Qui a peur de Pierre Poilievre ?

Si Justin Trudeau demeure à la tête du Parti libéral pour les prochaines élections fédérales, c’est une lutte pour l’âme du Canada qui se dessinera entre Pierre Poilievre et lui, prévient notre collaborateur.

Sean Kilpatrick / La Presse Canadienne ; montage : L’actualité

Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton et de secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite agi comme directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique à la télé, à la radio et sur le web, Karl est président de Traxxion Stratégies.

Le Parti libéral sous Justin Trudeau se retrouve dans une position inusitée. Pour la première fois depuis août 2015, soit juste avant son accession au pouvoir, il tire de l’arrière dans les sondages par plus de 10 points. Et la tendance est lourde contre lui : il n’a été en tête que dans un seul sondage depuis l’hiver. Évidemment, le scrutin de 2015 a démontré que l’on peut revenir de loin en politique, et ce, dans un court laps de temps. Il n’en demeure pas moins que la situation est précaire pour le premier ministre.

Justin Trudeau en est très conscient, mais la fatigue des électeurs envers son gouvernement est bien installée. Le remaniement ministériel, le plus important de notre époque, n’a eu aucun effet jusqu’ici sur les intentions de vote. Les nouveaux ministres, inconnus du grand public pour la plupart, ne représentent pas le changement que les électeurs espèrent. Une rumeur court selon laquelle un nouveau discours du Trône, tel un coup de barre, serait envisagé pour changer le mal de place.

Le coût de la vie est au centre des préoccupations, et le gouvernement Trudeau est à court de solutions. La crise de l’habitation prend de l’ampleur. Les factures énergétiques explosent au moment même où les conséquences des changements climatiques frappent le plus fort. Et les ménages ont déjà oublié le chèque reçu pour soi-disant payer l’épicerie, avalé par l’inflation galopante.

C’est la « Justinflation », simplifie à outrance son rival conservateur. Mais ce message martelé par Pierre Poilievre porte ses fruits. Les problèmes économiques — même s’ils ne sont pas tous de la faute du gouvernement — s’accumulent, et le goût du changement commence à s’installer. Au sein des troupes libérales existe le sentiment aigu qu’une fois que le désir de remplacer le gouvernement grandit dans la population, il n’y a pas grand-chose à faire pour l’arrêter. C’est le début de la fin d’un régime.

Ce n’est pas pour rien que le remaniement a mené à une réaction très négative dans le caucus libéral. Les députés libéraux ont été nombreux à exprimer leur mécontentement dans les médias, sous le couvert de l’anonymat, bien sûr. Les fuites se multiplient.

Leur constat est implacable : alors que le bateau coule et que le capitaine est toujours en poste, ce n’est pas en changeant les matelots sur le pont du navire qu’il sera renfloué. De plus en plus de libéraux ont l’impression qu’ils sont incapables d’avancer, et que peu importe la qualité de leur travail ou des politiques de leur gouvernement, le message ne passe plus. Certains libéraux en viennent donc logiquement à espérer un changement à la tête du parti, ce que semble d’ailleurs souhaiter un nombre croissant de Canadiens.

Bien que son gouvernement termine sa huitième année, Justin Trudeau a-t-il fait son temps ? Ce n’est pas si simple. Aucun dauphin ne s’impose comme force incontournable pour le remplacer. Chrystia Freeland ? François-Philippe Champagne ? Mélanie Joly ? Mark Carney ? Et même si une tête finissait par émerger, l’histoire récente montre qu’un changement de premier ministre n’est pas suffisant pour convaincre l’électorat de garder le parti au pouvoir.

John Turner a pris la relève d’un Pierre Trudeau usé et fatigué. Cela a mené Brian Mulroney à l’une des plus grandes victoires électorales de l’histoire. Lui-même, miné par les scandales, a laissé sa place à Kim Campbell, très populaire à l’époque : le parti a failli disparaître de la carte électorale malgré tout. Même Paul Martin, considéré comme une figure de proue par les médias lorsqu’il a remplacé Jean Chrétien, a fini par échouer lamentablement.

Justin Trudeau a démontré dans le passé qu’il pouvait surmonter l’adversité. Il demeure un atout pour le Parti libéral. Devant lui, Pierre Poilievre est vu avec circonspection par les électeurs, qui n’aiment pas particulièrement son approche rébarbative. Justin Trudeau rêve d’en découdre avec lui, car Poilievre incarne l’antithèse de tout ce qu’il a voulu faire en politique. De tout ce qu’il représente.

Devant un chef conservateur suspect, la recette libérale est éprouvée. Il faut soulever le doute. Il faut générer de l’inquiétude. Cette recette a fonctionné contre Andrew Scheer. Elle a fonctionné contre Erin O’Toole. Elle pourrait fonctionner à nouveau contre Pierre Poilievre. Justin Trudeau se dressera comme un rempart devant la horde de barbares qui menacent de prendre le pouvoir et de « nous ramener en arrière ».

Les valeurs seront de retour au centre du message politique libéral. On parlera du contrôle des armes à feu, des droits de la communauté LGBTQ+, de l’avortement, des changements climatiques. Pour contrer le vent de changement, la prochaine campagne ne peut pas porter sur le bilan libéral. Elle devra être un référendum sur Pierre Poilievre. À une autre époque, Justin Trudeau a été porté au pouvoir par l’espoir. Or, l’espoir n’y est plus. Pour gagner, Justin Trudeau doit maintenant compter sur la peur. 

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Entre deux maux, j’espère que l’électorat canadien aura la présence d’esprit, aussi fatigué soit-il, de choisir le moindre. Pareil aux États-Unis, Biden vaut mille fois mieux que l’autre sociopathe caractériel qui se caricature lui-même jusqu’à l’absurde. Entre un Justin qui a pris beaucoup d’expérience et de maturité et un sous-trumpiste qui prêchait pour les cryptomonnaies contre la Banque du Canada qu’il menaçait d’abolir, pour ne citer qu’un de ses innombrables coups de bec de poussin poussif.

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Qui a peur de Pierre Poilièvre? Tous ceux et celles qui ont investi leur avenir dans « plus de gouvernement » , même si le gouvernement, à tous les niveaux, accapare déjà plus de la moitié de l’économie canadienne. Il faudrait plutôt penser à améliorer la portion de l’économie canadienne sous contrôle gouvernementale, au lieu de continuer à gruger sur le privé. C’est là que réside l’amélioration réelle du pays. Car le mal du pays, si mal il y a, trouve sa source dans le « trop de gouvernement », pas dans le « pas assez de gouvernement » .

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Je déteste l’approche « voter contre un parti ». On devrait toujours voter pour quelque chose. Si on pouvait « voter blanc », comme en France, on pourrait voter pour dire à tous les partis que leurs propositions ne sont pas intéressantes. Malheureusement, ici, ça compte seulement comme un vote annulé… 😔

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