En mars 2009, les enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) suivaient la piste d’Eddy Brandone, le trésorier de la FTQ-Construction (FTQ-C).
Brandone était un délégué syndical hors du commun. Ce militant libéral de longue date avait aussi ses entrées dans le monde interlope. Il connaissait les caïds Johnny Bertolo, assassiné en 2005, et Raynald Desjardins, accusé du meurtre d’un aspirant au poste de parrain de la mafia.
Le 6 mars 2009, Brandone était sous filature, à l’occasion du volet 2 de l’opération Diligence — qui portait sur l’infiltration du crime organisé au sein de la centrale. À son insu, il a amené les policiers dans un hôtel de Dorval, où il a rencontré brièvement le premier ministre, Jean Charest.
Les enquêteurs ont alors reçu l’ordre d’interrompre la filature tout de go. On n’a jamais su qui avait donné l’ordre, ni pourquoi.
Le «black out» a suscité un énorme malaise à l’interne. À l’époque, la SQ avait démenti toute forme d’ingérence politique, tandis que le premier ministre avait nié toute intervention de sa part.
Cet épisode, relaté par l’équipe d’Enquête, à Radio-Canada, reste un moment sombre dans l’histoire de la SQ.
Et c’est sans parler des fuites qui ont compromis le volet 2 de Diligence. À partir du moment où les cibles de la SQ ont su qu’elles étaient sous enquête, elles se sont faites moins bavardes, et beaucoup plus discrètes, au point de saper les bases de ce projet.
Mercredi, à la commission Charbonneau, un des officiers impliqués dans Diligence, Michel Forget, a présenté le bilan de la SQ en matière de lutte à la corruption. Le procureur, Paul Crépeau, a demandé à M. Forget et à son collègue Michel Pelletier s’ils avaient été témoins d’ingérence politique dans les enquêtes au cours de leur carrière. Jamais, au grand jamais ! ont-ils répondu en chœur.
Hélas ! Me Crépeau n’avait aucune question de «relance» à ce chapitre. Personnellement, j’aurais bien aimé quelques questions plus pointues en ce qui concerne l’interruption de la filature sur Eddy Brandone, les fuites qui ont torpillé l’opération Diligence, et les causes profondes de l’inaction de la SQ dans le projet Bitume, tant qu’à y être.
Bitume est la première enquête sur la collusion à Laval. Dès 2002, les policiers connaissaient l’identité des principaux membres allégués du cartel, dont l’entrepreneur Tony Accurso, le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, et deux hauts fonctionnaires, Claude Asselin et Claude Deguise.
Les enquêteurs disposaient de conversations d’écoute électronique obtenues illégalement, et par conséquent inutilisables en preuve. Comble de malchance, ils n’ont pas réussi à recruter une source précieuse qui se confiait seulement à l’ingénieur François Beaudry (un lanceur d’alerte du ministère des Transports).
Pendant quelques mois, la SQ et le Bureau de la concurrence se sont renvoyés la balle sur la responsabilité de l’enquête… qui a fini par accumuler la poussière sur une tablette.
Jusqu’à 2009, la SQ n’a rien fait pour activer le dossier. Ni filature, ni écoute électronique, ni tentatives pour recruter de nouveaux témoins. Rien. Le dossier était ouvert, mais les policiers n’y versaient pas vraiment de preuves. Les enquêtes pour corruption n’avaient pas la cote, les ressources étaient anémiques, et la priorité était de s’attaquer aux bandes de motards. Jusqu’à ce que les médias se fassent la caisse de résonance de l’indignation du public, à partir de 2008 et 2009, il y avait toujours des bonnes raisons de ne pas s’occuper des crimes d’enveloppes brunes.
Mince consolation : les protagonistes du cartel de Laval identifiés dès 2002 ont été arrêtés dans le cadre du projet Honorer. Il suffisait de patienter. Onze ans plus tard, la police peut dire «mission accomplie».
Pourquoi diable les enquêtes impliquant des personnalités politiques de haut calibre capotaient toutes au Québec il n’y a pas si longtemps? C’est une question qui aurait dû intéresser la commission Charbonneau.
Depuis le début des travaux, nous avons appris que les membres du crime organisé étaient à un bras de distance de leaders syndicaux et des entrepreneurs impliqués dans la collusion. Et ces mêmes leaders syndicaux et entrepreneurs étaient pour leur part à un bras de distance des politiciens provinciaux.
Y avait-il une «police politique» qui protégeait les politiciens de leurs mauvaises fréquentations au Québec ? Personne n’ose poser la question, à part quelques journalistes fouineurs.
* * *
À propos de Brian Myles
Brian Myles est journaliste au quotidien Le Devoir, où il traite des affaires policières, municipales et judiciaires. Il est présentement affecté à la couverture de la commission Charbonneau. Blogueur à L’actualité depuis 2012, il est également chargé de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). On peut le suivre sur Twitter : @brianmyles.
