Nous voilà à moins d’un an de la prochaine élection générale québécoise et, selon les données récentes publiées par les maisons de sondage, jamais dans les 30 dernières années une réélection n’a semblé aussi probable. À moins d’un revirement de situation historique ou d’un scandale majeur, aucune autre formation politique n’est positionnée pour déloger du pouvoir la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault.
Ainsi, le dernier sondage de la maison Léger pour le compte des médias de Québecor accorde à la CAQ 47 % des intentions de vote, une avance monstrueuse de 27 points sur son plus proche rival, le Parti libéral du Québec (PLQ). Loin en troisième place se trouvent Québec solidaire (QS) et le Parti québécois (PQ) avec 11 % d’appui chacun, pendant qu’un cinquième concurrent, le Parti conservateur du Québec (PCQ), grimpe à 8 % (avec une récolte concentrée dans la région de la Capitale-Nationale).Auprès des électeurs francophones, l’avance de la CAQ est encore plus impressionnante. La formation de François Legault obtient 54 % des intentions de vote. Les partis d’opposition ne se partagent que des miettes : 13 % pour le Parti québécois, 12 % pour Québec solidaire et 10 % pour le Parti libéral.
La CAQ domine virtuellement toutes les tranches démographiques de l’électorat québécois. Le parti au pouvoir mène par 29 points auprès des hommes et 24 points auprès des femmes. Même s’il y a égalité statistique entre la CAQ (28 %) et QS (26 %) auprès des électeurs de 18-34 ans, la CAQ écrase tous ses rivaux auprès des électeurs plus âgés avec des avances de 30 points chez les 35-54 ans et de 35 points (!) chez les 55 ans et plus.
Dans la grande région métropolitaine (île de Montréal, Laval et le 450), la CAQ obtient 41 % d’appui contre 28 % pour le PLQ. Dans la région de Québec, la CAQ domine avec 53 % d’appui, 35 points devant le PCQ d’Éric Duhaime, qui décroche 18 % dans la région. Dans le reste du Québec, la CAQ obtient 52 %, près de 40 points devant ses rivaux.
Comment expliquer cette domination actuelle de la CAQ? Une des questions fréquemment présentées aux répondants des sondages mesure les taux de satisfaction du gouvernement et des chefs des partis d’opposition. De telles données peuvent nous informer sur le potentiel de croissance (ou de décroissance !) des partis en lice. Or, avec 65 % des répondants qui se disent satisfaits du gouvernement de la CAQ, François Legault jouit d’un certain consensus qui dépasse largement les clans partisans.Non seulement la CAQ profite d’une quasi-unanimité après de ses propres électeurs (97 % de satisfaction), mais 7 électeurs péquistes sur 10 (69 %) affirment être satisfaits du gouvernement de la CAQ. Même auprès des électeurs des autres partis d’opposition, la CAQ récolte des scores hors du commun : 44 % des électeurs libéraux et 41 % des électeurs de QS se disent satisfaits de la performance du gouvernement.
De plus, François Legault est perçu comme le meilleur candidat pour le poste de premier ministre du Québec parmi les chefs de parti, et de loin. (Ce tableau est tiré directement du rapport du sondage Léger.)
Mauvaise nouvelle pour le Parti libéral : lorsque l’on demande aux répondants quel chef de parti ferait le meilleur premier ministre, seulement 45 % des électeurs du PLQ répondent Dominique Anglade. Pire nouvelle encore pour Paul St-Pierre Plamondon : seulement 25 % des électeurs péquistes croient qu’il est le meilleur candidat pour le poste de premier ministre. En fait, les électeurs péquistes préfèrent même François Legault (38 %) à l’actuel chef du PQ (25 %). Je ratisse ma mémoire et n’arrive pas à me souvenir d’une occasion récente où les électeurs d’un parti majeur au Québec aimaient mieux le chef d’un autre parti que le leur. D’ailleurs, Paul St-Pierre Plamondon (3 %) se trouve même derrière Éric Duhaime (6 %) dans l’échantillon de ce sondage.
Évidemment, une telle domination dans les intentions de vote se traduit aussi par une forte avance dans la projection de sièges. Selon le modèle électoral Qc125, la CAQ remporterait une moyenne de 100 sièges à l’Assemblée nationale si une élection avait lieu cette semaine, soit 24 sièges de plus qu’elle n’en détient présentement.
Le PLQ serait réduit à une moyenne de seulement 18 sièges, correspondant à des circonscriptions où résident de nombreux électeurs anglophones et allophones, à Montréal et à Laval ainsi que dans la Montérégie et l’Outaouais. D’ailleurs, l’avance de la CAQ auprès des francophones est telle que certaines circonscriptions libérales montréalaises pourraient potentiellement basculer, notamment Anjou–Louis-Riel, Verdun, Maurice-Richard et Marquette.
Quant à Québec solidaire, il parviendrait probablement à conserver son noyau de sièges montréalais, mais des circonscriptions comme Sherbrooke, Jean-Lesage et Rouyn-Noranda–Témiscamingue pourraient être en danger. De plus, Rosemont pourrait être en jeu l’an prochain, en raison de la chute du PQ dans la métropole combinée à des appuis grandissants de la CAQ dans les régions francophones de Montréal.
Pour ce qui est du Parti québécois, il ne lui resterait que le fief de Pascal Bérubé, soit Matane–Matapédia, dans le Bas-Saint-Laurent. Néanmoins, le PQ demeurerait compétitif dans d’autres circonscriptions qu’il détient déjà, notamment Joliette, Gaspé et Îles-de-la-Madeleine.
Le modèle Qc125 projette que la CAQ ne détient actuellement pas moins de 74 circonscriptions solides (dont les probabilités de victoire sont de 99,5 % et plus). La CAQ jouit donc d’une réserve de sièges plus élevée que le seuil de la majorité à l’Assemblée nationale, soit 63.
La domination actuelle de la CAQ n’a pas de précédent récent au Québec. Il faut retourner au PLQ de Robert Bourassa, au milieu des années 1980, pour trouver des chiffres similaires. Or, après avoir remporté 99 sièges en 1985, le PLQ avait été facilement réélu avec 92 sièges en 1989. De plus, le PLQ n’avait qu’un adversaire sérieux lors de cette élection (le Parti québécois de Jacques Parizeau), alors qu’aujourd’hui, la CAQ fait face à une opposition hautement divisée, ce qui procure au parti un net avantage en matière de sièges.
Si le pire de la pandémie est derrière nous, la reprise économique dominera probablement l’agenda gouvernemental au cours de l’année 2022, ce qui, en théorie, devrait jouer en faveur de François Legault.
Alors, qu’est-ce qui pourrait arrêter la CAQ ? Considérant que la complaisance et l’arrogance peuvent surgir lorsqu’un gouvernement se sent trop à l’aise, peut-être que la CAQ est son propre pire ennemi en cette année électorale qui débutera bientôt.
***
Pour consulter les chiffres de cette projection québécoise, visitez la page de Qc125. Pour la liste complète des 125 circonscriptions, consultez cette page ou visitez les liens régionaux suivants :