En entrevue avec notre chef du bureau politique, Jean Charest fait le bilan d’une étonnante campagne à la direction du Parti conservateur du Canada, face à un adversaire hors normes, le député Pierre Poilievre. À quelques jours du dépouillement des votes et du dévoilement des résultats, celui qui a déjà été chef du Parti progressiste-conservateur du Canada et premier ministre du Québec se dit convaincu qu’une victoire est possible.
Voilà des mois que la plupart des observateurs prédisent la victoire de Pierre Poilievre : il attire des foules importantes, son équipe dit avoir recruté plus de 300 000 membres sur les 675 000 qui auront le droit de vote, les sondages montrent qu’il est le favori des sympathisants conservateurs. À quoi ressemble votre niveau de confiance alors que la vote a commencé ?
Mon niveau de confiance est élevé. C’est très difficile d’avoir une lecture, une visibilité quant au résultat probable de la course au leadership. D’abord parce que c’est un système de points — ce n’est pas un système qui fait gagner celui qui a recruté le plus de membres et qui obtient le plus de votes dans l’absolu. Le gagnant est celui qui obtient le plus de points par circonscription. C’est 100 points par comté. Et dès le début, on s’est concentré là où le vote serait le plus efficace — en particulier sur le Québec [avec 78 circonscriptions, la province pourrait distribuer jusqu’à 23 % des points].
La bonne nouvelle pour nous, c’est que 60 % des personnes admissibles au Québec ont exprimé leur droit de vote à ce jour. La province qui s’en rapproche le plus, c’est l’Alberta, où seulement 40 % des voteurs ont exprimé leur droit de vote. C’est un bon signal. Les membres ont jusqu’au 6 septembre à 17 h pour déposer leur bulletin. Si c’est par la poste, ça veut dire le 30 août. Alors on est vraiment dans la dernière ligne droite, et on pousse beaucoup pour dire aux gens de voter. Tout se jouera là.
Voilà où on est. Nous, on est très confiants par rapport à la course qu’on a faite. Les sondages indiquent qu’on a le soutien de la majorité des Canadiens. Même Angus Reid, le 23 juillet, montrait que les membres du parti soutiennent de manière très nette les cinq principales propositions que j’ai faites.
Depuis quelques semaines, vous multipliez les messages implorant les membres-électeurs de ne pas voter pour Pierre Poilievre. Vous dites : on ne peut « prendre le risque de choisir une personne qui présente des politiques qui sont de toute évidence risquées ». Comment expliquez-vous l’attrait que semblent susciter des politiques que vous qualifiez de « risquées » ?
D’abord, Poilievre ne fait pas campagne pour devenir chef conservateur. Allez voir son site, jamais vous ne voyez le mot « conservateur ». Il n’en parle pas dans ses communications, il ne fait pas d’entrevues. Il fait campagne en disant : « Je veux devenir premier ministre. » Il fait du recrutement chez les antivaccins, ceux qui ont fait blocus l’hiver dernier, et les gens qui sont entichés des bitcoins. C’est là qu’il a fait sa campagne et son recrutement. C’est ça, la réalité de la course. M. Poilievre est de la trempe des politiciens américains qui font de la politique avec des méthodes de polarisation. Son approche pendant la campagne a été une succession d’attaques violentes contre ses adversaires. Lorsqu’il n’est pas d’accord avec eux, il les traite systématiquement de menteurs, de corrompus… C’est ce qu’il a fait systématiquement. C’est son style et sa façon à lui de faire de la politique. C’est la méthode américaine. Et on ne se gêne pas pour dire aux membres du parti et aux Canadiens que ce n’est pas ça qu’on veut au Canada.
Dans les premiers débats, vous avez été hué quand vous avez dénoncé le soutien de Pierre Poilievre aux blocus illégaux (les camionneurs à Ottawa). J’ai eu l’impression que ça vous avait surpris… Comment analysez-vous le fait que des membres d’un parti associé à « la loi et l’ordre » réagissent ainsi ? Qu’est-ce que ça vous dit de l’état du membership du Parti conservateur ?
