Yan Plante est vice-président à l’agence de relations publiques TACT. Il est un ex-stratège conservateur ayant conseillé l’ancien premier ministre Stephen Harper lors de trois élections. Comptant près de 15 ans d’expérience en politique, il a également été chef de cabinet de l’ex-ministre Denis Lebel.
Ce n’est pas parce que la Coalition Avenir Québec (CAQ) semble se diriger vers une victoire facile que les partis fédéraux ignoreront ce qui se passera au Québec dans les prochaines semaines. C’est même tout le contraire.
J’ai vécu au sein du gouvernement fédéral les campagnes électorales québécoises de 2007, 2008, 2012 et 2014. Et j’ai vu de l’intérieur à quel point ces rendez-vous sont suivis et analysés de près à Ottawa — où on se déchire parfois sur l’opportunité de s’impliquer directement, ou pas, dans une campagne. C’est vrai pour n’importe quel scrutin pouvant avoir une incidence sur les activités d’un gouvernement fédéral, au Canada ou ailleurs dans le monde, mais ça l’est particulièrement lors d’élections québécoises.
En règle générale, à quelques semaines des élections, le Bureau du Conseil privé — le ministère du premier ministre du Canada — et son ministère des Affaires intergouvernementales sont déjà à l’œuvre et surveillent l’évolution de l’opinion publique à l’égard des partis politiques, des chefs et des enjeux. Pendant la campagne, ils vont épier les différentes plateformes électorales à la recherche de ce qui pourrait toucher le gouvernement fédéral, comme des demandes de pouvoirs accrus ou de financement pour le Québec. Les fonctionnaires fédéraux noteront également les prises de position susceptibles d’influencer les relations entre Ottawa et les provinces. Ils feront des rapports réguliers au Cabinet et suggéreront des contre-arguments au besoin.
Dans les divers partis fédéraux, on va aussi surveiller très attentivement ce qui se passe. On attendra le signal du chef pour s’impliquer — ou non ! — dans la campagne québécoise.
Bon nombre d’élus fédéraux seront sollicités localement pour appuyer un candidat ou une candidate. Au même titre, des conseillers politiques vont vouloir donner un coup de main à leur parti favori. Par contre, l’implication personnelle d’un individu pourrait être perçue comme une aide officielle d’une formation politique fédérale envers une autre du Québec. Il pourrait y avoir des répercussions, et c’est pour cela que c’est si délicat.
C’est donc toujours un sujet sensible, particulièrement avec les élections québécoises, parce qu’il y a une séparation entre les partis fédéraux et provinciaux du Québec. Dans la plupart des provinces canadiennes, les partis provinciaux portent le même nom que leurs cousins fédéraux, et ce sont dans les faits les mêmes personnes qui y militent. On partage de l’information, des stratégies et des bénévoles. Les employés passent d’un palier de gouvernement à l’autre sur une base régulière.
Au Québec, il n’y a pas d’alliance officielle. Si bien que des libéraux de Justin Trudeau peuvent préférer la CAQ ou Québec solidaire au Parti libéral du Québec (PLQ), comme certains conservateurs de Stephen Harper, à mon époque, pouvaient préférer les libéraux québécois à l’Action démocratique du Québec (l’ADQ, l’ancêtre de la CAQ). Je doute également que tous les néo-démocrates québécois à Ottawa appuient sans exception le NPD-Québec.
Historiquement, l’exception à cette règle était le Bloc québécois et le Parti québécois, qui semblaient être le prolongement l’un de l’autre. Cela dit, dans le contexte actuel, on peut penser que certains employés du Bloc préfèrent la CAQ ou même QS au PQ…
Dans les autres partis fédéraux, il peut aussi y avoir des divisions quant à l’approche à adopter.
À titre d’anecdote, j’ai entendu des dizaines de fois, lors d’élections québécoises, des collègues ou des ministres insister sur le fait qu’il valait mieux se pincer le nez quant à certaines positions exprimées par l’ancien premier ministre Jean Charest à l’égard du gouvernement Harper que de se retrouver avec un gouvernement péquiste à Québec. Mais de nombreux membres de notre équipe étaient bien plus favorables à l’ADQ de Mario Dumont qu’au PLQ de Jean Charest… Pas facile de concilier des intérêts divergents.
Au quotidien, les partis qui ont une relation de confiance se parleront régulièrement entre Québec et Ottawa. Dans mon cas, j’échangeais de façon officielle plusieurs fois par semaine avec les entourages des chefs du Parti libéral, de l’ADQ et de la CAQ lors d’élections québécoises. Certains de mes collègues faisaient de même. Nous colligions l’information et un rapport était envoyé au premier ministre Harper, ainsi qu’aux élus pour qui c’était pertinent.
Quand les partis à Québec ont une relation de confiance avec les formations d’Ottawa, ils informent celles-ci de ce qui s’en vient, et les représentants fédéraux ébauchent des réponses à offrir lorsque les journalistes poseront des questions. C’est d’ailleurs une dynamique qui fonctionne dans le sens inverse : lorsqu’il y a une élection fédérale, les échanges sont tout aussi fréquents entre les partis. On évite les surprises de part et d’autre.
Parfois, les partis offrent également des conseils plus directs à ceux qui font campagne. Lors de la campagne de 2014, nous étions plusieurs à suggérer à l’entourage de Philippe Couillard d’être plus incisif avec Pauline Marois, en opposant les enjeux importants à un référendum. « L’économie, la santé, l’éducation avec les libéraux, ou un référendum avec le PQ. » Vous avez sans doute entendu ça au moins une fois !
Il arrive également que nous recevions des demandes singulières d’un parti ami. Durant la campagne de 2012, un conseiller d’un parti m’avait appelé pour me demander si nous avions de l’information sur un candidat d’un autre parti, information qui pourrait mettre celui-ci dans l’embarras… Ce candidat avait joué un rôle de fonctionnaire à Ottawa quelques années auparavant. Je n’ai jamais donné suite à cette requête.
Il faut aussi noter que le gouvernement fédéral va normalement s’abstenir de faire toute annonce majeure dans une province au cours d’une campagne électorale afin de ne pas influencer le résultat. Mais probablement que certains partis ont en ce moment des débats internes sur la stratégie à adopter sur le terrain…