
Tout semblait prêt en vue de souligner la dixième année d’existence du Minuteman Project, une organisation américaine constituée de milices paramilitaires qui se postent à la frontière américano-mexicaine.
La démarche de ces patrouilles civiles, depuis leur première action, en avril 2005 : dénoncer «l’invasion croissante d’immigrants illégaux» aux agents de la United States Border Patrol et aux décideurs politiques américains. Ce groupe d’influence avait ainsi fait entendre sa voix dans les débats sur l’immigration à partir de 2005 et poussé, entre autres, à l’adoption de mesures migratoires restrictives.
Pour marquer les 10 ans de l’organisation, Jim Gilchrist, un de ses fondateurs, prévoyait réunir 3 500 patrouilleurs civils à l’occasion d’un grand rassemblent baptisé l’«opération Normandie». Annoncée dès l’été 2014, cette dernière devait avoir lieu quelques mois plus tard, soit le 1er mai, en rappel à cette journée marquée par le «grand boycott des immigrants» et des manifestations nationales contre la réforme sur l’immigration, en 2006.
Mais depuis cette annonce, plus rien : on ne trouve aucune trace de l’événement dans le site Internet du Minuteman Project, sans qu’aucune explication n’y soit donnée.
On sait seulement que la mission, orchestrée à l’image du débarquement de 1944, en France, n’aura pas lieu : l’organisation confirme par courriel «un manque d’intérêt apparent du public pour l’événement».

Une organisation en déclin
Ce désintérêt populaire souligne le déclin progressif de l’influence du Minuteman Project. En 2011, seuls 53 groupes montraient des signes d’activité au sein du regroupement, contre 115 en 2010.
Selon plusieurs chercheurs, les déboires politiques et juridiques des deux fondateurs ne sont pas étrangers à cette longue traversée du désert, même s’ils ne peuvent à eux seuls expliquer la baisse d’intérêt pour l’organisation. Ainsi, Jim Gilchrist a subi, en 2005, un échec électoral dans le 48e district congressionnel de Californie et s’est avéré généralement incapable de collecter des fonds privés pour le Minuteman Project. Quant à Chris Simcox, l’autre cofondateur, il a été accusé de pédophilie en 2013.
Pourtant, avec l’arrestation aux frontières, l’an dernier, de plus de 65 000 mineurs non accompagnés venus d’Amérique centrale — sans compter les annonces du président Obama, fin 2014, au sujet de mesures visant à faciliter les conditions de régularisation (notamment pour les mineurs et leurs familles) —, on aurait pu s’attendre à un retour en force de telles patrouilles civiles, qui sont historiquement très présentes aux États-Unis.
Qui sont ces groupes de surveillance ?
Lorsque le Minuteman Project voit le jour, en 2005, son action surprend au départ. Or, ce genre de mobilisation, qui prend la forme de milices privées, n’est pas nouveau : d’autres groupes s’y sont déjà trempés auparavant.
Alors qu’on leur prête régulièrement une dimension raciste — à l’instar du Ku Klux Klan’s Border Watch, qui a mené plusieurs opérations à la frontière américaine, dans les années 1970 —, ces milices de surveillance ne se prévalent pas toutes du suprémacisme blanc.
Néanmoins, elles s’appuient le plus souvent sur des patrouilles paramilitaires privées, qui partagent des idéologies déviantes… et qui sont lourdement équipées en armes à feu, en détecteurs de mouvements et en vestes à imprimé camouflage.
Parmi elles, on trouve l’American Border Patrol (ABP), une organisation de surveillance aérienne ; le groupe Light Up the Border, dont les membres se chargent d’éclairer la frontière au moyen des phares de leurs voitures ; ou encore la Voice of Citizens Together de l’ABP, laquelle regroupe, entre autres membres, des internautes justiciers qui se spécialisent dans le signalement en ligne des migrants.
Les débuts du Minuteman Project
Un contexte frontalier réfractaire à l’immigration illégale marque le début des années 2000, aux États-Unis. En réaction aux attaques du 11 septembre 2001 et aux balbutiements de l’administration Bush, Jim Gilchrist (un vétéran du Viêt Nam) et Chris Simcox (propriétaire du défunt journal anti-immigration Tombstone Tumbleweed) décident de s’unir pour la même cause. Dénonçant l’impuissance étatique, les deux hommes vont établir un lien direct entre l’immigration, le terrorisme et la sécurité nationale américaine.
Résultat : en octobre 2004, Gilchrist et Simcox mettent sur pied le Minuteman Project — en référence aux Minutemen, ces membres de la milice des Treize colonies (qui ont donné naissance aux États-Unis d’Amérique). Mais rapidement, les cofondateurs se séparent : le premier élargira les activités du regroupement à du lobbying mené auprès des décideurs politiques, tandis que le second en conservera la branche de surveillance (aujourd’hui dissoute), soit le Minuteman Civil Defense Corps.

