose en cette fin de saison estivale : seulement 27 % d’entre eux croient maintenant que le pays s’en va dans la bonne direction, contre 58 % qui sont d’avis que le pays est sur le mauvais chemin. Le taux d’approbation du gouvernement fédéral est à un creux historique : seulement 31 % des répondants l’approuvent, alors que 53 % le désapprouvent. Les chiffres personnels de Justin Trudeau ont aussi tourné au vinaigre : 29 % des répondants ont une impression positive du premier ministre, contre 53 % d’impressions négatives, un score net de -24.

En contraste, Abacus Data mesure maintenant un score net positif pour Pierre Poilievre : 36 % d’impressions positives, 34 % d’impressions négatives, soit une différence de +2. Une première pour Poilievre dans les chiffres d’Abacus.

Bien qu’il soit naturel que les chiffres oscillent de façon périodique au rythme de l’actualité, ces données demeurent fort révélatrices — direction du pays, approbation du gouvernement, score net d’appréciation et intentions de vote —, car elles basculent du même côté en même temps.

Cette convergence d’indicateurs négatifs pour Justin Trudeau risque de rendre plusieurs députés libéraux anxieux si le premier ministre ne parvient pas à renverser la vapeur dans les prochaines semaines. Nous pouvons nous attendre à une rentrée parlementaire mouvementée à Ottawa.

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