Alors que la campagne électorale provinciale en Ontario devrait être lancée ce printemps, le résultat du scrutin demeure hautement incertain. Les coups de sonde de l’automne 2021 faisaient état de fortes divergences entre les trois principaux partis en lice, et quelques mois plus tard, cinq sondages publiés la semaine dernière montrent des Ontariens toujours perplexes devant l’offre électorale. D’un sondage à l’autre, les écarts dépassent de loin la simple marge d’erreur.
Bref, bien malin qui pourrait prédire en ce moment à qui François Legault devra faire les yeux doux (une fois de plus) pour vendre l’hydroélectricité québécoise ou encore pour faire front commun face à Ottawa pour les transferts fédéraux en santé.
Plus tôt en janvier, les médias et la twittosphère du Québec s’étaient enflammés au sujet d’une divergence de cinq points dans les intentions de vote dévolues à Québec solidaire entre les sondages de Léger et de Recherche Mainstreet : Léger accordait 14 % à QS, Mainstreet mesurait plutôt 19 %. Quelques jours plus tard, Angus Reid coupait la poire en deux avec 16 %. Des accusations de biais et d’incompétence de part et d’autre ont éclaboussé la Toile, se rendant même jusqu’au plateau de Tout le monde en parle.
J’ose à peine imaginer la réaction des médias et des cercles partisans si l’écart avait été de… 17 points. C’est la différence observée par au moins deux des sondages en Ontario la semaine dernière.
Examinons de plus près les principaux chiffres de chaque maison de sondage (voir la liste complète des sondages en Ontario ici) :

[Sur le graphique ci-dessus, les barres colorées représentent les intervalles de confiance à 95 % de la projection du suffrage universel, et les points noirs, les derniers résultats des sondages (AD : Abacus Data ; EK : EKOS ; MS : Recherche Mainstreet ; IR : Innovative Research ; AR : l’Institut Angus Reid).]
Les maisons Abacus Data et EKOS observent généralement les mêmes tendances, soit une claire avance du Parti progressiste-conservateur (PCO) de Doug Ford sur deux rivaux (le NPD et le PLO) essentiellement au même niveau d’appuis. De son côté, Recherche Mainstreet mesure une course à trois serrée, avec seulement quatre points séparant les principaux partis.
Toutefois, ce sont les chiffres des maisons Innovative Research et Angus Reid qui font particulièrement sourciller, car les scénarios sont chacun radicalement différents. Innovative Research mesure les libéraux de l’Ontario (36 %) et le PCO (35 %) à égalité statistique en première place, tandis que le NPD est loin derrière avec seulement 22 % (il convient cependant de noter que tous les sondages publiés par Innovative Research en 2021 situaient les libéraux en tête ou à égalité au premier rang). De son côté, l’Institut Angus Reid place le NPD provincial en tête avec 36 % (une première dans un sondage depuis 2019), le parti de Doug Ford étant deuxième de près avec 33 %. Quant aux libéraux, Angus Reid mesure leur soutien à seulement 19 %, bien en deçà de ce que d’autres maisons de sondage ont donné dans les dernières semaines.
Le seul point en commun de tous ces sondages concerne le Parti vert de l’Ontario, dont les appuis sont mesurés entre 4 % et 6 %. La moyenne actuelle du PVO se trouve à 5 % au niveau provincial.
Naturellement, de telles différences dans les sondages créent une énorme incertitude dans les projections de sièges du modèle Qc125. Le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario se maintient en tête avec une moyenne de 59 sièges, juste sous le seuil de la majorité de 63 sièges à Queen’s Park. Le PCO est le seul parti dont l’intervalle de confiance supérieur s’étend au-delà du seuil de la majorité. En fait, il remporte le plus grand nombre de circonscriptions dans 91 % de toutes les simulations effectuées par le modèle :

Les libéraux et les néo-démocrates sont à égalité statistique avec des moyennes de 34 et 30 sièges respectivement. Remarquez dans le graphique ci-dessus l’ampleur de la fourchette du PLO par rapport à celle du NPD : cela indique que le Parti libéral, selon les chiffres actuels, possède un plafond de sièges nettement plus élevé que celui du NPD, mais aussi un plancher dramatiquement plus bas. Donc, avec un vote libéral au-delà des espérances, la récolte de sièges du PLO pourrait même rivaliser avec celle du PCO. Toutefois, si les libéraux devaient glisser en troisième position, leur projection de sièges pourrait facilement se situer entre 10 et 20 seulement.
Quant au NPD, bien qu’il jouisse de plus de sièges solides que les libéraux (ce qui hausse le plancher du parti), il est projeté comme étant compétitif dans moins de circonscriptions que les libéraux. En effet, l’intervalle de confiance supérieur de la projection du NPD ne se rend qu’à 40-45 sièges. Étant donné que le NPD a fait élire 40 députés lors du scrutin de 2018, son potentiel de gains nets reste donc limité selon les données actuelles.
Évidemment, ces projections de sièges sont basées sur une moyenne pondérée de sondages, donc si les chiffres d’Innovative Research ou d’Angus Reid sont plus proches de la réalité sur le terrain, les totaux de sièges pour chaque parti pencheraient vers les extrêmes des intervalles de confiance. En ne considérant que les chiffres d’Angus Reid (NPD +3), le NPD et le PCO se disputeraient la tête d’un Parlement minoritaire, laissant les libéraux de l’Ontario à peine au seuil du statut de parti officiel. À l’inverse, si nous prenons les derniers chiffres d’Innovative Research (PLO +1), les libéraux pourraient même espérer remporter une pluralité, ce qui permettrait sans doute de déloger Doug Ford et de reléguer le NPD au rang de troisième parti détenant la balance du pouvoir.
Les sondages sur les intentions de vote ont tendance à produire des écarts plus importants entre les enquêtes lorsque l’opinion publique est en mouvement, en particulier plusieurs mois avant le jour du scrutin. À mesure que la campagne approche et que les cycles médiatiques tendent à se concentrer davantage sur la politique et l’état de la course, nous nous attendons à ce que les chiffres se resserrent et convergent du moins quelque peu. En effet, si quelques sondages individuels avaient raté la cible en Ontario en 2018, la moyenne des sondages s’était alignée tout près du résultat final des élections — permettant au modèle Qc125 de prédire correctement le gagnant dans 90 % des circonscriptions de la province.
Nous suivrons de près les sondages en Ontario au cours des prochains mois. Comme le scrutin est prévu pour le 2 juin, la campagne devrait se mettre en branle vers la fin avril.