Le sort du pipeline Keystone XL semble scellé. L’équipe de transition du nouveau président américain, Joe Biden, a commencé à annoncer discrètement aux acteurs de l’industrie que ce projet ne verrait pas le jour.
Or, il est loin d’être certain que le gouvernement Trudeau, pourtant favorable à cet oléoduc, travaillera d’arrache-pied afin d’infléchir la décision à venir du président des États-Unis, qui avait promis en campagne d’enterrer pour de bon ce projet de pipeline qui doit acheminer le pétrole albertain jusqu’aux raffineries du Texas.
Le premier ministre Justin Trudeau et ses conseillers ne sont pas tombés des nues en apprenant, dimanche soir, que Joe Biden prévoyait d’annuler rapidement les permis de construction de l’oléoduc Keystone XL, au début de son mandat. Les deux hommes avaient abordé l’épineux dossier dès leur première conversation officielle, le 9 novembre dernier, quelques jours à peine après la victoire de Joe Biden, alors que Donald Trump vociférait encore contre les résultats.
L’entreprise TC Energy a d’ailleurs annoncé mercredi matin, jour de l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, qu’elle suspend les travaux sur son oléoduc, en attendant la décision du nouveau président.
Officiellement, le cabinet Trudeau est toujours favorable à ce réseau. « Il est bien connu que notre gouvernement soutient le projet Keystone XL depuis longtemps. Et nous continuerons de plaider en faveur de ce projet auprès de nos collègues américains », a affirmé lundi Seamus O’Regan, le ministre canadien des Ressources naturelles, tout en soulignant que les travailleurs de l’énergie en Alberta et en Saskatchewan pouvaient compter sur son appui.
L’ambassadrice du Canada à Washington, Kirsten Hillman, l’avait devancé de quelques heures dans une déclaration écrite : « Le pétrole brut canadien est produit à l’intérieur de stricts cadres de politique environnementale et climatique. Ce projet contribuera non seulement à renforcer la relation cruciale entre le Canada et les États-Unis en matière d’énergie, mais aussi à créer des milliers de bons emplois pour les travailleurs des deux côtés de la frontière. »
Le gouvernement conservateur de Jason Kenney, en Alberta, n’a pas l’intention de lâcher le morceau. Edmonton a investi 1,5 milliard de dollars dans le projet de TC Énergie, en plus de fournir 6 milliards de dollars en garanties de prêts. L’été dernier, quand la victoire de Joe Biden semblait de plus en plus inévitable, le gouvernement Kenney a embauché une flopée de lobbyistes et d’experts en relations publiques à Washington — au coût de 1,1 million de dollars — pour préparer le terrain à la bataille d’influence qui se profilait à l’horizon, espérant faire changer d’idée la future administration Biden.
À peine quelques minutes après les révélations de la CBC sur les intentions de Joe Biden de mettre fin au projet, dimanche, Jason Kenney était prêt à réagir. « Nous demandons au président désigné Biden de faire preuve de respect envers le Canada et de s’asseoir avec nous pour écouter nos arguments en faveur d’un partenariat pour la prospérité, pour la lutte contre les changements climatiques et pour la sécurité énergétique » des deux pays, a-t-il dit, ajoutant considérer toutes les options juridiques si le plaidoyer politique devait échouer.
Il serait toutefois étonnant que le gouvernement Trudeau emboîte le pas à Jason Kenney. La bataille ne s’annonce pas aussi énergique dans les coulisses de la diplomatie canadienne. Et la raison est la suivante : le contexte a grandement changé depuis le lancement du projet, en 2010, et même depuis l’appui de Justin Trudeau à Keystone XL, en septembre 2014. La modification en profondeur du paysage politique et économique depuis quelques années va tempérer les ardeurs de la machine étatique canadienne.
Ces changements se résument en quatre grands thèmes. Les voici.
Une nouvelle administration américaine indispensable
D’abord, le Canada a besoin d’entamer sa relation avec l’équipe de Joe Biden sur une bonne note. Les quatre dernières années du régime Trump ont fait mal au Canada et compliqué la vie de toute la classe politique, à Ottawa comme dans les provinces.
C’est l’ancien président John F. Kennedy qui a peut-être le mieux résumé les liens qui unissent le Canada et les États-Unis. « La géographie a fait de nous des voisins. L’histoire a fait de nous des amis. L’économie a fait de nous des partenaires. Et la nécessité a fait de nous des alliés. Que nul ne tente de diviser ceux que la nature a ainsi réunis. Ce qui nous unit est de loin supérieur à ce qui nous divise », a-t-il déclaré lors de son discours au parlement canadien, le 17 mai 1961, devant les députés et sénateurs rassemblés pour l’occasion.
