Dominic Vallières a, pendant plus de 10 ans, occupé les postes d’attaché de presse, de porte-parole, de rédacteur de discours et de directeur des communications auprès d’élus de l’Assemblée nationale et des Communes (Parti québécois, Bloc québécois, Coalition Avenir Québec). Il est directeur chez TACT et s’exprime quotidiennement comme analyste politique à QUB radio.
« Stratosphérique », « historique », « jamais vu ». Tous ces termes ont été utilisés pour décrire le niveau de popularité de François Legault, et il est vrai qu’on doit remonter loin dans le temps pour trouver un homme politique qui aura été en phase aussi longtemps avec ses électeurs, voire plus largement avec ses concitoyens. Mais comme personne n’échappe à la loi de la gravité, même le politicien le plus populaire doit préparer sa sortie. Pour François Legault, ça commence maintenant.
Vous me direz qu’il doit d’abord gagner les prochaines élections. C’est exact. Mais même en vue de cette échéance électorale, il doit être guidé par ce qui est à ce moment-ci, j’en suis convaincu, son véritable objectif politique : pérenniser, au Québec, la troisième voie (à ne pas confondre avec le troisième lien !), que le parti a réussi à imposer entre celle des fédéralistes et celle des souverainistes, qui monopolisaient le paysage politique québécois depuis 50 ans.
D’abord, une évidence. Le pire ennemi de la CAQ est… la CAQ. Le premier ministre a eu de nombreux moments de candeur depuis le début de la pandémie. Communicateur efficace, il a su développer un côté bon père de famille qui plaît. Inversement, d’autres commentaires ont eu un effet plus négatif sur son gouvernement. Je pense, par exemple, au moment où il a affirmé, devant un parterre de gens d’affaires, qu’on devait favoriser l’immigration de gens gagnant plus de 56 000 dollars par année. Pendant une semaine, les partis d’opposition en ont fait leurs choux gras. On reconnaît dans cette déclaration le même François Legault qui disait, en 2012, qu’une fois élu, il allait mettre dehors tous les hauts fonctionnaires qui ne pensaient pas comme lui.
Autrement dit, la ligne entre papa François et mononc’ Legault est parfois mince, et le lien tissé avec les Québécois a donné un poids rarement vu à ses paroles.
Mais revenons à nos moutons et commençons par la constitution de son équipe de candidats pour 2022. Le premier ministre a été critiqué à de nombreuses reprises sur la place et le traitement réservés aux femmes dans son conseil des ministres. Pensons à MarieChantal Chassé, Sylvie D’Amours et Marie-Eve Proulx, qui ont été éjectées, ou à Danielle McCann, passée de la Santé à l’Enseignement supérieur, un poste recréé afin de lui offrir une sortie honorable. Au-delà des explications que l’on peut donner pour chacun des cas particuliers, il reste que la perception est installée. François Legault doit en tenir compte, et la meilleure manière de le faire est de former une solide équipe de candidates, ce qui est le minimum, mais aussi de présenter lesdites candidates dans des circonscriptions où elles ont des chances d’être élues.
Plus facile à dire qu’à faire, puisque le potentiel de croissance de la CAQ n’est pas illimité. Bien sûr, les sondages actuels prévoient des gains, mais c’est sans compter avec les aléas politiques d’une année électorale. Que faire alors ? Entamer les difficiles — mais nécessaires — discussions avec des députés élus en 2018 qui pourraient ne pas vouloir se représenter en 2022. Messieurs, merci pour vos quatre années de service pour la Nation, vous pouvez rentrer dans vos terres.
Dans les prochaines semaines, alors que certains auront la confirmation que leur rêve d’être ministre ne se réalisera jamais avec François Legault comme chef, on se mettra à entendre les bruits des mécontents.
L’entourage du premier ministre devra bien mesurer ses interventions. Si le cordon est coupé trop rapidement, les députés en question peuvent se sentir tout à coup moins tenus au secret du caucus et donner l’impression d’un gouvernement brouillon où des tensions existent. Ils peuvent aussi vouloir commencer à constituer des alliances pour l’après-élection.
Le cercle autour de François Legault doit également évaluer le plus objectivement possible l’actuel Conseil des ministres. Qui monte ? Qui descend ? De quoi aura l’air le prochain Conseil ? Le fait qu’il n’y a pas eu de remaniement majeur durant ce mandat a fait se tourner tous les regards vers octobre 2022.
Je doute que François Legault souhaite réellement faire trois mandats. Il doit donc accepter de lâcher prise, dès novembre 2022, pour que des candidats potentiels puissent se mettre en valeur. La liste est présente dans la tête de beaucoup d’observateurs. Sonia LeBel, Simon Jolin-Barrette, Geneviève Guilbault et Christian Dubé ont tous montré certaines des aptitudes nécessaires pour être chef. Ils vont sans doute chercher bientôt à occuper un peu plus d’espace pour en faire la preuve de façon plus ostentatoire. D’autres noms pourraient émaner des candidatures de 2022.
Une élection est un rite codifié qui organise et structure la rencontre entre un peuple et une personnalité. En ce moment, la déférence des ministres pour leur patron est totale. Les gens qui le tutoient se comptent sur les doigts d’une main et tous craignent le foudre de Jupiter. Pour qu’une telle rencontre puisse avoir lieu et que la troisième voie soit viable après le départ de celui qui l’a ouverte, François Legault doit mettre en place des mécanismes qui permettront aux jeunes pousses d’émerger. Il doit laisser un peu de lumière.
Le premier ministre se réfère souvent à son idole, René Lévesque. Il marche dans ses traces en tentant de moderniser le Québec et de lui rendre sa fierté. Il ne doit pas perdre de vue que celui-ci est parti aigri, le dos rempli de couteaux, un peu trop tard, poussé par des lieutenants qui se voyaient capitaines.
Alors que la CAQ s’apprête à fêter ses 10 ans, et s’il souhaite que son gouvernement soit plus qu’une parenthèse, François Legault doit penser à sa succession. Du zénith où il se situe, il est mieux placé que quiconque pour trouver sa piste d’atterrissage.
Je lui conseillerais d’arrêter de s’entêter à construire l’inutile troisième lien à Québec. À terme, le troisième lien ne fera qu’aggraver la lourdeur de la circulation dans la région de Québec et ne réglera rien. Il amplifiera l’étalement urbain et provoquera une importante augmentation de la pollution automobile en n’apportant rien de vraiment utile en transport en commun. Il faudrait que François Legault comprenne que le « tout à l’auto » et le « seul dans mon auto » est une solution de transport du dernier siècle et qu’elle n’est aucunement agencée aux vrais besoins en transports d’aujourd’hui. Son entêtement à vouloir consacrer des milliards de dollars dans une infrastructure qui ne fera qu’empirer la situation envers et contre toutes les études d’impact sérieuses sur le sujet est une insulte à l’intelligence et un gaspillage honteux et indigne.
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