Occasion favorable pour Blanchet, menace pour les autres

Notre collaborateur a participé à plusieurs préparations des débats des chefs, autant en français qu’en anglais. Il nous amène ici dans les coulisses de la préparation des débats.

Jacques Boissinot / La Presse Canadienne / Montage L'actualité

L’auteur est un ancien stratège conservateur, ayant conseillé l’ex-premier ministre Stephen Harper lors de trois élections générales. Il est vice-président de TACT, une agence de relations publiques.

Trois débats en huit jours. C’est l’exercice auquel s’adonnent les chefs des principaux partis politiques fédéraux en ce moment. Le débat de mercredi, le dernier en français, est une occasion favorable pour Yves-François Blanchet et une menace pour les autres chefs, qui ont peut-être déjà la tête au seul rendez-vous en anglais de jeudi.

L’ordre des débats fait en sorte que les chefs auront débattu deux fois en français avant de croiser le fer en anglais. Étant donné que le débat en anglais arrive le lendemain du second débat dans la langue de Molière, il est à prévoir que l’entourage de la plupart des chefs et les chefs eux-mêmes ont déjà la tête au débat de jeudi, qui pourrait sceller le sort de ces élections.

La menace est donc réelle qu’un chef ayant déjà l’esprit au débat anglophone de jeudi offre une contre-performance en français demain. C’est le chef du Bloc québécois qui pourrait en profiter alors que sa priorité entre les deux prochains débats est de toute évidence le premier.

Mais alors, comment nos chefs se préparent-ils à ces moments cruciaux ? Allons faire un tour dans les coulisses.

Une longue préparation où rien n’est laissé au hasard

Dans bien des cas, la préparation pour les débats débute une année à l’avance. En plus des séances vidéos, de la recherche exhaustive sur les autres chefs et les autres partis, de la préparation des messages clés, des attaques et des contre-attaques, on offre de la formation au chef sur le langage non verbal.

Il est possible de faire appel à des experts afin de brosser un portrait psychologique de l’adversaire pour tenter de mieux le comprendre. Quelles sont ses forces, ses faiblesses et ses vulnérabilités émotionnelles ? Avec toutes ces informations, les partis en viennent à connaître leurs adversaires autant qu’ils se connaissent eux-mêmes.

Puis, arrivent les simulations de débats. Ces jeux de rôles auxquels s’adonnent la plupart des chefs sont très élaborés et permettent d’aider à atteindre les deux objectifs principaux d’une bonne préparation : amener le chef à être dans un bon état d’esprit et éviter les surprises.

Aussi expérimentés puissent-ils être, les chefs éprouvent tout de même des doutes et ont parfois des complexes. Il est impératif qu’ils soient confiants lorsqu’ils entrent sur le plateau du véritable débat.

Puisqu’il faut éviter les surprises, on tente d’anticiper toutes les attaques, les questions et les situations imaginables. Et l’on simule jusqu’à ce que l’on soit satisfait.

La stratégie est adaptée à chaque débat

Les chefs ont une stratégie unique à chacun des débats. Selon l’état de la campagne — comme l’indiquent les sondages d’opinion publique, le pointage interne, les circonscriptions clés ou encore la tendance des derniers jours —, l’équipe de campagne propose au chef une approche adaptée au prochain débat.

Ils s’entendent sur l’adversaire principal, à quels groupes d’électeurs ils souhaitent surtout s’adresser et qu’est-ce qui ferait qu’ils seraient satisfaits de leur performance.

Le chef et ses conseillers établissent donc leurs objectifs. Par exemple, si le leader néo-démocrate Jagmeet Singh vise surtout à préserver son seul siège au Québec, il devrait se concentrer à discuter autant que possible d’enjeux qui touchent les électeurs dans la circonscription de son député sortant Alexandre Boulerice. 

Advenant que vous ne vous sentiez pas concerné par son message en général lorsque vous regardez le débat, c’est parce qu’il ne s’adresse en effet pas à vous. Rien de personnel, mais vous ne faites probablement pas partie des publics cibles auprès desquels le NPD souhaite faire des gains, afin d’atteindre ses objectifs.

Les chefs ne s’adressent pas à tout le monde en campagne électorale. Ils parlent exclusivement à leurs électeurs potentiels. Quand Justin Trudeau attaque les conservateurs, il s’exprime en fait surtout pour les électeurs libéraux et néo-démocrates susceptibles de se rallier derrière lui.

Les formats des débats influencent la préparation

Les formats des débats affectent également la préparation des chefs. Au moment de lire ces lignes, les chefs et leurs équipes connaissent le déroulement exact des deux débats à venir, mais ils n’ont pas les questions, même s’ils sont généralement capables d’anticiper presque toutes les possibilités.

Cependant, ils ont désormais l’information quant aux thèmes, à l’ordre des prises de parole tout au long de la soirée et au temps alloué à chacun des segments du débat.

Conséquemment, Erin O’Toole et Justin Trudeau savent exactement quand ils auront l’occasion de s’affronter et sur quels thèmes. Leurs objectifs stratégiques et leurs tactiques sont bien établis. En effet, M. Trudeau sait à quel moment précis du débat il voudra tenter de mettre son adversaire en boîte sur la question des armes à feu et de quelle façon il s’y prendra. M. O’Toole s’en doute et il a assurément préparé une contre-attaque pour tenter de s’en sortir et d’aborder un sujet qui sera plus avantageux pour lui et problématique pour son opposant.

Les chefs doivent faire tout leur possible pour passer le plus de minutes sur les sujets qui sont payants pour eux et, à l’inverse, éviter ceux qui leur feront perdre des points.

Oui, il y a encore un peu de place pour la spontanéité, mais la vérité, c’est que les débats sont la présentation d’un scénario écrit à l’avance. La clé est de réussir à faire en sorte que le film à l’écran soit celui dans lequel notre chef a le meilleur rôle.

N’en demeure pas moins qu’aussi solide la préparation puisse avoir été, c’est lorsque la caméra s’allume que la pression est sur nos chefs qui doivent offrir, chaque fois, la performance de leur vie.