Il s’agit là d’un exercice de politique-fiction dont le résultat ne peut qu’être imaginé. Nous n’avons pas encore inventé (malheureusement, quoique j’y travaille fort !) la capsule spatiotemporelle qui nous permettrait d’observer le cours de l’histoire des univers parallèles.
Alors, combien de sièges aurait remportés le Parti conservateur du Québec (PCQ) en octobre 2022 si l’abandon du tunnel autoroutier Québec-Lévis avait été annoncé avant ou pendant la campagne électorale ?
Cette réponse peut être âprement débattue, mais cela reste un exercice intéressant, d’autant plus que le chef conservateur québécois lui-même suppute ses chances avec une telle main. Et surtout lorsque l’on considère que les quatre circonscriptions caquistes où les marges de victoire contre le PCQ étaient les plus minces se trouvent dans Chaudière-Appalaches : Beauce-Nord (202 votes), Beauce-Sud (428 votes), Bellechasse (3 453 votes) et Lotbinière-Frontenac (4 827 votes).
Le cas de Bellechasse est particulier, car si cette vaste circonscription (voisine de Lévis à l’est et qui s’étend jusqu’à la frontière du Maine) a été remportée par la Coalition Avenir Québec (CAQ) avec plus de 50 % des suffrages en 2018 (27 points devant le PLQ), la marge victorieuse en 2022 s’est avérée plus modeste : la députée caquiste sortante, Stéphanie Lachance, a arraché le siège avec 45,7 % des voix, seulement 10,4 points devant le candidat conservateur Michael Tardif, qui a obtenu un respectable 35,3 %.
Cependant, lorsque l’on considère les résultats de l’élection dans Bellechasse par bureau de scrutin (source : Election-Atlas.ca), on constate que la CAQ a raflé presque l’entièreté des bureaux de vote situés le long du fleuve Saint-Laurent, ceux où vivent les citoyens les plus susceptibles d’être touchés par l’absence du troisième lien. Le PCQ a plutôt fait le plein d’appuis dans la moitié ouest de la circonscription, qui frôle celle de Beauce-Nord).

Est-ce que la grogne suscitée par l’abandon du troisième lien autoroutier aurait pu faire basculer quelques milliers de votes dans Bellechasse, en particulier là où la CAQ a fait bonne figure près du Saint-Laurent ? La question se pose, mais l’écart d’un peu plus de 3 400 votes qui a séparé les deux partis n’est tout de même pas négligeable.
La quatrième circonscription sur la liste est Lotbinière-Frontenac, gagnée par Isabelle Lecours, de la CAQ, par une marge de 11 points devant le conservateur Christian Gauthier. Voici les résultats par bureau de scrutin (source : Election-Atlas.ca).

Une fois de plus, la CAQ a remporté virtuellement tous les bureaux de scrutin le long du fleuve Saint-Laurent, ainsi que l’entièreté des bureaux de vote dans Thetford Mines (dans le sud de la circonscription). Même si l’on peut considérer tous les cas de figure dans un exercice de politique-fiction, il est quand même difficile d’imaginer que l’abandon du troisième lien aurait pu faire chavirer près de 5 000 votes.
Qu’en est-il d’Éric Caire dans la circonscription de La Peltrie ? L’ancien adéquiste, qui avait juré qu’il démissionnerait si le projet de troisième lien était mis au rancart, se trouve dans la ligne de mire d’Éric Duhaime et de ses partisans conservateurs depuis le changement de cap du gouvernement. Aurait-il mordu la poussière en 2022 ? Même s’il s’agit fort probablement du maillon faible de la CAQ dans toute cette controverse, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique a remporté son siège avec 44 % des suffrages, 15 points et plus de 6 000 votes devant son rival conservateur. Est-ce qu’autant de résidants de L’Ancienne-Lorette auraient jeté leur dévolu sur les troupes d’Éric Duhaime ? La marche commence à être haute d’un point de vue statistique.
