
Voici par exemple les propos que le célèbre romancier montréalais Hugh MacLennan met dans la bouche d’un de ses personnages, qui a traversé la Dépression et la Deuxième Guerre mondiale :
«Pendant les années trente, je considérais la plupart des hommes politiques comme de franches canailles; pendant les années quarante, les jugeant sur la mine, j’avais cru qu’un petit nombre d’entre eux influaient vraiment sur l’Histoire; mais à présent, je suis persuadé que la vraie Histoire, ce sont les savants qui la font, tandis que les politiciens se contentent d’occuper des postes et d’hériter de situations toutes faites. Aussi bien, loin d’être des canailles ou des génies, la plupart de ceux que je connais me paraissent-ils désespérément normaux. À vrai dire, ce sont les hommes les mieux adaptés que j’ai connus, car ils semblent naviguer très à l’aise au milieu de circonstances qui paraîtraient démentielles au moindre névrosé un tant soit peu lucide. Ils doivent vite se rendre compte qu’ils ont perdu toute maîtrise des événements, tout en parvenant à donner l’impression du contraire. Ils ont de façon éminente le talent d’attacher de l’importance à tout ce qui préoccupe l’électorat, quitte à négliger virtuellement tout le reste. Il leur suffit de faire croire aux électeurs qu’ils ont les affaires bien en main.»
(The Watch That Ends the Night, par Hugh MacLennan, Macmillan of Canada, 1958. Traduction de Jean Simard parue sous le titre Le matin d’une longue nuit, Éd. HMH, coll. «L’Arbre», 1967.)