Relativement influents au départ, ils connaissent toutefois plusieurs déboires financiers et judiciaires qui entraîneront le déclin progressif de l’organisation. L’arrivée du Tea Party et l’annexion du Minuteman Project au mouvement politique libertarien, à la fin des années 2000, lui donnera néanmoins un regain d’influence du côté des républicains.
L’«opération Normandie» : un retour raté
À la veille du dixième anniversaire du Minuteman Project, l’annulation de l’«opération Normandie» prend l’apparence d’un retour médiatique raté.
Déjà, en septembre 2014, plusieurs médias montraient du doigt les incohérences de la manifestation. Ce fut le cas, par exemple, de l’émission The Daily Show :
If this is ‘Operation Normandy’ and the children are invading us, wouldn’t that make us the Nazis ?
(«S’il s’agit de l’“opération Normandie” et que les enfants nous envahissent [en référence à l’arrivée de mineurs d’Amérique du Sud pendant l’été 2014], cela ne fait-il pas de nous les nazis ?)
— Michael Che, correspondant du Daily Show, à Jim Gilchrist lors d’une entrevue diffusée le 4 septembre 2014
L’analogie avec le débarquement de Normandie — qui avait conduit à la libération de la France sous l’occupation nazie — s’arrête là, car l’organisation prévoyait plutôt, par cette opération, déployer 3 500 patrouilleurs civils en vue d’épier et de dénoncer les «vagues de migrants illégaux» à la frontière méridionale.
Aujourd’hui renforcée par des parcelles murées et militarisées sur près d’un tiers de sa longueur, la frontière américano-mexicaine est décriée pour son hostilité et pour la violence qui y règne : plus de 6 000 migrants y seraient morts depuis 2000. Pourtant, selon le Minuteman Project, celle-ci n’a jamais été aussi poreuse.

L’«opération Normandie» tombait ainsi à point nommé pour le Minuteman Project, un groupe en perte de vitesse qui cherchait à exercer son influence sur le débat de l’immigration. Son annulation confirme aujourd’hui non seulement la lente agonie de l’organisation, mais le déclin des patrouilles civiles aux frontières américaines.
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À propos de l’auteur
Josselyn Guillarmou (@JosselynGui) est chercheur en résidence à l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, qui compte une trentaine de chercheurs en résidence et plus de 100 chercheurs associés issus de pays et de disciplines divers et qui comprend quatre observatoires (États-Unis, Géopolitique, Missions de paix et opérations humanitaires et Moyen-Orient et Afrique du Nord). On peut la suivre sur Twitter : @RDandurand @UQAM.
C’est vrai que je me demandais bien où étaient passés les Minutemen. Je suis bien content d’apprendre que le groupe bât de l’aile.
Plusieurs médias douteux américains relaient l’info que des civils du groupe Minuteman ont arrêté aujourd’hui deux agents de la CIA qui transportaient de la cocaine. Info ou intox?
RÉPONSE DE L’AUTEUR, JOSSELYN GUILLARMOU :
En effet, cette information a été diffusée le 23 avril par un site américain, puis relayée sur les médias sociaux. Un groupe d’individus appartenant au mouvement des Minutemen aurait, selon le site, appréhendé des agents de la CIA avec des stupéfiants à la frontière. Toutefois, cette information est fausse, puisqu’elle provient d’un site de canulars accoutumé du fait, soit le World News Daily Report. Le problème vient évidemment du fait que des personnes y voient là un complot du gouvernement américain, alors qu’il ne s’agit en réalité que d’une fausse alerte.
Article intéressant. Décidemment, les minutemen mélangent tout, appeler une telle opération « opération normandie » est une véritable honte.
Effectivement, en tant qu’historienne cette réapropriation des grands moments de l’Histoire avec un grand H me dérange.
+++++ article des plus intéressants
Très intéressant cet article qui va à l’encontre de l’idée reçue d’une mobilisation générale et partagée pour la défense du territoire contre les migrants et met en lumière un nouveau réalisme politique qui s’invite dans les élections présidentielles
Il est très dommage que les Minutemen perdent de l’influence.
La frontière sud des États-Unis devrait etre gardée, protégée et interdite à l’immigration illégale, aux terroristes et à la drogue sur le modèle de la frontière israélienne.
Apparemment d’après l’article, ils ont de la place.
Super article avec de VRAIES infos. Bravo à l auteur pour le travail de recherche qui nous apprend vraiment