Odeurs de fin de règne

Les erreurs de jugement de l’équipe de Justin Trudeau s’accumulent. Depuis, l’idée qu’il n’est plus l’homme de la situation a fait du chemin, même dans ses rangs.

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

En remaniant son conseil des ministres au milieu de l’été, Justin Trudeau voulait donner un second souffle à son gouvernement. C’est tout le contraire qui est arrivé.

Le rebrassage de cartes du premier ministre a confondu les observateurs. On a cherché, en vain, à en dégager un fil conducteur. Surtout qu’aucun coup de barre n’a ponctué la vingtaine de déplacements, souvent latéraux, auxquels a procédé le chef libéral.

À la fin de la dernière session parlementaire, le remplacement à la Sécurité publique du Torontois Marco Mendicino était écrit dans le ciel. Désigné par l’opposition conservatrice comme le maillon faible de la chaîne ministérielle, il se retrouvait dans une position intenable. Mais dans la mesure où Justin Trudeau a simplement ajouté le portefeuille de M. Mendicino aux responsabilités du ministre Dominic LeBlanc, il aurait pu effectuer ce changement sans bouger un seul autre pion.

Parmi la demi-douzaine de néophytes que le premier ministre a, par la même occasion, conviés à la table ministérielle, aucun ne s’imposait comme un choix particulièrement incontournable. Personne non plus — y compris le principal intéressé — n’avait vu venir le congédiement de l’ex-ministre de la Justice David Lametti ou encore la réaffectation de la ministre Anita Anand de la Défense nationale au Conseil du Trésor.

L’idée que Justin Trudeau n’est plus l’homme de la situation a fait du chemin au sein de ses troupes et dans les rangs des observateurs à la faveur du remaniement du Cabinet.

Cette dernière a d’ailleurs passé les premières semaines dans ses nouvelles fonctions à se défendre d’avoir été rétrogradée. Questionné au sujet de M. Lametti, le premier ministre s’est fendu de bons mots sur sa contribution au gouvernement !

On peut aussi s’interroger sur la pertinence de nommer comme leader parlementaire une ministre compétente, mais en instance de congé de maternité. Le rôle dont Karina Gould a hérité est particulièrement névralgique dans le contexte d’un mandat minoritaire.

Toujours est-il que, depuis le remaniement, les libéraux continuent à perdre des plumes dans les intentions de vote. Depuis la fin juin, le rapport de force entre le premier ministre et son adversaire numéro un, Pierre Poilievre, s’est inversé en faveur du chef conservateur.

Lorsque les Communes reprendront leurs travaux, à la mi-septembre, Justin Trudeau fera face pour la première fois à un chef de l’opposition officielle à qui les sondages donnent toutes les chances de lui ravir sa place.

Pour autant, la performance anémique du Parti libéral dans les intentions de vote n’est pas nécessairement le principal nuage à l’horizon pour Justin Trudeau.

Personne n’entrevoit d’élections fédérales avant, au plus tôt, le printemps 2024. Et si l’entente entre les libéraux et les néo-démocrates tient la route au-delà du prochain budget, le Canada pourrait ne pas aller aux urnes avant deux ans. C’est l’équivalent d’une éternité en politique.

Mais c’est également suffisamment de temps pour changer de chef. Et l’idée que Justin Trudeau n’est plus l’homme de la situation a fait du chemin au sein de ses troupes et dans les rangs des observateurs à la faveur du remaniement du Cabinet.

Si le nouvel alignement libéral n’a pas impressionné l’électorat, il a démoralisé une partie du caucus libéral. Pour la première fois depuis l’arrivée des libéraux au pouvoir en 2015, plusieurs députés, sous le couvert de l’anonymat, ont fait part de leurs états d’âme à des journalistes. 

À leurs yeux, le premier ministre et sa garde rapprochée ont perdu le fil des événements et surtout les réflexes qui permettraient au Parti libéral de bien s’en tirer aux prochaines élections.