Les prochains coups de sonde nous diront si l’abandon du troisième lien autoroutier aura fait bouger l’aiguille des intentions de vote au Québec et plus particulièrement dans les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches. Pour l’instant, nous ne pouvons qu’imaginer des situations hypothétiques. Néanmoins, quand on regarde les chiffres de 2022, il n’est pas déraisonnable de croire que le PCQ aurait été représenté à l’Assemblée nationale par deux ou trois députés si le gouvernement Legault avait dévoilé son intention d’exclure les voitures de son nouveau projet.
Dans ces régions, le lien autoroutier jouissait d’une forte et constante popularité auprès des électeurs. Un sondage Léger de 2016 laissait entendre que 70 % des électeurs de Québec et 90 % des électeurs de Lévis étaient favorables au projet. Six ans plus tard, en juin 2022, un sondage Léger montrait que 59 % des citoyens de Québec et 75 % de ceux de Lévis appuyaient le troisième lien. Une promesse aussi solidement défendue pendant des années et soudain abandonnée est certes susceptible de générer quelques fissures dans les relations entre les électeurs et leurs élus.
Reste à voir si les électeurs se souviendront de leur colère du printemps 2023 au prochain scrutin, en octobre 2026. On peut se permettre d’en douter.
Merci d’avoir fait l’exercice, très interessant.
Il ni a pas que les gens de la région de la capitale qui utilisent les ponts, mais les gens du nord et du sud qui veulent se visiter. Nous y repenseront avant de voyager et prendre 60 à 90 minutes pour traverser. Nous aussi nous votons.
Donc un pont pour relier la Côte-Nord à Charlevoix est la réelle priorité. Beaucoup de je-me-moi sur la rive sud de la Capitale-Nationale
Reste à savoir si les électeurs auraient quand même appuyé le projet de 3e lien en connaissant le coût réel estimé du projet. Tous les coûts ont été caviardés dans les études, le 10 milliards annoncé est une farce monumentale, il faudrait probablement doubler la mise.
Un tunnel n’a jamais été « la » bonne solution, pour relier la Rive sud et la Côte Nord… Et un tunnel « juste pour les piétons et les bicycles », ce l’est encore moins. Avant qu’un réseau de transport « tout au collectif » soit efficace et intéresse suffisamment de « traverseurs » pour justifier le forage d’une pareille « lubie »… il faudra avoir démontré clairement que les moyens de transport collectif actuels gagnent l’adhésion du plus grand nombre — et réponde à leurs besoins réels. Est-ce que le tramway projeté réussira à atteindre ce but lointain et aléatoire, là où les autobus déjà en place ne parviennent jamais à faire remiser les autos dans leurs garages? Pour convaincre les gens de Québec et des régions avoisinantes d’abandonner leurs autos, il faudrait investir beaucoup plus d’argent dans ce « système public »… que ce que pourrait coûter un tunnel improbable et destiné à quelques centaines d’usagers du « centre-ville » de Québec à celui de Lévis. Le Pont de Québec, en 1916, était réservé au passage des trains… Cela n’a pas pris bien des années, avant que « les élus » se réveillent enfin, et réalisent que tant d’efforts et d’investissements devaient servir au plus grand nombre, et répondre aux « vrais besoins » de la population : on a vite ajouté une voie carrossable, pour les automobiles et les camions, de plus en plus nombreux — pas pour les piétons et les bicycles ! Demain, il y aura toujours des voitures et des camions… même électriques… C’est quoi, cette manie de « mono-tube »? Une dépense folle et inefficace. Pourquoi à Montréal, les ponts et le tunnel desservent-ils les voitures… alors qu’à Québec, ce n’est pas possible? Un lien à l’est, cela s’impose, pour compléter une ceinture autour de la Ville… Mais pas nécessairement un tunnel, qui risque de devenir de plus en plus « hors de prix », à mesure qu’on ne fait rien, et qu’on se débat plutôt à jongler avec des lubies…