L’ONU confirme l’existence d’un nettoyage ethnique en République centrafricaine

Les affrontements interethniques auraient fait plus de 6 000 victimes, soutient la Commission d’enquête internationale sur la République centrafricaine, qui appelle à mettre définitivement fin à l’impunité.

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Photo : Pacome Pabandji/Getty Images

Le 26 juin 2014, la Commission d’enquête internationale sur la République centrafricaine, établie en application de la résolution 2127 (2013) du Conseil de sécurité, a rendu son rapport préliminaire sur la situation dans le pays.

PolitiqueÀ l’époque, la Commission envisageait l’existence d’une infraction de nettoyage ethnique et de génocide commise par les parties, mais avait du mal à tirer les conclusions définitives sur la nature exacte et les caractéristiques des violations présumées du droit international humanitaire, faute de preuves suffisantes.

Un nettoyage ethnique constitutif de crimes contre l’humanité !

Aujourd’hui, près de six mois après la sortie de son premier rapport, l’équipe de Bernard Acho Muna, ancien procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, vient de rendre son rapport final.

Le résumé est formel : «Le nettoyage ethnique de la population musulmane par les anti-Balaka constitue un crime contre l’humanité.»

Ainsi, des milices anti-Balaka à majorité chrétienne sont montrées du doigt par le rapport et accusées d’avoir, au rebours du droit international, mis en œuvre une politique consistant à se débarrasser de la population musulmane en organisant son départ forcé de la Centrafrique avec l’intention d’aboutir à une homogénéité ethnique et territoriale.

C’est, à tout le moins, la définition classique du nettoyage ethnique, qu’on peut associer à la conclusion du rapport rendu public jeudi 8 janvier 2015.

Il faut s’attendre à ce que les conclusions du rapport, notamment sur l’existence de l’intention du nettoyage ethnique, fassent l’objet d’un débat contradictoire — d’autant plus que sur le terrain, des acteurs majeurs ont déjà nié cette possibilité.

Il n’existe qu’une certitude : c’est le nombre de morts. Les affrontements interethniques auraient fait plus de 6000 victimes, soutient la Commission, qui appelle à mettre définitivement fin à l’impunité.

Pas de génocide, mais toutes les parties ont commis des crimes à échelle variable

Ces nombreuses victimes ne sont pas seulement imputables aux milices anti-Balaka à majorité chrétienne.

L’ex-rébellion Séléka à majorité musulmane est également accusée de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Par contre, sa participation n’est pas associée aux allégations d’épuration ethnique.

Les responsabilités sont donc diversifiées et à degré variable, étant entendu que la preuve ou non de commission de nettoyage ethnique est au cœur des préoccupations des acteurs internationaux — et cela se confirme en parcourant les unes de la presse internationale et continentale.

Si les deux parties sont clairement accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, elles échappent aux accusations de génocide. Sur ce point, la Commission renverse la présomption de génocide qu’elle faisait peser sur les parties au conflit lors de la parution de son précédent rapport, en concluant à l’inexistence d’un dol spécial.

Néanmoins, elle prend le soin de préciser que la prévention d’un génocide en Centrafrique a été possible grâce à l’intervention armée internationale.

Le temps des responsabilités

Quoi qu’il en soit, ce rapport final de la commission onusienne est bienvenu, dans la mesure où il donne matière juridique à la Cour pénale internationale, qui a déjà mis la Centrafrique en examen pour la deuxième fois consécutive.

Il reste maintenant à la justice pénale internationale de confirmer ou non les crimes qui y sont mentionnés, et de dire exactement, le cas échéant, s’ils sont constitutifs de nettoyage ethnique au regard du droit international. L’attente des victimes sur cette réponse est sans doute grande.

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À propos de l’auteur

Émile Ouédraogo est chercheur en résidence à l’Observatoire sur les missions de paix et opérations humanitaires de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, qui compte une trentaine de chercheurs en résidence et plus de 100 chercheurs associés issus de pays et de disciplines divers, et qui comprend quatre observatoires (États-Unis, Géopolitique, Missions de paix et opérations humanitaires et Moyen-Orient et Afrique du Nord). On peut la suivre sur Twitter : @RDandurand @UQAM.

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Des guillemets à « ethnique » seraient les bienvenus. Une des causes immergées, voire innommées – en tout cas, les analystes patentés semblent très peu enclins à la circonscrire – des massacres génocidaires commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda, c’est l’atroce ambiguïté et partant, le potentiel mortifère de la notion d’ «ethnie» ELLE-MÊME.

