Les indépendantistes avaient de quoi se réjouir la semaine dernière après la publication d’un nouveau sondage Léger montrant que l’appui à la souveraineté avait atteint son plus haut niveau depuis des années au Québec.
Le sondage, d’abord paru dans les pages du quotidien Le Devoir, révélait que 38 % des électeurs québécois voteraient pour la souveraineté du Québec si un référendum avait lieu. La moitié des répondants (51 %) se prononcent toujours néanmoins contre la souveraineté, tandis que 10 % se disent indécis.
Les sondages des dernières années sur l’indépendance du Québec ont montré un soutien plutôt stable à l’option du Oui, qui rallie généralement du quart au tiers des électeurs. En juin 2022, Léger accordait à la souveraineté 32 % de faveur, après un creux de 27 % en décembre 2020 selon le même sondeur (voir la liste des sondages sur la souveraineté ici).
Cette hausse de six points de l’appui à l’indépendance du Québec est statistiquement significative, mais un défi majeur demeure pour le mouvement souverainiste : les jeunes électeurs ne sont pas le moteur de ce mouvement comme c’était le cas jusqu’au référendum de 1995. À cette époque, selon une compilation réalisée par la professeure de sociologie de l’Université de Montréal Claire Durand, spécialiste en opinion publique, 65 % des moins de 35 ans (la génération X actuelle) et 56 % des 35-54 ans (les baby-boomers) appuyaient la souveraineté. Chez les 55 ans et plus (dont ceux encore en vie aujourd’hui ont au moins 85 ans), seulement 35 % auraient dit oui à l’indépendance.
Depuis, les personnes nées après la dernière fois où le Québec a tenu un référendum sur son lien avec le Canada se montrent un peu moins enthousiastes à l’égard de la souveraineté que la moyenne : parmi les électeurs âgés de 18 à 34 ans, 31 % sont favorables à la souveraineté et 49 % sont contre (voir le graphique ci-dessous). Chez les électeurs âgés de 35 à 54 ans, l’option fédéraliste est toujours en tête avec une avance notable de 21 points (55 % contre, 34 % pour).
Ce n’est désormais que parmi les électeurs plus âgés (55 ans et plus) — notamment ceux qui ont vécu et se rappellent les batailles constitutionnelles des années 1980 et 1990 pour la reconnaissance du Québec — que l’on constate une égalité statistique entre les deux camps : 50 % contre, 45 % pour.
Ces chiffres reflètent aussi les écarts dans les intentions de vote des jeunes électeurs tant au niveau provincial que fédéral au Québec (elles étaient également mesurées dans ce sondage Léger). Parmi les jeunes électeurs, seulement 14 % appuient le Parti québécois (PQ) au niveau provincial et 16 % penchent pour le Bloc québécois au fédéral, tous deux loin au troisième rang dans cette tranche de l’électorat.
Le premier ministre François Legault et sa Coalition Avenir Québec (CAQ) dominent toujours les intentions de vote. Parmi les électeurs décidés, 40 % voteraient pour la CAQ, 22 points devant le PQ (18 %). Québec solidaire (QS) récolte 17 %, tandis que le Parti libéral du Québec (PLQ) — qui panse encore ses plaies après ses résultats désastreux de l’automne dernier — reste bloqué à 14 %, avec un famélique 4 % de faveur parmi les électeurs francophones (consultez la dernière mise à jour de Qc125 ici).
Alors comment se fait-il que l’appui à la souveraineté (38 %) soit deux fois plus élevé que l’appui à la formation politique qui promeut ce projet (18 % pour le PQ) ?
Un tel écart laisse croire que la plupart des électeurs indépendantistes ne soutiennent pas le parti dont la raison d’être demeure l’indépendance, et la répartition de l’appui à la souveraineté selon les intentions de vote montre justement cela.
Sans surprise, les partisans du PQ et du PLQ restent fermement campés sur leurs positions historiques : 85 % des électeurs péquistes soutiennent l’indépendance, tandis que 93 % des libéraux s’y opposent. Les chiffres deviennent beaucoup plus délicats avec les deux autres partis à l’Assemblée nationale.
