Si la tendance se maintient…

À quelques semaines du déclenchement des élections, où en est l’humeur politique des Québécois ?

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Le jour où la CAQ a pris son envol

La victoire électorale d’une jeune femme enceinte en octobre 2017 a fait virer le vent en faveur du parti de François Legault.La proposition était si inattendue que Geneviève Guilbault a presque raccroché au nez du conseiller de François Legault à la Coalition Avenir Québec, en cette fin d’après-midi du 6 septembre 2017. Mychel St-Louis lui demandait de se présenter à l’élection partielle déjà en cours dans Louis-Hébert, à Québec, plutôt que d’attendre les élections générales de 2018. Elle était au travail, occupée à gérer les communications au Bureau du coroner du Québec. « Je ne l’ai pas pris au sérieux, ça ne se pouvait juste pas, raconte-t-elle d’une voix pétillante. J’étais enceinte de 25 semaines, je devais commencer mon congé de maternité à Noël, alors personne n’allait voter pour moi ! C’était une mauvaise idée. Je lui ai dit de trouver quelqu’un d’autre. »

La femme de 35 ans était loin de se douter que ce coup de fil de Mychel St-Louis allait avoir des répercussions sur l’ensemble de la politique québécoise.

Geneviève Guilbault s’était entendue avec la CAQ pour se présenter à l’élection générale du 1er octobre 2018 dans Charlesbourg, où elle estimait avoir de bonnes chances de l’emporter. Du moins, plus que dans le bastion libéral de Louis-Hébert, longtemps représenté par le ministre Sam Hamad, désormais en brouille avec son ancien parti. Mais voilà, la CAQ venait de perdre son candidat, Normand Sauvageau, emporté par des allégations de harcèlement au travail, et devait le remplacer de toute urgence.

Ironie du sort, le PLQ avait lui aussi dû mettre à la porte son candidat, Éric Tétrault, pour des raisons similaires. « C’était un fiasco monumental », témoigne un stratège libéral, qui a demandé de garder l’anonymat.

Les heures passent et l’appel de la CAQ trotte dans la tête de la jeune femme. Résidente de Louis-Hébert depuis 12 ans, Geneviève Guilbault sentait que sa candeur pouvait se transformer en atout aux yeux des électeurs de cette circonscription aisée et instruite de la capitale, où la lassitude envers le PLQ était palpable. Le soir, elle discute de cette idée « complètement folle » avec son conjoint, Martin — qui lui propose d’assumer la majorité du congé parental —, puis avec des amis lors d’un souper au restaurant. Vers 23 h, elle passe voir son père pour lui demander conseil. Tous l’encouragent à plonger dès maintenant.

Le 2 octobre, la candidate remporte 51 % des voix. Une victoire écrasante. Le taux de participation, à plus de 52 %, est élevé pour une partielle, signe que les électeurs souhaitaient envoyer un message. « Finalement, une jeune femme enceinte pour incarner le changement, c’était pas pire ! » dit-elle en riant.

Une analyse des sondages des trois dernières années montre que cette victoire a fait décoller les intentions de vote de la CAQ à l’échelle du Québec. Un mois plus tard, les troupes de François Legault s’emparaient de la première place. Et le thème du changement, que la CAQ incarne mieux que les autres formations aux yeux des électeurs, montrent les sondages — et qui s’annonce central pour la prochaine campagne —, porte le parti depuis ce moment.

Les stratèges libéraux, caquistes et péquistes consultés par L’actualité sont unanimes : cette élection partielle de 2017 a été un tournant. « Les électeurs tannés des libéraux ont vu qu’un parti pouvait les battre, même dans un château fort. L’effet d’entraînement a été immédiat », explique Martin Koskinen, directeur de cabinet de François Legault.

La CAQ avait pourtant obtenu des résultats en dents de scie lors des huit élections partielles tenues depuis 2014, perdant même la circonscription de Chauveau en juin 2015, un bastion caquiste jusqu’au départ de Gérard Deltell en politique fédérale. La victoire dans Louis-Hébert moins d’un an avant les élections générales a toutefois remis le compteur à zéro.

