Qui veut gagner ?

Les jeux ne sont pas encore faits dans cette campagne, mais l’enjeu clé du scrutin n’est plus le même qu’au début. Et bien des inconnues demeurent.

Photo : Daphné Caron

Lorsque le premier ministre Justin Trudeau a déclenché les élections à la mi-août, tous les sondages indiquaient que le vote du 20 septembre allait d’abord et avant tout déterminer le rapport de force au sein du prochain Parlement. 

Le scrutin s’annonçait comme un choix entre un gouvernement libéral minoritaire ou majoritaire. Bien des libéraux se sont d’ailleurs ralliés au projet d’un scrutin anticipé en se disant qu’au pire, leur parti retournerait à la Chambre des communes avec sa mise actuelle. 

Deux semaines plus tard, c’est plutôt du choix d’un premier ministre qu’il est question. À presque mi-chemin dans la campagne, la majorité convoitée par les libéraux semble plus lointaine que la prise du pouvoir par les conservateurs. 

Les sondages accréditent désormais la possibilité que Justin Trudeau mène sa formation aux banquettes de l’opposition le 20 septembre.

Ce changement de paradigme influencera-t-il les réflexions des sympathisants des tiers partis ? 

Se trouve-t-il, comme ce fut le cas dans le passé récent, une masse critique d’électeurs pour qui bloquer la route du pouvoir aux conservateurs importe davantage que leurs préférences personnelles ? Il est probablement trop tôt pour le vérifier.

L’idée qu’Erin O’Toole puisse être le prochain premier ministre n’a pas encore vraiment fait son chemin. Et plusieurs voudront sans doute le voir en action aux débats des chefs avant de tirer des conclusions définitives. 

Depuis le début de la campagne, le chef conservateur a tout fait pour atténuer l’effet repoussoir qui a nui à sa formation sous Stephen Harper et Andrew Scheer. Certaines des politiques qu’il a présentées le démarquent bel et bien de ses prédécesseurs. Mais cela tient beaucoup à une mise en marché plus astucieuse. 

Sur le fond, le Parti conservateur n’a pas vraiment changé son fusil d’épaule. 

Son chef actuel est pro-choix, mais une bonne partie de son cabinet fantôme s’oppose au droit à l’avortement. 

Erin O’Toole parle en bien de la tarification du carbone, mais c’est pour mieux lui arracher les dents. Il promet, à visage découvert, de revoir à la baisse les ambitions du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques et de mettre au rancart plusieurs des politiques environnementales des libéraux. Il jure de ne pas imposer de pipeline au Québec, mais est résolu à ressusciter le projet Northern Gateway en Colombie-Britannique, quoi qu’en pense le gouvernement de cette province.

Sur le front des garderies, l’offre conservatrice de déductions d’impôts plus généreuses pour les parents aurait peu ou pas d’effet positif sur un système québécois en mal de places ainsi que d’éducateurs et d’éducatrices. On parle ici d’une perte nette pour le Québec par rapport aux milliards que Justin Trudeau a convenu de remettre au gouvernement Legault afin d’aider le réseau à répondre à une demande parentale de plus en plus criante.

Contrairement à 2019, le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, n’exclut pas d’assurer la survie d’un gouvernement minoritaire conservateur. Mais au cours des semaines à venir, les néo-démocrates pourraient avoir de la difficulté à soutenir que l’identité du prochain parti au pouvoir a moins d’importance pour la suite des choses que l’influence dont ils voudraient disposer à la Chambre des communes. 

Et parlant d’influence de l’opposition, il se trouve aussi bien chez les libéraux qu’au sein du Parti conservateur des gens qui pensent qu’il vaudrait mieux que leur formation perde les élections plutôt que de devoir se contenter d’un mandat minoritaire. 

C’est que, d’un côté comme de l’autre, on s’attend à ce que les lendemains économiques de la pandémie soient grinçants. L’argument voulant que Justin Trudeau s’expose à faire campagne en pleine tourmente s’il menait à terme son mandat de quatre ans a pesé dans le déclenchement d’élections anticipées. 

Plusieurs craignent qu’une victoire minoritaire se révèle être un fruit empoisonné pour le parti gagnant, lequel pourrait se retrouver chassé du pouvoir pour longtemps plus tôt que tard. 

Il est vrai que, s’il est minoritaire, le prochain gouvernement fédéral se trouvera dans une position fragile pour prendre les décisions difficiles qui pourraient s’imposer.

À ce sujet, finalement, il n’est pas beaucoup question d’équipe depuis le début de la campagne. Ainsi, on se demande encore sur qui un premier ministre O’Toole jetterait son dévolu pour diriger le ministère des Finances en remplacement de Chrystia Freeland.

Cette inconnue conservatrice détonne par rapport à la pratique en cours lors d’élections passées. 

