Dominic Vallières a, pendant plus de 10 ans, occupé les postes d’attaché de presse, porte-parole, rédacteur de discours et directeur des communications auprès d’élus de l’Assemblée nationale et des Communes (Parti québécois, Bloc québécois, Coalition Avenir Québec). Il est directeur à l’agence TACT et s’exprime comme analyste politique à QUB radio.
La reprise des travaux à l’Assemblée nationale signifie le début d’une nouvelle partie du grand jeu d’échecs entre les partis politiques. Étude de projets de loi, périodes des questions, chaque geste des uns et des autres sera décortiqué. Ces tactiques n’ont plus de secret, mais il existe également d’autres possibilités parlementaires moins connues pour gagner des points dans l’opinion publique. C’est le cas des motions sans préavis.
Les motions sans préavis sont déposées le matin même, les jours où siège l’Assemblée nationale. On peut faire une motion sur n’importe quel sujet, qu’il soit d’actualité ou non. La plupart des partis réservent des sujets (jours de commémoration, mois thématiques, anniversaires, etc.) et les partis discutent en caucus pour décider s’ils vont voter pour ou contre une motion présentée par un adversaire.
Là où les choses se corsent, c’est dans la manière d’écrire les motions. Je vous en donne ici la recette.
En premier lieu, on doit établir quelque chose avec lequel TOUT le monde est d’accord. Allons-y d’un exemple fictif.
- « Que l’Assemblée nationale reconnaisse que le territoire du Québec est vaste et majestueux. » Jusqu’ici, tout est beau. Et même si l’exemple est fictif, je suis d’accord !
Ensuite, on doit commencer à montrer quelqu’un du doigt.
- « Qu’elle reconnaisse que l’étalement urbain peut mettre à mal des joyaux du territoire. » On reste dans le monde des faits.
Puis, vient l’attaque.
- « Qu’elle demande au gouvernement du Québec de faire preuve de courage politique et d’interdire l’étalement urbain. »
Évidemment, le gouvernement ne votera pas pour cette motion. On peut négocier certaines parties des motions, une tournure de phrase ou un choix de mots, mais pas une orientation. Dans cet exemple fictif, c’est sexy, mais inapplicable.
Le résultat sera que les partis d’opposition pourront dire que le gouvernement du Québec se fiche du territoire.
Vous me direz que c’est parfois malhonnête et vous n’aurez pas tort. L’objectif principal d’un parti d’opposition, dans ce cas-ci, est de faire mal paraître le gouvernement. Ce n’est pas toujours le cas, puisque des enjeux méritent que l’Assemblée nationale parle d’une seule voix et s’élève au-dessus de la partisanerie, mais ce l’est souvent. Tout le jeu consiste à trouver jusqu’où on peut mener l’adversaire. Probablement qu’un journaliste écrira un texte sur le rejet de la motion, et même s’il insère tout le contexte nécessaire dans son article, le citoyen qui ne lit que les gros titres pensera que le gouvernement fait fausse route en rejetant la prémisse de ladite motion. Dans notre exemple, le gouvernement ne reconnaîtrait pas que le territoire est vaste et majestueux…
Qui plus est, si on sait qu’un sujet est épineux au sein d’un des partis d’opposition, on peut présenter une motion pour tenter de semer la zizanie et mettre en lumière une division interne. Une bonne motion sur l’importance du français peut par exemple créer la discorde au Parti libéral du Québec. Une autre sur l’identité saura susciter des discussions corsées chez Québec solidaire.
Remarquez la toute première motion déposée par le Parti Québécois, ce mardi :
- « Que l’Assemblée nationale reconnaisse le droit du Québec à disposer lui-même de son avenir. »
- « Qu’elle affirme que le Québec est un peuple libre et capable d’assumer son destin et son développement. »
- « Qu’elle condamne toutes formes d’attaques et de manœuvres visant à remettre en question ce principe. »
- « Qu’elle reconnaisse la primauté de la démocratie québécoise et de son Parlement. »
D’abord, elle débute par une référence à un sujet d’actualité, soit les attaques du gouvernement fédéral contre le Québec, notamment en ce qui concerne l’utilisation de la disposition de dérogation.
Si la CAQ n’est pas d’accord avec la motion, on dira que son nationalisme est de façade.
Ensuite, elle tente de piéger le PLQ en se servant des mots de Robert Bourassa prononcés après l’échec de l’accord du lac Meech, en 1990 (« quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement »).
Sauf que cette semaine, ça n’a pas fonctionné. Tout le monde a voté pour la motion. Qu’a donc fait le PQ ? Il a demandé un vote par appel nominal (député par député), en sachant très bien que certains élus de l’ouest de l’île de Montréal étaient peut-être moins enthousiastes à l’égard du texte de la motion. L’objectif ? Si le PLQ décide d’opérer un (autre !) virage sur la question de la défense de la langue pour plaire à ses électeurs anglophones, on lui rappellera sans doute son vote de ce mardi-là…
Au-delà des questions et des projets de loi, les pièges sont ainsi partout à l’Assemblée nationale. Même lorsque vient le temps d’affirmer des évidences.