Il est normal, dans bien des langues, qu’un même mot ait plusieurs significations ; un sens restreint et un sens plus large, par exemple ; mais DEUX SENS CONTRAIRES, ça non. Or depuis sa réactivation par les pseudosciences du 19e siècle – polygénisme, raciologie et autres âneries prises pour des sciences par l’anthropologie d’alors – c’est bien le cas pour « ethnie ». Le chercheur français et sénégalais Jean-Marie Coly a saisi cette horreur (mais peut-être pas toutes ses conséquences) dans son ouvrage ‘Ethnie: une histoire complexe’::

«L’ethnie va osciller dès son origine entre le registre de la nature, du fait de ses fondements biologiques en référence aux types raciaux, et celui de la culture, en raison de sa volonté d’appréhender les différences d’ordre linguistique.»

Ethnie est une notion défectueuse qui oscille perpétuellement entre deux sens contraires, autrement dit un oxymoron. « Peuple » et « race » sont des contraires parce que culture est le contraire de nature. Mais la notion d’ethnie, elle, prétend visser la culture dans la nature, le non-physique dans le physique, l’immatériel dans le biologique, ce qui revient – depuis que nous marchons debout, du moins, ou pour le dire comme Vercors en 1949 depuis notre « échappée hors de la nature » – à unir l’inunissable. Prétendre visser la culture dans la nature, saucissonner les peuples et nationalités en morceaux de nature, c’est deux fois la négation de l’humanité. D’une part, c’est la négation de l’extraordinaire UNITÉ du genre humain, qui est le fait de nature, d’où le principe d’une seule origine commune de tous les hommes (version monothéiste) ou celui du droit naturel (version libérale) ; et d’autre part, c’est la négation de l’extraordinaire DIVERSITÉ du genre humain, qui est le fait de culture, d’où la pluralité des peuples et des civilisations.

Selon moi, une clé (une des clés) du génocide en ex-Yougoslavie nous est livrée quand la biologiste Biljana Plavsic déclare en 1997 que les Musulmans de Bosnie ont « attaqué la substance biologique du peuple serbe ». C’est le chat qui sort du sac, la chouette qui apparaît de plein jour. Il n’existe pas de prétendue « substance biologique du peuple serbe », car « peuple » et « substance biologique », « serbe » et substance biologique » sont des contraires. Peuple est le contraire de race parce que culture est le contraire de nature. Le fait d’être serbe, pour en rester à cet exemple, est un fait de civilisation acquis de son vivant par chaque individu (fait culturel, spirituel et historique : lanternes) et non quelque chose qu’il serait déjà à la naissance (fait naturel-biologique héréditaire : vessies). Ou encore, comme le disait si bien Benedetto Croce, penseur libéral, en 1929:

«Le concept de nationalité est un concept spirituel et historique, en devenir donc, et non pas un concept naturaliste et immobile comme celui de race.»

Curieusement, j’ai commencé à m’aviser de ça à partir de notre débat local, grâce une entrevue donnée à L’ACTUALITÉ par le journaliste Ray Conlogue, alors au Globe & Mail. Je vous en livre un extrait :

«L’ethnie n’a rien à voir avec la race. Ce sont les médias canadiens anglais qui utilisent les mots «racial» et «ethnique» comme s’ils étaient interchangeables. La racine grecque du mot ethnie est ethnos, qui veut dire nation. Au temps des Grecs, le mot identifiait des gens qui partageaient une même culture, pas un même sang.» (L’Actualité, mars 1997, ‘It’s culture, stupid!’)

Une même culture, pas un même sang.

Ici, une simple précision: quand le professeur Coly, cité plus haut, parle de la notion d’ethnie « dès son origine », l’origine dont il discute se trouve non au temps des Grecs comme M. Conlogue, mais de son origine beaucoup plus récente, dans le cours du 19ème siècle, par l’anthropologie d’alors, qui biologisait et donc animalisait les peuples (ce que H. Arendt appelle « la transformation des peuples en races »), ce qui aboutit par exemple circa 1870 à l’organisation de « zoos humains ». (Curieux, hein, quand même, qu’une discipline dont le nom voulait dire « étude de l’homme », en répandant partout le délire de la race, semait en fait la destruction de l’homme).

D’après moi, ceux qui vont répétant « ethnie, ethnie, ethnie » alors qu’il est question de peuples et de nationalités, donc de cultures et non de nature, ceux-là sèment sur leur passage, en tout aveuglement, la destruction du genre humain.