C’est ce lien primordial que le Canada essaie de renouer avec son allié historique. Maintenant que la Maison-Blanche est dirigée par un locataire « parlable » et sympathique au Canada, il faut profiter de la conjoncture pour secouer certains dossiers qui traînent en longueur : le conflit sur le bois d’œuvre ; le désengagement des États-Unis de la lutte contre les changements climatiques ; la gestion de la frontière canado-américaine au temps de la COVID-19 ; l’aide des États-Unis pour sortir les deux Canadiens, Michael Spavor et Michael Kovrig, des griffes de la Chine, etc.
Mettre tous ses œufs dans le panier de Keystone XL, déjà embourbé dans les recours juridiques aux États-Unis, ne serait pas du meilleur effet pour reconstruire la relation. Surtout que Joe Biden était déjà défavorable au projet lorsqu’il était le vice-président de Barack Obama. Le symbole de ce pipeline est puissant aux États-Unis. Le faire changer d’avis exigerait trop d’énergie qu’on ne pourrait pas investir ailleurs.
De plus, certains membres du cabinet Biden ne manqueront pas de rappeler sa promesse au président. La nouvelle secrétaire de l’Intérieur Deb Haaland, par exemple, issue des Premières Nations, s’est fait connaître du grand public en 2016 lorsqu’elle s’est rendue au Dakota du Nord pour s’opposer au passage d’un pipeline sur le territoire sioux.
Un contexte pétrolier différent
Les arguments canadiens en faveur de Keystone XL n’ont pas beaucoup changé depuis une décennie. Encore cette semaine, on entendait de la bouche des politiciens et diplomates canadiens la notion de « sécurité énergétique » et d’« indépendance énergétique nord-américaine » pour justifier ce projet.
Il vaudrait mieux acheter du pétrole d’un pays démocratique et aux normes environnementales plus strictes, comme le Canada, plutôt que d’une monarchie pétrolière comme l’Arabie saoudite. Un argument qui tenait la route… mais qui n’a plus beaucoup d’écho aux États-Unis.
Pourquoi ? Parce que les États-Unis sont maintenant les plus importants producteurs de pétrole au monde, notamment grâce à du pétrole de schiste exploité à grande échelle. En 2019, les Américains ont sorti de terre 19,25 millions de barils par jour en moyenne, loin devant le pays en deuxième position, l’Arabie saoudite, à 11,6 millions de barils quotidiennement.
En 2005, les États-Unis importaient 60 % de leur consommation de pétrole. En 2019 ? À peine 3 %. Bref, s’ils aiment encore le pétrole canadien, les politiciens américains n’ont plus besoin de prendre de risques et de subir des contrecoups politiques énormes pour en assurer l’arrivée. (Déjà que les sables bitumineux ont une fâcheuse réputation au sud de la frontière, comme ailleurs dans le monde.)
Les États-Unis ont donc du pétrole américain à ne plus savoir qu’en faire, alors l’intérêt de faire naître Keystone XL n’a jamais paru aussi peu urgent.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Alberta et le gouvernement canadien cherchaient avant tout dans les dernières années à exporter leur pétrole vers les marchés mondiaux, les prix y étant meilleurs que sur le marché intérieur américain, où le pétrole canadien se vend très peu cher. C’est l’idée derrière le pipeline Trans Mountain. Ce qui nous amène au troisième point.
Concurrencer son propre pipeline ?
À la fin mai 2018, lorsque Justin Trudeau a annoncé l’achat du pipeline Trans Mountain de l’entreprise Kinder Morgan au coût de 4,5 milliards de dollars — sans compter la facture d’agrandissement de l’oléoduc — pour acheminer le pétrole albertain jusqu’aux côtes de la Colombie-Britannique, c’était dans « l’intérêt national », avait-il affirmé. Obtenir un meilleur prix pour chaque baril allait permettre de cesser de vendre l’or noir canadien au rabais aux États-Unis, et donc favoriser l’injection de cet argent supplémentaire ailleurs, notamment dans la diversification économique de l’Alberta. Tous les profits réalisés par le gouvernement canadien seraient réinvestis dans la lutte contre les changements climatiques.
En 2010, puis en 2014, le fédéral n’était pas propriétaire d’un pipeline. Maintenant, oui. Pourquoi se mettre à tracasser l’administration Biden à propos d’un oléoduc, Keystone XL, qui viendrait concurrencer le nouveau pipeline d’État ?
D’autant plus que l’objectif d’Ottawa demeure de revendre Trans Mountain à profit une fois l’agrandissement en cours terminé. La présence de Keystone XL ne ferait certainement rien pour en augmenter la valeur.