En 1984, la perspective que Michael Wilson soit appelé à tenir les rênes des finances au sein d’un éventuel gouvernement mené par Brian Mulroney avait rassuré le monde des affaires. Idem dans le cas des duos Chrétien-Martin, Harper-Flaherty et Trudeau-Morneau. S’il y a un futur ministre des Finances dans les coulisses de la campagne conservatrice, il serait temps qu’il ou elle entre en scène.

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Belle analyse Madame Hébert, merci !
Pour qui voter? Ça devient de plus en plus compliqué si l’on veut être stratégique plutôt que de voter pour le candidat du parti de notre choix.
Il nous faut attendre pour connaître la tournure de la campagne selon votre analyse.

Madame, je me demande comment vous pouvez encore trouver des mots pour décrire la présente course. J’ai écouté la version RC d’un débat et j’avoue la préférer à celle où malgré les règles tout le monde s’obstine et que le meilleur coq gagne. Je ne crois pas que c’était le temps de déclencher des élections. La pauvreté des programmes justifie cette impression. En les repassant un à un, le PC me ramène à la fin des années 60. Quand on est obligé de se déclarer Pro-Choix, de sans cesse le répéter. Le monde a changé, il y a d’autres besoins, cela ne donne pas l’impression d’une vision nationale… Le NPD pour sa part s’éclate à faire fi des juridictions. On a l’impression que le Canada est une belle et grosse ville où tout est idéalisé. Besoin d’argent: on taxe les riches!!! Le PLC a fait la démonstration que le gouvernement canadien est un monstre de lenteur, qu’il n’a jamais été conçu pour répondre à des urgences. Il pourrait n’y avoir que 5 entités et déjà, il serait plus facile à gérer. Le PV devient de plus en plus absent et le le Bloc, une sorte de bouée de sauvetage pour ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans ce « plus meilleur pays du monde »… On ne partage plus des aspirations communes, on peut tout dire, tout faire et le voisin nous a fait la démonstration que cela était possible. Finalement, je ne déteste pas les partis minoritaires, on doit alors se parler.

Je crois sincèrement que plusieurs d’entre nous allons voter en se pincent le nez et voter pour celui qui risque de faire le moins de tord ,et malheureusement nous allons reporter au pouvoir l’enfant Trudeau.
Espérons, qu’il soit légèrement plus minoritaire, afin que les partis politiques comprennent que le peuple parfois se lasse de la petite politique et que le prochain parti au pouvoir minoritaire y pensera à deux fois avant de se lancer dans une élection.

Trudeau aurait pu être au pouvoir pendant encore bien des années s’il avait rempli sa promesse concernant la proportionnelle puisque les libéraux auraient toujours eu l’appui d’au moins un parti progressiste et les conservateurs ne peuvent espérer prendre le pouvoir qu’avec les distortions du système actuel puisque leur partisans sont concentrés surtout dans l’ouest du pays.

Maintenant, Trudeau a renié ses promesses et a gouverné pendant 6 ans sans s’éloigner des politiques de son prédécesseur Harper car il a même fait pire en achetant un pipeline et en subventionnant les industries fossiles encore plus que les conservateurs. Tant qu’à avoir quelqu’un qui nous ment en pleine face et nous fait des promesses vides, c’est mieux d’avoir le vrai conservateur, celui qui ne nous ment pas et qui fait ce qu’il dit qu’il va faire. Au moins cela a le mérite d’être clair.

Si on ne peut se contenter des conservateurs alors il reste d’autres partis qui pourraient avoir une influence au Parlement si le gouvernement est minoritaire. Au moins on peut voter pour ces partis sans avoir à se pincer le nez. Le NPD est centralisateur? Bon à savoir, mais il a d’autres bonnes idées et un gouvernement centralisateur à Ottawa va fort probablement donner un coup de pouce à l’idée d’indépendance du Québec, si les Québécois sont sérieux au sujet de des compétences constitutionnelles de la province. De toutes façons, cette constitution n’a jamais été adoptée par le Québec et n’en est une que de facto.

Il me semble que c’est le temps d’arrêter d’être stratégiques et se pincer le nez pour appuyer les gros partis qui sont clairement à la solde des oligarques, du pétrole et de la finance. On pourrait certainement aller voir ailleurs…

Je vous donne raison sur un point, faudrait peut-être vraiment regarder le programme des parties
mais une chose est sur il faut reporter au pouvoir un gouvernement minoritaire.

Le mieux que l’électorat canadien puisse espérer à l’issue de ce scrutin, c’est un gouvernement minoritaire. En effet, en situation de gouvernement minoritaire, les partis politiques sont contraints de se parler et d’en arriver à un terrain d’entente. Voilà ce dont nous avons besoin en cette pandémie qui n’en finit plus de finir…