Quel parti ralliera les Canadiens de moins de 35 ans ?

La bataille entre Justin Trudeau et Jagmeet Singh pour gagner le vote des jeunes aura beaucoup de poids dans les résultats du prochain scrutin. Voici pourquoi.

Crédit : L'actualité

Le vote des moins de 35 ans aux prochaines élections fédérales pourrait-il décider de la majorité ou de la minorité du gouvernement Trudeau ? Et même déterminer le sort du Nouveau Parti démocratique (NPD) de Jagmeet Singh ? En analysant en profondeur les chiffres des plus récents sondages, on découvre que la bataille Trudeau-Singh chez les jeunes aura beaucoup de poids dans les résultats du prochain rendez-vous électoral. Ce sera à suivre tout au long de 2021.

Le plus récent sondage fédéral de la maison Léger pour La Presse Canadienne, publié la semaine dernière, indiquait que les intentions de vote au pays n’avaient guère bougé pendant la pause des Fêtes. Au niveau national, le Parti libéral (PLC) conservait la tête avec 35 % d’appuis, cinq points devant le Parti conservateur (PCC). Le NPD se retrouvait en troisième place et obtenait la faveur de 20 % des répondants (consultez tous les sondages fédéraux sur cette page).

Les détails de certains sous-échantillons du sondage ont toutefois attiré mon attention, plus précisément dans le groupe des électeurs de 18 à 34 ans. Même si nous devons faire preuve de prudence avec les sous-échantillons de sondages, car le nombre de répondants est moindre, donc l’incertitude plus élevée, voici les résultats pancanadiens (d’un échantillon respectable de plus de 400 répondants) :
Le NPD (34 %) et le PLC (33 %) se trouvent en tête à égalité statistique dans la tranche démographique des 18 à 34 ans. Le Parti conservateur, loin derrière en troisième place, n’obtient que 21 % d’appuis. Le Parti vert ferme la marche avec 8 %, ce qui peut paraître étonnant aux yeux de ceux qui soulignent souvent que les verts sont populaires chez les jeunes électeurs.

Si le PLC récolte des appuis similaires dans chacune des tranches d’âge du sondage — 33 % chez les jeunes, 36 % chez les 35-54 ans et 35 % chez les 55 ans et plus —, il est en tout autrement pour le NPD : les appuis au parti de Jagmeet Singh sont substantiellement plus élevés chez les jeunes électeurs. Chez les 55 ans et plus, le NPD n’obtient qu’un piètre 9 %.

Pour les conservateurs, nous observons la tendance inverse : le PCC est troisième chez les jeunes, mais en tête de peloton avec 40 % chez les 55 ans et plus.

Ce phénomène n’est pas inattendu, car les partis de gauche et de centre gauche font généralement meilleure figure auprès de la génération qui entre sur le marché du travail qu’auprès de ceux qui en sortent (ou qui sont déjà à la retraite). Néanmoins, nous constatons avec ces chiffres à quel point le vote des jeunes électeurs gonfle les appuis au PLC et NPD au Canada, et que sans cette approbation, le PLC ne serait assurément pas au pouvoir à Ottawa et le NPD n’aurait pas remporté la plupart de ses 24 sièges aux élections d’octobre 2019.

Regardons les chiffres concernant les jeunes électeurs au Québec (selon le sondage Léger/Le Journal de Montréal de la mi-décembre 2020 disponible ici).
Auprès des électeurs québécois de 18 à 34 ans, le PLC est seul en première place avec 37 % d’appuis. Le Bloc québécois et le NPD sont à égalité statistique au deuxième rang avec 21 % et 19 % respectivement. Les conservateurs obtiennent la faveur de 13 % des jeunes Québécois et le Parti vert, 9 %.

La bataille Trudeau-Singh pour le vote des jeunes électeurs est donc plus marquée hors du Québec, même si le NPD affiche de meilleurs résultats chez les jeunes au Québec que dans le reste de la population (11 %).

Pour le Bloc québécois, c’est l’inverse. Il fait moins bonne figure auprès des jeunes par rapport aux intentions de vote générales (30 %). Ce n’est pas la première fois que les sondages révèlent ce type d’écart. Dans son coup de sonde québécois d’octobre 2020, Léger mesurait les appuis du BQ à 25 % auprès des jeunes, mais à 40 % auprès des 55 ans et plus. Ces plus récents chiffres ne sont donc pas aberrants.

Cette préférence des jeunes électeurs au Québec change considérablement la donne pour Justin Trudeau et les libéraux fédéraux. Une façon de le visualiser est de programmer une projection de sièges en alignant les intentions de vote selon ce groupe d’âge, ou autrement dit : « Quel serait le résultat si seulement les électeurs de 18-34 ans votaient lors d’une élection ? »

Certes, un tel exercice relève de la politique-fiction et contient un niveau d’incertitude particulièrement élevé. Néanmoins, le modèle Qc125 calcule qu’avec cette avance hypothétique de 16 points sur le Bloc québécois dans la province, le PLC remporterait près de 50 des 78 sièges fédéraux du Québec en moyenne. La moyenne du Bloc tomberait à 13 sièges, soit à peine au-dessus de son mauvais résultat des élections de 2015 (10 sièges).

Si le vote fédéral au pays devait s’aligner sur celui des jeunes électeurs, le scénario le plus probable serait une victoire libérale minoritaire avec un total de sièges semblable à celui obtenu par le PLC en 2019. Toutefois, dans ce scénario fictif, l’opposition officielle à la Chambre des communes serait composée d’une centaine de députés néo-démocrates ! Le Parti conservateur du Canada serait relégué au rang de deuxième opposition.
Nous savons que le taux de participation aux élections des jeunes électeurs est généralement plus faible que celui des électeurs âgés. En 2011, lors de la victoire majoritaire des conservateurs de Stephen Harper, le taux de participation était de 39 % seulement chez les électeurs de 18-24 ans et d’à peine 45 % chez les 25-34 ans, selon les données d’Élections Canada. Or, chez les électeurs de 55 ans et plus, cette proportion dépassait les 70 %. Lors de la victoire libérale de 2015, le taux de participation de la tranche plus âgée est demeuré stable (74 %), alors qu’il a grimpé à 57 % chez les jeunes !

Sans une forte participation des jeunes électeurs en 2015, le PLC n’aurait peut-être pas pris le pouvoir (et n’aurait assurément pas remporté la majorité des sièges). Mon collègue Alec Castonguay avait alors décortiqué l’incidence du vote des jeunes sur le résultat de ces élections.

L’un des nombreux défis pour les libéraux en vue des prochaines élections fédérales sera de conserver cette base de jeunes électeurs dans leur camp et, surtout, de combattre l’apathie de ces derniers. Car si les jeunes ne sont pas particulièrement motivés à voter en 2021, cela pourrait compliquer sérieusement la vie du Parti libéral et ralentir la reconstruction du NPD.