
Chacun à leur manière, les sept chefs que le Parti québécois s’est donnés depuis 1968 ont tâché de résoudre le double casse-tête consistant à diriger des troupes dissipées, animées d’un rêve d’indépendance, tout en persuadant les Québécois de leur confier les rênes de l’État.
« Avec Jacques Parizeau, on était comme une armée derrière un général, raconte l’ancienne ministre péquiste Louise Beaudoin. René Lévesque était un charismatique émotif, un passionné. Avec Lucien Bouchard, on avait beaucoup de théâtre, c’était inspirant. Pauline Marois?? Ce serait… la raison dans la passion contenue. C’est une femme raisonnable, Pauline. »
Cette femme raisonnable saura-t-elle conquérir un électorat divisé??
Elle a piloté les plus gros ministères, bravé nombre d’ouragans et su demeurer à la barre d’un parti réputé pour malmener ses chefs. Aucun politicien actuel ne connaît autant qu’elle la mécanique gouvernementale. Même Jean Charest le reconnaissait en mars 2006. Pourtant, elle reste moins populaire que son parti?!
Pour élucider ce mystère, L’actualité a dépêché Noémi Mercier sur les traces de la chef du PQ bien avant le déclenchement des élections. Notre journaliste l’a rencontrée 14 fois en privé et l’a suivie comme une ombre pendant 48 heures sur la Côte-Nord et au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Elle a posé des centaines de questions, obtenu autant de réponses. Il y a eu des trajets en voiture, des conférences de presse, des voyages en avion, de nombreux échanges impromptus, des discours. Et beaucoup d’intimité.
Car il y a un moment dans la journée où Pauline Marois est disponible et auquel nul journaliste n’avait encore eu accès. Un rituel qu’elle observe religieusement, tôt le matin, avant que le tourbillon des réunions et des rivalités l’emporte?: sa demi-heure chez le coiffeur.
Entre le 19 avril et le 6 mai 2012, notre journaliste a interviewé la leader péquiste 11 fois au son du sèche-cheveu, à travers un nuage de laque, une proximité qu’il est rarement donné à un journaliste de partager avec une personnalité politique.
Durant ces intermèdes où Marois n’était pas encore entrée dans son personnage public, la femme qui aspire à gouverner le Québec s’est révélée. La voici. Avec ses forces et ses doutes.
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L’élégance sera superflue ce soir. Les bonnes manières aussi. Dépouillée de sa flamboyante veste de cuir turquoise, Pauline Marois a enfilé son vieux chandail réconfort sur sa camisole de dentelle. Les manches retroussées, elle casse les pattes de crabe des neiges de ses mains manucurées et suce goulûment la chair à même la carapace. « Je suis une excessive en tout ! » s’exclame-t-elle, plongeant dans les fromages longtemps après les autres convives, son verre de vin jamais loin des lèvres.
En tournée sur la Côte-Nord et au Saguenay – Lac-Saint-Jean en cette fin d’avril, la chef du Parti québécois décompresse chez le député Marjolain Dufour, qui a cuisiné pour elle un festin de fruits de mer. Elle dévore avec un empressement gourmand, ricaneuse et vive au bout de la table, comme chez de vieux amis.
Pas de réunion chronométrée ce soir. Pas de joute oratoire avec le premier ministre. Pas de mêlée de presse dans le couloir. Pas d’armure. Dans ce bungalow aux allures de chalet suisse, isolé dans un boisé à 12 km de Baie-Comeau, nous sommes cernés d’épinettes et de silence.
« Si les Québécois veulent de Jean Charest, eh bien, qu’ils le choisissent. Et ils vivront avec », dit-elle avec une pointe de dépit, se révélant soudain mordante et grave. « On ne gagne jamais à diviser le Québec. Quand t’es chef d’État, tu te bats pas contre ta jeunesse, crisse. »
Après des semaines de protestations houleuses contre la hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement Charest, le conflit étudiant est en train de basculer dans la crise sociale.
Malgré cela, Pauline Marois ne parvient pas à tirer parti du ras-le-bol de la population. Le carré rouge qu’elle arbore à l’Assemblée nationale, symbole de la cause étudiante diabolisé par ses adversaires, menace de devenir son boulet. (Elle le délaissera à partir du 20 juin, évoquant l’importance d’aborder d’autres enjeux à l’approche du scrutin… mais s’attirant du même souffle quelques accusations d’opportunisme.)
« On ne gagne jamais à diviser le Québec.
Quand t’es chef d’État, tu te bats pas contre ta jeunesse, crisse. »
– Pauline Marois
À l’autre extrémité de la table, la combative Marie Barrette, son attachée de presse depuis trois ans, bouillonne d’angoisse et de révolte. « Jean Charest a acculé les étudiants au mur et il est en train de faire la même chose avec nous ! On a une job à faire, madame. Il va falloir convaincre, tous les jours. C’est pas vrai qu’on va perdre sur cette question-là, après tout ce qu’on a enduré. On a ramé dans la gravelle, la face en sang ! » rage-t-elle.
« Marie, on a choisi notre camp, martèle la chef. Celui de la justice, de l’équité, d’une société qui croit qu’investir dans l’éducation, c’est la meilleure chose qu’on puisse faire dans la vie, d’accord ? Il nous plantera là-dessus s’il le faut. Mais on a choisi notre camp. »
(Photo : Marie-Reine Mattera)
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