Le projet de loi C-23 sur l’intégrité des élections, présenté mardi par le ministre responsable de la Réforme démocratique, Pierre Poilievre, n’est pas sans mérites. Mais il présente des lacunes, certaines très importantes, que la méfiance des partis d’opposition dans ce dossier ne fait qu’amplifier.
Comme je l’écrivais mercredi matin dans Le Devoir (article réservé aux abonnés), les conservateurs récoltent ce qu’ils ont semé. Depuis 2006, ils ont multiplié les bras de fer avec le directeur général des élections (DGÉ) et n’hésitent pas depuis à laisser croire à sa partialité, dont ils seraient victimes.
Ils ont pourtant un bilan qui parle de lui-même : stratagème du in-and-out, qui a permis au Parti conservateur de dépenser au-delà de la limite permise en 2006 ; allégations d’appels frauduleux lors de la campagne de 2011 ; députés surpris d’avoir dépensé plus que permis ou même, comme l’ancien ministre Peter Penashue, d’avoir accepté des contributions illégales.
Voilà une toile de fond qui n’incite pas à donner le bénéfice du doute au gouvernement.
(DERNIÈRE HEURE : Et ce qui n’arrange rien, le gouvernement a annoncé en fin de journée qu’il allait limiter le débat en deuxième lecture. Exactement ce que tout le monde craignait, un bâillon pour éviter aux élus de débattre à fond d’un projet de loi qui touche un des fondements de notre démocratie !)
Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, comme on dit. Ce projet, dont vous trouverez un résumé ici, a des qualités. Il augmente la sévérité des peines prévues dans la loi et en crée de nouvelles. Il établit un registre pour les campagnes téléphoniques durant une période électorale, qu’il s’agisse d’appels de vive voix ou automatisés, faits par une entreprise, le parti ou un candidat. Les sondages effectués durant une élection devront être comptabilités dans les dépenses électorales soumises à une limite.
La décision du gouvernement de retirer au DGÉ la responsabilité des enquêtes pour ne lui laisser que celles de l’administration de la loi et de la bonne conduite des élections est loin de faire l’unanimité par contre, mais elle n’est pas nécessairement mauvaise. Le Commissaire aux élections, qui effectuait les enquêtes au sein d’Élections Canada, relèvera à l’avenir du Directeur des poursuites pénales (DPP).
Ce dernier est indépendant, comme le DGÉ et le Commissaire. Néanmoins, à la différence du DGÉ, il ne fait pas rapport directement au Parlement, mais par le biais du ministre de la Justice. Ce dernier ne peut s’immiscer dans les affaires du DPP ni le démettre de ses fonctions ; seul le Parlement peut le faire. Le Commissaire aux élections, que le DPP nommera pour un mandat inamovible de sept ans, sera lui-même indépendant du DPP. Il y a donc lieu de croire que ça peut fonctionner.
Mais, je l’ai dit, l’opposition se méfie. Elle se méfie d’autant plus que le DGÉ avait plutôt demandé des pouvoirs supplémentaires, similaires à ceux qu’ont certains DGÉ provinciaux. Il voulait en particulier avoir le pouvoir de forcer la collaboration de certains témoins. Le ministre Poilievre ne veut rien savoir. Son argument : la police n’a pas de tels pouvoirs.
Le Commissaire à la concurrence a pourtant ce pouvoir, lui a rappelé le néo-démocrate Craig Scott. Est-il plus important d’avoir une saine concurrence que de saines élections ? a-t-il demandé durant le débat qui a commencé aujourd’hui.
Une porte de grange
Une des grandes faiblesses de ce projet de loi est un changement apporté à la liste des dépenses électorales soumises à la limite statutaire, un changement qui, à court terme, profitera surtout aux conservateurs. En vertu de C-23, sont exclues des dépenses électorales les activités de sollicitation de fonds, par la poste, courriel ou téléphone, si les personnes visées ont donné au moins 20 dollars au parti, une de ses associations ou un de ses candidats au cours des cinq années précédant le scrutin.
Aussi bien dire que toutes les communications avec ses fidèles seront exclues des dépenses électorales puisque aucun parti ne sollicite de fonds sans du même souffle vendre sa salade et sonder les intentions de la personne au bout du fil. Et comme les conservateurs ont le plus gros bassin de donateurs, l’affaire est cousue de fil blanc. Il faut vraiment que le ministre nous prenne pour de sérieux naïfs pour affirmer, comme il l’a fait en Chambre aujourd’hui, que solliciter des fonds et faire campagne sont deux choses bien distinctes, même en campagne électorale.
Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement prévoit augmenter le montant de la contribution politique autorisée et de hausser la limite des dépenses électorales permises, tant pour les partis que pour les candidats. Ce qui ne profitera qu’aux partis les mieux armés pour solliciter des fonds et à ceux dont les coffres débordent en début de campagne.
D’autres points soulèvent des questions. Les partis d’opposition critiquent le fait qu’une personne ne pourra plus s’inscrire le jour du scrutin sans avoir deux pièces d’identité, que la carte d’électeur envoyée par Élections Canada ne puisse plus servir ou qu’une personne puisse répondre pour une autre. Libéraux et néo-démocrates craignent que cela ne décourage l’exercice du droit de vote des personnes moins bien informées des règles.
Le gouvernement dit contrecarrer ce problème en limitant les activités de publicité d’Élections Canada à de l’information technique sur le droit de vote. L’organisme ne pourra plus faire des campagnes pour simplement inciter les gens à voter, ce que déplore l’opposition, qui y voit une autre façon de punir le DGÉ.
Malgré la méfiance et les critiques, le débat a démarré sur le bon pied cet après-midi. Le ton était posé ; la courtoisie, au rendez-vous. Les députés étaient préparés. Il faut maintenant espérer que le gouvernement n’imposera pas le bâillon et permettra une étude attentive en comité. Cela est d’autant plus important qu’il n’a pas consulté les autres partis avant de soumettre son projet, ni le DGÉ dont il s’est limité à lire les rapports.
L’intégrité du processus électoral concerne tout le monde, partis et citoyens inclus.
(J’ai espéré en vain. L’avis de bâillon en deuxième lecture a été donné en fin de journée, comme je le mentionne plus haut…)
Parlant de loi électorale, nous, au Québec, on a une loi 3 qui règle le sort des élections à une date fixe aux 4 ans et pas avant…(ironie).
Une autre promesse violée par les péquistes!!!