Yan Plante est vice-président de l’agence de relations publiques TACT. Il est un ex-stratège conservateur ayant conseillé l’ancien premier ministre Stephen Harper lors de trois élections. Comptant près de 15 ans d’expérience en politique, il a également été chef de cabinet de l’ex-ministre Denis Lebel.
Le mouvement en faveur d’une plus grande indépendance de la santé publique à l’égard du pouvoir politique ne manque pas d’arguments. Il existe bien des zones d’ombre entre ce qui semble être une recommandation de la santé publique et une décision politique. Le mélange des genres en déroute plusieurs.
Des exemples ? Quand on disait au début de la pandémie à certains travailleurs de la santé de ne pas porter le masque, nombreux ont compris que cette directive n’avait rien de scientifique — mais plutôt tout à voir avec un approvisionnement insuffisant. Même chose avec les tests rapides réservés aux personnes symptomatiques. Idem avec la fermeture des frontières, alors que le virus était déjà ici.
S’il est évidemment souhaitable que les gens de la santé publique et du milieu politique communiquent bien ensemble, il faut savoir tracer la ligne entre qui recommande et qui décide. C’est une question de transparence, et par la transparence vient la confiance de la population envers les autorités.
Dans les faits, c’est toujours le gouvernement qui tranche. Et c’est parfait ainsi.
Il faut donc faire attention : plus d’indépendance pour la santé publique ne doit pas signifier de lui octroyer plus de pouvoir. Nous vivons dans une démocratie où nos gouvernements sont élus par la population pour prendre des décisions. Aucune situation, ni même une pandémie, ne devrait altérer ce principe fondamental.
Pour une plus grande indépendance
Il est certainement souhaitable que nos institutions de santé publique jouissent d’une plus grande indépendance, comme le recommande la commissaire à la santé et au bien-être.
La pandémie a fait découvrir à de nombreux citoyens le rôle essentiel que jouent nos experts en santé publique. Pour que les gouvernements soient mieux préparés la fois suivante, il est important de réfléchir à un nouveau statut, mieux adapté en cas de nouvelle pandémie ou d’un retour en force de la COVID dans de prochaines vagues.
Premier élément incontournable à considérer : la population devrait avoir accès de manière totalement objective et transparente aux avis écrits des experts en santé publique… mais en temps opportun. J’ajoute cette nuance, parce qu’il y a assurément des informations qui doivent demeurer confidentielles durant un certain temps.
Par exemple, quand j’étais chef de cabinet du ministre fédéral des Transports et qu’on nous signalait une menace terroriste envers un train de Via Rail, le gouvernement n’allait pas rendre publique immédiatement cette information. Il souhaitait d’abord que la GRC et les services secrets puissent déjouer la menace et arrêter les criminels, et aussi éviter une panique dans la population.
Il y a toujours un temps pour révéler certaines informations plus délicates, de même qu’une façon de le faire. Il y a un équilibre à atteindre, dont il ne faut toutefois pas abuser. L’idée générale doit être de divulguer le maximum d’informations, sauf exception.
Cette éventuelle meilleure distanciation sociale entre la santé publique et les gouvernements permettrait à la population de connaître sans filtre ses recommandations et sa méthodologie.
Deuxième élément essentiel : la direction de cette santé publique indépendante devrait être nommée aux deux tiers par les élus, par exemple de l’Assemblée nationale ou de la Chambre des communes. Elle serait en poste pour un seul mandat de 7 à 10 ans, assez longtemps pour la préserver de la volatilité des gouvernements. Ainsi, on éviterait une situation où un directeur de la santé publique voulant voir son mandat être renouvelé offrirait à la fin de celui-ci des conseils pouvant être teintés par ses aspirations professionnelles.
Que les gouvernements s’assument
Si cette plus grande indépendance est souhaitable, je considère que la santé publique ne doit jamais être dotée d’autre chose qu’un pouvoir de recommandation — sauf dans certains cas, où le gouvernement peut alors déléguer son pouvoir décisionnel en faisant voter une loi. En ce qui concerne le pouvoir décisionnel de confiner la population ou de fermer des entreprises pendant une pandémie, par exemple, il doit demeurer exclusivement entre les mains de nos gouvernements.
Comme l’affirmait le slogan de la révolution américaine, il n’y a « pas de taxation sans représentation ». Autrement dit, pour que le peuple accepte de payer des impôts et des taxes, il doit en contrepartie être celui qui prend toutes les décisions — par l’entremise des personnes qu’il élit pour le représenter et qu’il peut mettre à la porte aux élections générales suivantes, si jamais il estime que la représentation n’a pas été à la hauteur.
Les gouvernements doivent prendre les décisions finales afin que tous les aspects soient considérés. Il y a toujours plus d’enjeux sociaux qui doivent être examinés avant de décréter le confinement d’une population ou la fermeture des frontières que, disons, la seule capacité du système de santé : les conséquences sur l’économie, l’environnement, la santé mentale, la sécurité publique, l’éducation, l’adhésion aux mesures, les relations internationales… À maintes reprises depuis mars 2020, des conseillers politiques, des élus et des fonctionnaires m’ont soufflé à l’oreille que, « si on faisait exactement ce que la santé publique veut, on irait encore plus loin ». Ou, à l’inverse : « Les experts nous disent que telle décision n’aura pas d’effet sur la pandémie, mais il faut politiquement faire quelque chose pour rassurer la population. »
La vérité, c’est que la santé publique émet des recommandations à travers sa lunette scientifique, qui demeure étroite. Sa tolérance au risque est également plutôt faible par nature.
Que les gouvernements prennent donc les décisions et qu’ils les assument complètement. Lorsqu’ils acceptent, ignorent ou nuancent une recommandation (qui devrait être connue du public, comme on l’écrivait plus haut), qu’ils expliquent tout simplement pourquoi.
Malheureusement, il arrive que l’explication fasse défaut, et on peut avoir l’impression que nos gouvernements se cachent occasionnellement derrière la santé publique alors qu’ils devraient justifier ce qu’ils ont choisi de faire.
En fin de compte, autant je ne veux pas voir l’appareil gouvernemental jouer dans les recommandations de la santé publique sans justifier pourquoi, autant je ne souhaite pas voir la santé publique interférer dans les décisions des gouvernements. À chacun son rôle.
Analyse intéressante. J’aurais aimé que vous discutiez de l’effet de l’état d’urgence et des décrets sur la gouvernance et cet équilibre délicat.