D’un point de vue stratégique, plusieurs membres du cabinet Trudeau se souviennent très bien du risque politique couru lors de cette acquisition, en 2018. Nationaliser un pipeline n’a pas été la décision la plus populaire du gouvernement libéral, c’est le moins qu’on puisse dire, surtout quand on tente de prouver son sérieux en matière de lutte contre les changements climatiques. Même si l’objectif de Justin Trudeau, en se portant acquéreur de Trans Mountain, n’a jamais été de remporter davantage de sièges en Alberta et en Saskatchewan, se faire mettre cavalièrement à la porte de ces deux provinces en perdant ses quatre circonscriptions en Alberta et son seul représentant en Saskatchewan, lors du scrutin de 2019, était pour le moins humiliant, après tant d’efforts.
Au cabinet Trudeau, bien des ministres et stratèges jurent en privé qu’on ne les y reprendra plus. Les libéraux ne peuvent se permettre une autre controverse sur les pipelines.
La lutte contre les changements climatiques est plus importante à long terme
Le président Biden a promis de réintégrer l’accord de Paris sur les changements climatiques et de ramener son pays dans la lutte planétaire contre les gaz à effet de serre. Pour le Canada, c’est une bonne nouvelle, y compris sur le plan économique. Une occasion à ne pas laisser filer.
Le gouvernement Trudeau a imposé une tarification sur le carbone aux provinces qui n’ont pas de mécanisme adéquat pour lutter contre les bouleversements climatiques, il a enclenché un plan vert renforcé de 15 milliards de dollars en décembre dernier, il multiplie les incitations à l’utilisation et à la construction de véhicules électriques, il veut faire du pays un territoire carboneutre en 2050, etc. Il y a toutefois un volet où le gouvernement canadien est plus hésitant : serrer la vis aux entreprises, les forcer à diminuer rapidement leur empreinte écologique.
Cela s’explique en partie par le laisser-aller au sud de la frontière, alors que les entreprises canadiennes sont en concurrence avec leurs consœurs américaines. Des normes environnementales plus strictes aux États-Unis ne peuvent que faciliter la tâche au Canada dans un marché économique aussi intégré.
Que les Américains appuient sur l’accélérateur environnemental serait une bonne nouvelle à moyen et à long terme pour le Canada. Il faut encourager cet élan, pas tenter de le freiner en faisant la promotion tous azimuts de Keystone XL. Il y a une limite à « parler des deux côtés de la bouche ».
En regardant froidement le paysage économique et politique aux États-Unis et au Canada, il est difficile d’imaginer une bataille rangée du gouvernement Trudeau pour assurer la poursuite du projet Keystone XL.
Pourquoi Trudeau n’affrontera pas Biden sur Keystone XL
Enfin une bonne nouvelle!
Merci de nous en faire part!
Il est difficilement concevable en effet, d’imaginer une guerre du pétrole entre le Canada et l’administration Biden, d’autant qu’il semblerait qu’il existe des alternatives moins coûteuses que Keystone XL….
Au moment où ce projet sortait des cartons, le baril de brut se négociait sur la place publique aux alentours de 150 US$. Les infaillibles experts en pétrole prévoyaient que le baril se négocierait avant peu aux alentours de 200 dollars et qu’il faudrait nous préparer à payer notre huile à la pompe pour chauffer notre char avec un brouette de bidous puisque le seuil des 300 dollars serait pulvérisé en un rien de temps.
Avec cela s’ajoutait l’argument de « peak oil », toujours pas atteint et la demande toujours exponentielle de produits pétroliers pour assurer la qualité de notre « train train » de vie quotidien.
Bref, toutes ces prévisions sortaient de la tête de personnes bien rémunérées : pour influencer la populace que sans le pétrole, il n’était point de salut.
Ce que les experts n’avaient probablement pas compris, c’est qu’300 US$ le baril et même à 150$, ce prix est insoutenable pour nombre d’économies. Le crash boursier de 2008 a quelque peu remis les pendules à l’heure, démontrant qu’une économie seulement basée sur une valeur des matières premières qui ne reflète pas les besoins réels, la demande effective et la capacité de production ; ne peut indéfiniment garantir une part raisonnable du bien commun pour tout un chacun.
Dans cette même courte période de temps les effets des changements climatiques se font toujours sentir et seule un économie décarbonée peut nous permettre d’envisager un avenir raisonnablement plus radieux. Le fait que dès aujourd’hui ou demain les États-Unis rejoindront à nouveau l’Accord de Paris sur le climat, nous permet de considérer comme Canadiens une coopération accrue entre les deux pays en la matière. Laquelle ne peut être que bénéfique pour tous.
Même l’Alberta est en train de se réinventer et c’est très bien comme cela.
Trudeau et Kenny qui jettent des milliards de dollars des contribuables sur des éléphants blancs qui sont déjà dépassés c’est de la politicaillerie de bas étage et ça sent le retour d’ascenseur à des amis oligarques. Mais pour nous les contribuables qui payons nos impôts et nos taxes, de les voir dépenser notre argent durement gagné pour des chimères c’est plus qu’insultant. J’aimerais bien qu’on les mette dehors une fois pour toutes.