Honnêtement, je n’étais pas très surpris, c’était le débat du Manning Center, en mai, où la salle était majoritairement remplie de partisans de Poilievre. Mais ça confirme les propos que je vous tenais. Les gens qui étaient dans la salle étaient là en soutien à un blocus illégal. Quand je suis entré dans cette course, j’étais très déterminé à dire ce que je pense, à défendre ce en quoi je crois, et à ne pas faire de compromis dans le simple but d’attirer des applaudissements.
Il y a six valeurs conservatrices dont j’ai parlé constamment et qui ont gouverné ma vie, incluant mon temps comme premier ministre. Sur le plan fiscal, je suis un conservateur ; je crois à l’économie de marché ; je crois en des politiques qui favorisent la croissance économique, incluant les ressources naturelles — le Plan Nord était une manifestation de ça ; je crois aux familles au sens pluriel du terme ; et je crois à la règle de droit — le law and order. C’est fondamental. Ce n’est pas unique aux conservateurs, mais c’est une valeur qui est très forte chez nous. Et je trouve inacceptable qu’un législateur, une personne qui fait des lois pour les autres et qui exige que les concitoyens obéissent aux lois qu’elle impose, soutienne un blocus illégal. Sur le plan du leadership, c’est impardonnable. J’ai été longtemps législateur, jamais on ne peut cautionner un comportement comme ça. Sinon on perd toute autorité morale. Les lois du pays, ce n’est pas un buffet où on choisit ce qu’on aime ou pas.
Votre campagne s’appuie beaucoup sur l’idée que vous pouvez gagner les élections générales, mais aussi sur le fait que vous avez contribué à la lutte contre le mouvement souverainiste. En regardant le déroulement de la course, j’ai eu l’impression que le défi de Jean Charest en 2022 était passé d’une défense de l’unité nationale à une défense de l’unité du Parti conservateur, qui semble profondément divisé… Comment voyez-vous cet enjeu ?
Un parti est une institution, ce n’est pas une franchise. Il y a des gens dans le camp Poilievre qui voient le Parti conservateur comme une franchise qui leur appartient. Ils aiment mieux perdre avec Poilievre que gagner avec Charest. Maintenant, un parti est une institution qui évolue avec le temps, qui réunit des gens qui partagent des valeurs communes. Je vous ai parlé de six valeurs conservatrices et je n’en ai nommé que cinq : la sixième, c’est la manière dont les conservateurs pratiquent le fédéralisme, qui se démarque des libéraux fédéraux. Nous respectons les compétences des provinces. C’est le point de départ de notre pratique du fédéralisme. Les libéraux fédéraux ont continué d’intervenir à gauche et à droite, de proposer des choses qui ne vont pas dans le sens du respect des compétences des provinces. Pour moi, c’est la sixième valeur, et si je deviens chef, le travail sera de réunir des gens autour de ces valeurs et de préparer une campagne rapidement. Mon intuition, c’est que ce gouvernement ne va pas durer jusqu’en 2025. Il peut tomber rapidement et on doit être prêt. Ce sera urgent pour moi comme chef de réunir le caucus et le parti, et d’être prêt.
Vous avez 40 ans d’expérience politique, mais ça faisait 10 ans que vous étiez en dehors de la joute. Qu’est-ce qui a changé depuis 2012 ?
Il y a deux choses qui me viennent en tête : d’abord, les médias sociaux. Ça change tout. Ça crée un monde [parallèle], qui est beaucoup en dehors des médias traditionnels et de ce que les Canadiens qui ne sont pas sur les réseaux peuvent observer.
