Quel chef perdra l’équilibre en 2023 ? 

Justin Trudeau vaincra-t-il la fatigue du pouvoir ? Jagmeet Singh sera-t-il son fossoyeur ? Pierre Poilievre réussira-t-il sa cour ? Yves-François Blanchet s’autopeluredebananisera-t-il ? Notre chroniqueur énonce les principaux défis de chaque chef à Ottawa pour 2023. 

Dmitrii Guzhanin / Getty Images / montage : L’actualité

Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton et de secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite agi comme directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique à la télé, à la radio et sur le web, Karl est président de Traxxion Stratégies.

JUSTIN TRUDEAU

Le temps d’une marche dans la neige est-il venu ?

Cela fait sept ans que Justin Trudeau est premier ministre. L’usure du pouvoir commence à se voir. Bien qu’il demeure (publiquement) incontesté au sein du Parti libéral du Canada, la fatigue libérale s’installe chez les électeurs. Selon un sondage Ipsos publié à la fin 2022, la majorité des électeurs canadiens (54 %) pensent qu’il est temps pour Justin Trudeau d’aller faire une marche dans la neige — comme son père, qui, après avoir été surpris en marchant sous la neige en 1984, avait annoncé que c’était pour mieux quitter ses fonctions. C’est le cas des électeurs de toutes les régions du pays. Toutes ? Non. Une province gauloise fait exception : seulement 43 % des Québécois pensent de même.

N’empêche, ces chiffres sont semblables à ceux de Stephen Harper avant sa défaite de 2015. Qui plus est, Justin Trudeau devra naviguer dans des eaux économiques troubles, maintenant que l’inflation heurte la classe moyenne et que la récession guette. Les électeurs pourraient être prompts à lui attribuer la responsabilité de ces problèmes. Ajoutons à cela le dossier à régler des transferts en santé, des discussions qui demeureront difficiles avec les premiers ministres provinciaux…

Pour se maintenir au pouvoir, Justin Trudeau doit par ailleurs en faire assez pour contenter ses alliés néo-démocrates… et rester suffisamment haut dans les sondages pour que Jagmeet Singh ne soit pas tenté de le laisser tomber. Un beau défi d’équilibriste en vue.

PIERRE POILIEVRE

Baisser le ton

Les 10 derniers sondages donnent tous une avance au Parti conservateur de Pierre Poilievre, entre deux et six points. Normalement, cela devrait réjouir un chef d’opposition officielle. Sauf que, lorsqu’on creuse un peu, les chiffres montrent aussi que Pierre Poilievre a deux problèmes cruciaux. Premièrement, les électeurs qui désapprouvent sa performance (près de 60 %) sont plus nombreux que ceux qui désapprouvent Justin Trudeau. Deuxièmement, les femmes sont très majoritairement rebutées par les prises de position agressives du chef conservateur, au point que l’écart entre les appuis masculin et féminin envers le parti est énorme, à 42 % contre 25 %.

Pour gagner sa majorité en 2011, Stephen Harper avait su convaincre l’électorat féminin dans des circonscriptions pivots, particulièrement dans les banlieues. Le premier test électoral de Pierre Poilievre était justement dans l’une d’elles, Mississauga-Lakeshore, remportée par le PCC en 2011. Or, non seulement les conservateurs ont mordu la poussière, mais ils ont perdu par une plus grande marge qu’en 2021.

Pierre Poilievre pourrait certainement choisir d’adoucir le ton et de proposer davantage de solutions concrètes, sensées et posées, histoire de ne plus s’aliéner les femmes qui souhaitent un changement de gouvernement. Mais il devrait aussi le faire sans avoir l’air d’abandonner sa base plus militante, voire revancharde, qui se régale de ses attaques vicieuses contre Justin Trudeau. Là aussi, un jeu d’équilibriste compliqué…

YVES-FRANÇOIS BLANCHET

Gare à la complaisance

Yves-François Blanchet semble être celui dont la route est la moins remplie d’embûches. Le chef du Bloc québécois peut surfer sur les bons coups du Parti québécois, comme il l’a fait avec le débat sur la monarchie, lancé dans la foulée de celui sur le serment au roi. Yves-François Blanchet a aussi l’avantage de pouvoir appuyer sans bémol les positions du gouvernement caquiste de François Legault, toujours au sommet de sa popularité au Québec. Puisque le Bloc n’a pas à gérer de militants et d’électeurs d’autres provinces (contrairement aux autres partis fédéraux, qui doivent jongler avec les intérêts divergents des différentes régions du pays), la recette est facile. 

Le défi sera de ne pas tomber dans la complaisance et de ne pas tenir pour acquis que le Bloc est la seule et unique voix que les Québécois souhaitent entendre à Ottawa. Le Bloc est aux prises avec le paradoxe suivant : le Québec fait bande à part et apprécie Justin Trudeau. Si le Bloc joue trop bien son rôle de chien de garde du gouvernement Trudeau, il pourrait contribuer à un vent de changement à Ottawa et à une volonté populaire de déloger le Parti libéral. Si cela arrivait, il est loin d’être certain que les électeurs libéraux déçus se tourneraient vers le Bloc… Il faut donc, pour la formation souverainiste, trouver le juste dosage dans la vigueur des critiques à l’égard du gouvernement. 

