Québec 2022 : les défis des chefs

Les cinq chefs qui feront campagne à la rentrée — François Legault, Gabriel Nadeau-Dubois, Éric Duhaime, Dominique Anglade et Paul St-Pierre Plamondon — doivent tous relever leurs défis et affronter leurs démons. Analyse.

Illustration : Catherine Gauthier pour L’actualité

Une campagne électorale inhabituelle s’amorce au Québec. Avec cinq partis sur la ligne de départ et cinq chefs présents aux grands débats, l’espace pour se démarquer sera limité. Tout un chacun devra batailler ferme pour capter l’attention des électeurs, et chaque aspirant premier ministre aura sa part d’écueils à éviter. Voici les principaux.

François Legault : maîtriser sa fierté

« Fierté et audace », avait promis le chef caquiste en début de mandat. Pour l’audace, à chacun de juger. Mais de fierté il fut abondamment question au cours des quatre dernières années. François Legault se dit fier d’à peu près tout ce qui entoure la Coalition Avenir Québec (CAQ) : fier de son caucus, de son bilan, de la loi sur la laïcité, de la réforme de la loi 101. Fier d’aimer le hockey. Fier d’avoir lancé un réseau (les Espaces bleus, des musées consacrés à l’histoire régionale) destiné à renforcer la fierté québécoise. « Est-ce qu’on est plus fiers aujourd’hui qu’en 2018 ? La réponse, c’est oui ! » disait-il à ses militants en mai. Sauf que la ligne entre l’expression de la fierté et l’arrogance est mince, et plusieurs lui reprochent de la franchir régulièrement (tout en soulignant que la fierté n’est pas un programme politique qui résout des problèmes).

Ses commentaires spontanés font parfois grincer des dents (« Il est pas mort, lui ? », à propos du député Pierre Arcand, « Mère Teresa », au sujet de Christine Labrie). Ses interventions dépeignent souvent un monde binaire où il y a les bons (les caquistes) et les méchants (les wokes), ces derniers ne comprenant pas que « c’est comme ça qu’on vit au Québec », et manquant de fierté. 

Les sondages prédisent unanimement que François Legault va l’emporter en octobre. Mais aussi que la majorité des Québécois ne voteront pas pour la CAQ. Comme quoi l’argument de la fierté ne parle pas à tous de la même manière, même si on le sert à toutes les sauces. 

Dominique Anglade : passer à l’Est

En matière de défis, la cheffe libérale a l’embarras du choix : maintenir le statut d’opposition officielle de sa formation, sauver son propre statut de cheffe, rappeler que les champions de l’économie ont toujours été les libéraux, etc. C’est ainsi quand vous dirigez une équipe à laquelle les sondages prédisent les pires résultats de son histoire (et dont la moitié du caucus a décidé de ne pas se représenter). C’est ainsi, également, lorsque vous essayez d’imposer un virage idéologique. Le coup de barre nationaliste et social que la cheffe a voulu donner au Parti libéral dans la dernière année — revendication de la souveraineté culturelle, position ferme sur les champs de compétence — a surtout plongé sa formation dans une sorte de confusion identitaire. La tentative de se rapprocher des électeurs francophones en accueillant d’abord favorablement la réforme de la Charte de la langue française n’a eu aucun effet sur ceux-ci, selon les sondages (environ 10 % d’appuis). Elle a, au contraire, éloigné le parti de sa base traditionnelle — ce qui a notamment provoqué l’émergence de deux formations vouées à la défense des droits des anglophones. Pour la cheffe, la campagne s’annonce donc comme un délicat exercice d’équilibriste : garder ses acquis dans l’ouest de l’île de Montréal, mais aussi réussir à passer son message à l’est du boulevard Saint-Laurent, auprès de francophones qui ne paraissent pas tellement disposés à prêter l’oreille…

Gabriel Nadeau-Dubois : trouver le dosage

Quatre des cinq chefs en seront à leur première campagne. Du lot, celui de Québec solidaire (QS) sera particulièrement sous le feu des projecteurs. Parce qu’il dispose d’une énorme notoriété (quatre Québécois sur cinq le connaissent) et parce que François Legault l’a désigné avec beaucoup d’emphase comme son adversaire principal — celui qui incarne l’antithèse de la vision caquiste. Et aussi parce que, pour la première fois de son histoire, QS aspire à poursuivre sa croissance jusqu’à former l’opposition officielle. Du moins, c’est le souhait émis en coulisses. Pour y arriver, le parti devra toutefois non seulement défendre les circonscriptions remportées en 2018 en dehors de Montréal, mais également en arracher d’autres. Jusqu’ici, les sondages ne suivent pas le niveau d’attention que « GND » reçoit, et montrent que Québec solidaire sera obligé de jouer à la fois défensivement et offensivement. Le chef de 32 ans devra ainsi déterminer le bon dosage dans ses interventions afin de toucher un plus grand nombre d’électeurs sans se mettre à dos la base militante de QS, qui n’a pas la réputation d’apprécier les compromis qu’exige la politique. En somme, l’ancien leader étudiant devra trouver comment faire croître la formation sans perdre l’ADN originel de celle-ci. 