La deuxième, c’est le contexte, qui est celui de la COVID. Ça a un effet très important sur l’humeur de l’électorat. À preuve les antivax, le blocus, tout ça témoigne d’un contexte où l’humeur de la population canadienne n’est pas très bonne. Les gens sont fatigués, frustrés, certains cèdent à la colère. Le défi pour les leaders, c’est de reconnaître cette fatigue, de reconnaître cet état des lieux et de traduire ce sentiment en choses constructives. C’est ça notre défi, notre responsabilité. Ce n’est pas d’alimenter la colère, d’en remettre une autre couche — ce que fait M. Poilievre. Il faut offrir une voie d’avenir qui nous permette de passer à autre chose et de répondre à cette anxiété de la population. Je suis allé dans l’Ouest, j’ai proposé un « accord de l’Alberta ». Le gouvernement fédéral pourrait faire un accord spécifique à l’Alberta qui répondrait à des enjeux légitimes qui préoccupent la population de l’Alberta. C’est le genre de proposition qui mène à quelque chose de constructif et qui permet d’envisager l’avenir avec un peu d’optimisme. Mais alimenter la colère ? On voit bien le jeu : c’est d’essayer d’attirer la sympathie de l’électorat qui partage cette colère, mais ça mène à quoi ? C’est ça, la vraie responsabilité d’un leader : canaliser ces choses-là vers quelque chose de constructif.
Que fera Jean Charest le 11 septembre si Pierre Poilievre est élu chef du PCC ?
Je suis membre du PCC et je vais le demeurer. Pour le reste, je compte bien devenir chef. Mais là, je suis dans le 14e round d’un combat de boxe, et me faire demander ce que je vais faire après… Honnêtement, je suis un peu occupé, là. Vous allez comprendre que j’ai un seul objectif, et je me concentre là-dessus.
J’espère bien qu’il remporte son pari, mais j’ai l’impression que M. Charest est en quelque sorte dépassé par cette nouvelle époque. La politique est devenue plus toxique, plus irrationnelle, plus agressive. Les normes qui gardaient l’équilibre de notre démocratie sont attaqués à répétition par des groupes extrémistes et par des politiciens comme Poilievre. On aura besoin de vrais leaders pour passer à travers cette crise.
L’Actualité a offert une belle plateforme à Charest. Espérons qu’elle fera preuve d’intégrité en en faisant autant pour Poilièvre.
Bravo pour la liste des valeurs du Parti Conservateur. Merci donc à M. Charest pour avoir pousser l’Actualité dans cette direction. Cela va contribuer à mieux faire comprendre par vos lecteurs l’attrait réel de ce parti.
Par contre, M. Charest continue à diaboliser M. Poilièvre. M. Poilièvre a accuser Patrick Brown d’être menteur. 0r, Pierre Poièvre semble avoir eu raison dans ce cas-ci. M. Poilièvre a aussi donné une interprétation des politiques de M. Charest qui diffère de l’interprétation qu’en a donnée M. Charest. Un des deux se trompent. Les politiques sont publiques, donc vérifiables. Aucune publication journalistique ne semble avoir pris la peine de déterminer qui a raison. Pourquoi? Est-ce parce qu’on ne voudrait pas démontrer que c’est l’enfant chéri du Québec qui interprète les choses à sa façon. Je ne sais pas. J’interprète sans avoir les moyens pour vérifier. L’autre « bassesse’ de M. Poilièvre serait d’accuser M. Charest d’être un Libéral. Quel vilain ce M. Poilièvre!
M. Charest a par contre raison de reprocher à M. Poilièvre de fouetter la colère présente dans la population. C’est une tactique facile pour M. Poilièvre. C’est aussi une tactique dangereuse. Que v’a-t-il faire lorsqu’il sera au pouvoir? Par contre, il est curieux, tout de même, de devoir constater que son message semble passer même avec les media traditionnels à son dos.
La démocratie bien qu’il faille la préserver, n’exclue malheureusement pas l’élection d’autoritaristes et dictateurs. Prenons exemple chez nos voisins du sud et protégeons notre pays de cette possible escalade dangereuse .Promettre que le Canada sera le pays le plus libre de la planète s’il est élu, est un signe révélateur du type de gouvernance qu’offrirait Poilièvre, populiste opportuniste! Il suffit d’un seul homme narcissique et dérangé pour faire basculer le fragile équilibre de tout pays où la démocratie semble prédominante. Quand on soutient une manifestation où s’entremêle drapeaux confédérés et symboles nazis et que l’on prétend défendre la liberté, il est grand temps pour un examen de conscience! Maxime Bernier et Pierre Poilièvre: même combat ……sous enveloppe différente!