Il faut dire que, depuis le commencement de ce troisième mandat, l’équipe Trudeau n’en est pas à une erreur d’évaluation près. Dans le dossier de l’ingérence chinoise, le gouvernement libéral a passé la première moitié de l’année à se défendre et à se rattraper, faute d’avoir saisi rapidement la longévité de cet enjeu.

On a observé, depuis le début de l’été, le même décalage sur la question de la crise du logement.

Tandis que le chef conservateur Pierre Poilievre martèle ce thème depuis des mois, c’est seulement au moment de la retraite du nouveau Cabinet que le gouvernement libéral a tenté de reprendre l’initiative. On a alors assisté au lancement, dans un certain désordre, de ballons d’essai plus ou moins gonflés.

Contrairement au dossier de la Chine, celui de la pénurie de logements abordables mobilise suffisamment d’électeurs pour coûter le pouvoir à Justin Trudeau. À condition, bien sûr, qu’il soit encore là au prochain scrutin.

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On voit bien que la question des droits des peuples autochtones ne pèse pas lourd non seulement pour le gouvernement Trudeau mais aussi chez les commentateurs politiques. La mutation du ministre Miller du ministère des Relations entre la Couronne et les Autochtones est incompréhensible quand on sait d’abord que M. Miller a fait l’effort considérable d’apprendre le kanyen’kéha, langue iroquoïenne parlée par les Kanyen’kehà:ka (connus par les coloniaux sous le nom de Mohawks) et a cultivé pendant quelques années les rapports avec les Premiers Peuples au point d’avoir acquis de leur part une grande part de confiance.

Or, la confiance prend beaucoup de temps à s’établir entre les peuples, surtout dans le cadre de rapports entre un pouvoir colonisateur et des peuples victimes d’une colonisation sauvage et génocidaire. M. Miller était à sa place, faisait du bon travail avec les Premiers Peuples et on l’envoie comme un chien dans un jeu de quilles au ministère de l’Immigration, un véritable nid de guêpes! Je ne me souviens même pas du nom du nouveau ministre des Relations Couronne – Autochtones…

Ce gouvernement a perdu sa boussole mais le pire c’est que le parti en attente du pouvoir, les conservateurs, est encore pire quant à ses politiques de droite, voire d’extrême-droite. Est-ce qu’on va devoir sauter de la poêle à frire dans le feu ? C’est peut-être le temps de donner une chance à d’autres de gouverner et je pense au NPD qui, malgré ses faiblesses au pouvoir dans des provinces, a réussi à imposer certaines de ses politiques aux libéraux et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête.

Quant au fin de règne de Trudeau, bon vent ! Il a brisé sa promesse d’inclure la proportionnelle qui lui aurait assuré le pouvoir pendant plusieurs années en coalition car les conservateurs ont peu de chances de faire une coalition avec qui que ce soit. Il faudra probablement passer par le purgatoire pour voir la lumière au bout du tunnel.

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Les sondages actuels sont serrés, mais autorisent cette éventualité : un gouvernement de coalisation NPD-PLC, et durant un mandat de 4, voire de 5 ans.

Voilà la seule voie sûre pour éviter la régression conservatrice.

Le Bloc pourrait-il se joindre à un tel gouvernement de coalition ? À lui de choisir entre son âme à droite (le nationalisme québécois) et son âme à gauche (l’héritage de René Lévesque créateur de la puissance de gauche et quasi souverainiste d’Hydro-Québec).

Qui décidera ? Les banques canadiennes qui contrôlent le fin fond de pays. Elles ont deux lignes pour attraper le poisson (conserver le pouvoir socio-économique) : le PCC et le PLC. Préfèrent-elles le conservatisme culturel (poisson amer) du PCC ou le libéralisme culturel (poisson sucré) du PLC ?

On le verra. Mais difficile de cerner, en notre opaque démocratie, quels fils, quels menés nos banques si influentes agrippent à leurs hameçons.

J.L.
ph.d. en Philosophie politique et maître en Histoire

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Malheureusement pour la majorité de la population, Justin Trudeau n’aura jamais la lucidité de quitter et laisser sa place à un autre chef, et son caucus n’aura jamais le courage de lui montrer la porte à temps pour la prochaine campagne.

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