Après l’opération Marteau c’est l’opération Marton qui aurait dû être lancé… (Marcel Melançon/Tony Accurso)… (Gilbert Lavoie)
Ce que je remarque c’est, comme la Commission Charbonneau ne devait toucher la corruption qu’à partir de 1995, les années péquistes précédentes et l’ingérence politique dans certaines commissions et surtout dans le Fonds de solidarité se retrouvent évacuées du paysage politique..
Ainsi nos journalistes frappent allègrement sur le même clou libéral.. Le PQ échappe encore et toujours à toute allusion quelconque de pratiques douteuses en provenance de leur camp.
On diabolise les Libéraux pour mieux sanctifier les péquistes, peut-être?.
Pas d’accord avec vous! De 2003 à 2012 qui étaient au pouvoir? Période de toutes les collusions, corruptions majeures! Qui refusait haut et fort toute commission? M.Charest, pourquoi donc? Que craignait-il tant? Vaillancourt, libéral ou péquiste? Ah bon! Tremblay maire? Libéral non? Et au fédéral durant la même période Chrétien Martin, libéraux, je crois. Qui avaient tous les mêmes personnes pour assurer leur arrivée au pouvoir, gravitant autour de l’un ou l’autre des paliers! Hasard peut-être? Leurs petits amis qui s’assuraient de pouvoir placer leurs pions ensuite! Le gaz commence à faire moins effet, madame, ne vous en déplaise! Tout ce que j’espère c’est que nous demeurions éveillés et be rien laisser passer!
Vous avez probablement raison, il y a peut être eu des dérapages du côté des péquistes; ce qu’on ne saura peut-être jamais. Cependant, à ce que je sache, de 1995 à 2003 ils ont aussi été au pouvoir. Et puis il fallait bien arrèter quelque part et, n’est-ce pas Mr. Charest, avec un peu de pression, qui a ordonné la Commission Charbonneau? Il avait le loisir de fixer les limites.
Sans rancunes…
Je ne veux pas excuser les Libéraux.. mais si on protège un parti en raison d’une idéologie nationaliste et qu’on ne va pas au fond du problème, si un jour le Québec devenait indépendant les ‘ingérences indues » du gouvernement y seraient tolérées.
Dans les années 1995, alors que le PQ était au pouvoir, la collusion existait.. Le Maire Vaillancourt et Tony Accurso menaient le bal. La proximité du PQ avec les syndicats, sa politique nationaliste du Québec inc. a généré des situations de monopole avec la corruption qui finit toujours par s’installer dans de tels systèmes.
Voter du bon bord ça rapporte.. ça remonte à l’époque Duplessis. D’ailleurs Pauline Marois l’a énoncé clairement aux électeurs de son comté aux dernières élections.
Autant conservateurs que libéraux pratiquaient le patronage.. Malgré que René Levesque ait plafonné à 3,000$ les dons pour le financement des partis, on a pu voir, suite à des témoignages à la Commission Charbonneau, que cette mesure avait été contournée et le problème persisté.
Je pense que la Commission Charbonneau aura eu au moins le mérite de resserrer les règles d’éthique..
Ce que je pense c’est que le PQ, se sachant épargné de critiques trop lapidaires se croit tout permis, même la candidature à la chefferie du PQ d’un puissant baron de la presse québécoise!!..
L’éthique à géométrie variable! Les deux poids deux mesures en faveur des nationalistes… C’est faire abstraction que tout nationaliste que nous soyons, l’humain fait aussi partie de notre nature..
Au sujet des années péquistes, voici qui pourrait vous intéresser:
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/112200/rapport-moisan-le-pq-a-sciemment-ferme-les-yeux
Extrait:
« Le Parti québécois a sciemment fermé les yeux sur le contournement de la Loi sur le financement des partis politiques afin de bénéficier des largesses de l’ancien patron de Groupaction, Jean Brault, récemment reconnu coupable de fraude. Comme l’établit le rapport d’enquête du juge Jean Moisan rendu public hier, le PQ a ainsi reçu 96 400 $ entre 1995 et 2000. »
Note personnelle: les péquistes se sont fait prendre cette fois-là mais à combien d’autres occasions ont-ils échappé à la Loi? des centaines? Des milliers?
Oh mon dieu, vous venez d’échapper votre jupon libéral.
Ça change des jupons péquistes…
Mais personne ne se rend donc compte que le problème de corruption généralisée au Québec transcende les partis politiques? Suis-je le seul à voir que même si le problème semble avoir atteint son apogée sous le règne libéral, il ne s’agissait en réalité que de la continuité d’une situation qui prévalait également sous le règne péquiste? Et probablement même encore sous les libéraux de Bourassa, et ainsi de suite…
Le pouvoir corrompt, que l’on soit bleu ou rouge. Tony et ses amis étaient très intelligents, beaucoup trop pour se peinturer dans le coin en limitant leurs tentatives de corruption aux seuls libéraux ou péquistes…
J’imagine qu’il s’en trouvera pour dire que j’en échappe mon jupon caquiste?
Sans rancune…