Parmi les électeurs de la CAQ, 42 % appuieraient l’indépendance si elle était soumise à un vote, et 52 % s’y opposeraient. Ce résultat montre à quel point François Legault doit faire preuve de doigté dans sa façon de gouverner la province, en jouant sur le tableau de la « fierté » et du nationalisme, mais sans aller jusqu’à la menace de séparation. Bien que le moment soit toujours propice, pour un premier ministre québécois, pour bomber le torse devant le gouvernement fédéral, M. Legault doit garder à l’esprit qu’une majorité d’électeurs de la CAQ sont contre la souveraineté.
Le cas de Québec solidaire demeure fort curieux. Depuis sa fondation il y a près de 20 ans, QS a toujours clairement affirmé dans son programme qu’il était favorable à l’indépendance. Cependant, sondage après sondage, il s’avère que plusieurs — et dans bien des cas la plupart — des électeurs de QS soutiennent le parti d’abord pour ses politiques socialistes et se prononceraient contre la souveraineté si elle était soumise à un vote.
Dans ce sondage Léger, 45 % des électeurs de QS s’opposent à l’indépendance du Québec, tandis que 43 % y sont favorables. Il semblerait que les dirigeants de QS soient incapables de convaincre leurs propres électeurs de soutenir la souveraineté.
Peut-être que cette hausse de l’appui à la souveraineté n’est qu’une fluctuation éphémère, mais il faut reconnaître qu’il y a un regain d’enthousiasme au sein du mouvement indépendantiste depuis le bras de fer des trois députés péquistes avec les règles parlementaires sur le serment au roi britannique et chef d’État du Canada, maintenant devenu facultatif pour les futurs élus de l’Assemblée nationale.
Bien que trois sièges et un peu moins de 15 % des suffrages demeurent le pire résultat de l’histoire du Parti québécois, les stratèges péquistes ont réussi à maintenir leurs députés sous les projecteurs depuis l’élection, et force est d’admettre que les autres partis d’opposition ont perdu les premières manches de cette nouvelle législature contre l’équipe des communications du PQ.
Pas plus tard que la semaine dernière, Paul St-Pierre Plamondon était en tournée européenne au Royaume-Uni — notamment en Écosse —, en France et en Belgique pour rencontrer, séances photos incluses, des dirigeants politiques et des personnalités médiatiques. Aucun chef du PQ n’avait joui d’une telle visibilité depuis que Pauline Marois était première ministre.
Le PQ a peut-être connu ses pires résultats en un demi-siècle en octobre dernier, mais bien des indépendantistes vous diront que l’optimisme au sein du mouvement n’a jamais été aussi élevé depuis bien des années.
Que la souveraineté soit peu populaire chez les jeunes est presque une bonne nouvelle pour l’option. Après 20 ans de gouvernement fédéraliste sans nuance, le potentiel de croissance de l’appui à la souveraineté est là, une génération prête à entreprendre un débat de fond sur la gouvernance, prête à saisir le potentiel d’action d’un État plus petit, mais plus agile en matière d’environnement, de culture et de justice sociale, prête à livrer de futures Lévesque, Parizeau, Rochon, Charlesbois et compagnie, prête à entreprendre une conversation avec les nouveaux québécois et les membres des communautés culturelles chez eux au Québec, prête à assumer son destin collectif plutôt que son déclin national.
Oui, l’optimisme est de mise.
Pour qu’un parti politique soit pris au sérieux, il doit assumer les convictions qu’il est censé véhiculer. Tant que le PQ cachait l’indépendance de son programme, il suscitait la suspicion chez l’électorat et prêtait le flan aux attaques des partis adverses. Inutile d’attendre en vain que les conditions gagnantes surgissent ou que le fruit soit mûr. Il faut passer à l’action.
J’ai des doutes sur les sondages Léger. Le résultat est toujours bon pour le client qui a commandé le sondage. Par exemple :
Le 3 juillet 2020, un nouveau sondage Léger pour la Presse : « Il y a maintenant 80% des Québécois qui se disent fiers d’être Canadien. »
Jean-Marc Léger : « C’est le plus haut taux que je n’ai jamais mesuré en 35 ans. »