JAGMEET SINGH

A-t-il des talents de funambule ?

Le chef du NPD se retrouve à un endroit de prédilection pour les néo-démocrates. À défaut de pouvoir former lui-même un gouvernement, le NPD s’en tire bien lorsque, devant un gouvernement minoritaire, il peut influencer l’adoption par le gouvernement d’éléments de son propre programme. Les chefs qui y arrivent deviennent des légendes au sein du parti : dans les années 1960, Tommy Douglas poussa le premier ministre libéral Lester Pearson à instaurer l’assurance maladie universelle et le régime de pensions du Canada. Dans les années 1970, David Lewis amena Pierre Trudeau à créer Petro-Canada et à limiter les dépenses électorales. Dans les années 2000, Jack Layton força Paul Martin à investir dans le logement social et le transport collectif. Dans le cas de Jagmeet Singh, c’est l’assurance dentaire et l’assurance médicaments.

Mais pour l’actuel chef du NPD, la véritable clé politique est d’obtenir le crédit pour les politiques néo-démocrates mises en place par Justin Trudeau — cela sans payer le prix pour les mesures impopulaires libérales. Jagmeet Singh doit pourtant miner la crédibilité du gouvernement libéral, sans toutefois le faire tomber. En même temps, il doit aussi convaincre les électeurs que le NPD est prêt à gouverner (tout en essuyant les attaques des autres partis qui veulent associer l’équipe orange aux échecs des rouges). Un jeu d’échecs en trois dimensions avec peu de pièces maîtresses, si ce n’est que les sondages désignent Jagmeet Singh comme le chef ayant l’aura la plus favorable.

ELIZABETH MAY

Retour vers le futur

Le Parti vert se cherche depuis le départ d’Elizabeth May, en 2019. La solution a donc été de ramener… Elizabeth May, réélue cheffe avant Noël. Ce genre de retour vers le futur n’est pourtant pas une stratégie politique qui fonctionne très souvent. Au fédéral, les deux derniers exemples n’ont pas été fructueux, que ce soit Gilles Duceppe avec le Bloc en 2015 ou encore Joe Clark avec les progressistes-conservateurs en 2000.

Pour réussir, Elizabeth May doit se concentrer sur la marque de commerce environnementale des verts et éviter les débats sur des sujets qui n’amènent pas de votes au parti, telle la situation géopolitique au Moyen-Orient (un enjeu qui a déchiré le parti sous le leadership d’Annamie Paul). Heureusement pour le Parti vert, les électeurs, fatigués, ont tourné la page sur les questions relatives à la pandémie. Malheureusement pour la formation, c’est l’inflation et le coût de la vie qui ont pris le dessus — deux sujets loin de l’expertise des verts. En passant, quelqu’un a vu son co-chef, Jonathan Pedneault (qui ?), depuis la course à la direction ?

MAXIME BERNIER

La fin est proche

Le chef du Parti populaire du Canada est devenu de plus en plus marginalisé au fur et à mesure que les gouvernements partout au pays ont abandonné toute prétention de gestion pandémique. Malheureusement pour Maxime Bernier, il a raté sa chance de se faire élire au plus fort de la pandémie et de la révolte sanitaire, à l’hiver 2022. Son appui personnel à Éric Duhaime n’a pas non plus porté ses fruits. Et voilà que le convoi des camionneurs 2.0 semble avoir de l’eau dans le gaz… Décidément — pour paraphraser René Char —, quand la terre qui reçoit la graine est triste, il vaudrait mieux arrêter de semer.

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De fait, on a un peu raison de dire que M. Poilièvre doive aussi élaborer davantage ce qu’il propose de faire au lieu de simplement critiquer. Le PCC fera sans doute mieux que le gouvernement L-NPD actuel, mais ne pourra pas réussir l’impossible, donc, forcément laissera sur leur faim certains de ses militants actuels.

Par contre, c’est lui le politicien – il choisira son moment, peut-être.

Je me dois de souligner, quand même, que ses apparitions sur l’Internet sont plutôt satifaisantes. C’est lorsqu’il doit passer par les media traditionnels, qui semblent ne pouvoir faire autre que lui chercher noise, que les choses se gâtent.

Par exemple, quelques jours après sa victoire, il a voulu exposer ses idées. Comme par hazard, un journaliste de Global News (?) l’a interrompu continuellement, amenant M. Poilièvre a essayé un peu de le ramener à l’ordre. Résultat? Rien sur le discours inaugural de M. Poilièvre. Les media traditionnels se sont limités à commenter l’altercation entre le journaliste et M. Poilièvre.

C’est beau critiquer mais il faut aussi proposer et mettre de la viande autour de l’os. Sa proposition de coupures à CBC / Radio-Canada et sa promotion de la cryptomonnaie (on dirait oubliée depuis) méritent réflexion et ne sont pas une invention des médias. Il s’est quand même basé sur le reportage de CBC sur les contrats donnés à McKinsey pour attaquer le gouvernent.
A remarquer que le gouvernement actuel doit être talonné sur sa gestion, notamment de Phénix, de l’immigration, etc. des situations qui ne semblent pas évoluer après 7 ans.