Paul St-Pierre Plamondon : bâtir à partir de rien

Le chef du Parti québécois (PQ) ne manquera pas de défis, mais le plus important sera de… se faire entendre. C’est-à-dire d’exister dans les médias et auprès du public, d’être considéré dans la discussion politique pour faire en sorte que les propositions péquistes soient analysées à leur juste valeur (et non pas perçues comme de simples clous dans un cercueil en construction). On ne compte plus les chroniques sur les difficultés du PQ — cinquième dans les intentions de vote générales et chez les francophones. Certains lui prédisent une mort par asphyxie, avec un seul député (Pascal Bérubé, dans Matane-Matapédia) pour résister à l’oubli. Et comme si la situation n’était pas assez pénible, l’ancien premier ministre péquiste Lucien Bouchard en a ajouté une couche en juin en laissant entendre que le véhicule du parti était usé et qu’il ne méritait pas de très bien aller… 

La bonne nouvelle pour le chef St-Pierre Plamondon, c’est qu’en partant de si bas, il y a un potentiel de croissance naturel pour le PQ — d’autant qu’un tiers des Québécois sont toujours favorables à la souveraineté. Il y a donc des appuis à aller chercher. Et puis, un des thèmes qui demeurent le plus associés au Parti québécois, la question de la langue, risque fort d’être au menu de cette campagne — relativement au débat sur l’immigration ou aux suites à donner à la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (communément appelée « loi 96 »).

Éric Duhaime : se crédibiliser

Depuis l’élection du chef conservateur en avril 2021, une sorte de frénésie entoure la formation. Près de 60 000 personnes ont déboursé 15 dollars pour devenir membres du Parti conservateur du Québec (PCQ), qui devançait Québec solidaire et le Parti québécois dans les intentions de vote selon la moyenne des sondages du début de l’été. En campagne, cela voudra dire une attention plus soutenue à ce que dit et fait Éric Duhaime : au-delà du discours sanitaire sur lequel il a construit sa popularité, la logique de ses propositions sera mise à l’épreuve. Les conservateurs vont-ils vraiment régler la pénurie de main-d’œuvre — et diminuer le temps d’attente pour avoir un café chez Tim Hortons — en réduisant la taille de l’État ? Le privé est-il la solution pour améliorer l’accès aux soins de santé ? Faut-il sélectionner les immigrants en fonction de leur « compatibilité civilisationnelle » ? Éric Duhaime devra convaincre les électeurs du sérieux de ses propositions.

La qualité — ainsi que la cohérence — de son équipe sera aussi scrutée. En invoquant le fait que « les gens ont le droit d’avoir des convictions personnelles », le chef a accueilli à bras ouverts un candidat résolument opposé à l’avortement — alors que le PCQ se dit pro-choix. Plus largement, comptez sur les adversaires d’Éric Duhaime pour ressortir une flopée de déclarations tirées de son passé d’animateur radio au sujet des femmes, des changements climatiques ou des minorités : une autre manière d’éprouver sa crédibilité.

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Ça fait 10 ans que je dis que la philosophie de Gabriel Nadeau-Dubois est marxiste.
Il semble que personne au Québec ne sait ce qu’est la philosophie marxiste et où ça mène.
Une fois chaviré dans la philosophie marxiste, c’est bien difficile de s’en sortir.

Doit-on s’attendre à une victoire à la Pyrrhus de la part de François Legault, en somme une stratégie politique sans appel pour l’opposition, le genre de stratégie nationaliste qui ferait même mourir d’envie le puissant parti qui soutient Vladimir Poutine : Russie unie.

C’est la sorte de dérive à laquelle il faut s’attendre lorsqu’une personne à elle seule décide d’incarner tous les espoirs d’une nation.

Comme les partis d’opposition partent divisés par définition, plutôt que de former un front commun rattaché contre ce parti « broche à foin » qu’est la CAQ, le parti des ambitieux qui se pensent et se croient indispensables. La bataille de l’opposition en est une pour leur propre survie. Pas de quoi galvaniser les électeurs les jours où ils seront sollicités pour déposer le précieux bulletin dans l’urne.

Les lendemains de bataille risquent d’être effroyables avec quelque(s) chef(fes) de parti(s) ou parti(s) politique(s) aux abois ou peut-être dans ce qui ressemble d’ores et déjà à quelque forme clinique d’acmé.

Cette campagne électorale entrera peut-être dans l’histoire pour démontrer que sans réforme en profondeur du scrutin, il n’est guère de salut pour ce que devrait être la démocratie dans le bon sens du terme.