Les conseillers du premier ministre Philippe Couillard reconnaissent que cette vague de fond du changement menace leur réélection. Les libéraux miseront donc sur l’envers de la médaille : la peur de ce même changement. C’est pour l’alimenter que les libéraux affublent François Legault d’étiquettes comme « brouillon », « amateur » ou « pas prêt à gouverner », plutôt que de s’attaquer aux propositions de la CAQ.

Le ralliement du vote pour le changement cause aussi des ennuis au Parti québécois, qui peine à l’incarner. La baisse de popularité du PQ dans les sondages est toutefois antérieure à la partielle dans Louis-Hébert. L’équipe de Jean-François Lisée est en troisième place dans les intentions de vote depuis le printemps 2017, marqué par l’arrivée en politique de Gabriel Nadeau-Dubois sous la bannière de Québec solidaire. L’entrée très médiatisée du polarisant leader étudiant de 2012 a eu l’effet d’un électrochoc dans les intentions de vote pour QS… et d’une déprime dans celles du PQ.

C’est également au printemps 2017 que le débat sur une possible convergence entre le PQ et QS a été à son apogée — les membres de QS ont rejeté l’idée le 21 mai. Les intentions de vote favorables à la CAQ ont peu bougé pendant cette période, alors que QS montait et que le PQ descendait. Cet effet de vases communicants a permis à François Legault de se hisser au deuxième rang, alors encore loin derrière les libéraux.

L’effet Gabriel Nadeau-Dubois s’est dissipé depuis un an, mais les appuis au PQ n’ont pas remonté pour autant. L’élection partielle dans la région la plus favorable à la CAQ, Québec, a permis entre-temps à François Legault de s’imposer.

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Batailler pour le vote des femmes

Elles pourraient changer le cours des choses… et les partis le savent.Le chef de la CAQ a donné le mandat à son organisatrice en chef, Brigitte Legault, de recruter plus de candidates qu’en 2014, alors que le compteur s’était arrêté à 23 % des 125 candidats. Cette fois, 40 % est le seuil minimal visé, ce qui aiderait François Legault à tenir sa promesse de former un conseil des ministres paritaire. D’où les nominations de candidates-vedettes comme Chantal Rouleau (Pointe-aux-Trembles), Sonia LeBel (Champlain), Marguerite Blais (Prévost) et Nadine Girault (Bertrand).

Au PLQ, Philippe Couillard ne manque aucune occasion de mettre en valeur ses ministres féminines, comme Dominique Anglade, Isabelle Melançon et Marie Montpetit. Lucie Charlebois, qui pilote le dossier de la légalisation du cannabis, est à l’avant-scène depuis des mois.

Ce n’est pas un hasard. Le vote féminin pourrait faire la différence entre un gouvernement caquiste ou libéral, et entre une victoire majoritaire ou minoritaire. Les deux partis en tête sont au coude-à-coude dans les intentions de vote de cette partie de l’électorat. Lui envoyer un message d’ouverture, tant à propos des candidatures que des enjeux — le thème de la famille s’impose depuis l’automne —, occupe les esprits des stratèges des deux formations.

C’est toutefois la CAQ qui a le plus progressé dans les intentions de vote des femmes depuis son creux du 30 mars 2017. À cette période, le PLQ dominait par 14 points. La cote de QS étant remarquablement stable auprès de l’électorat féminin, la CAQ a puisé à la fois dans le réservoir électoral du PQ et du PLQ pour remonter la pente. Si l’opération « peur du changement de la CAQ » porte ses fruits, les femmes pourraient revenir en force vers les libéraux, espèrent les stratèges du PLQ.

Chez les hommes, la CAQ mène par huit points sur le PLQ. Une avance qui varie d’un mois à l’autre, mais qui ne se dément pas depuis octobre dernier.

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Les jeunes se démarquent

Leur allégeance ne va pas du même côté que celle de leurs aînés.L’ entrée en politique active de Gabriel Nadeau-Dubois a eu un effet saisissant chez les 18-34 ans, qui avaient suivi de près le conflit étudiant de 2012. Son arrivée a gonflé les appuis de Québec solidaire. Mais le retour sur terre de QS dans les sondages depuis quelques mois est également dû à sa baisse de popularité chez les jeunes.

L’échantillon des sondages dans les différentes tranches d’âge étant plus faible, les variations sont parfois importantes d’un mois à l’autre. Mais la tendance de fond montre que le PLQ se maintient en tête chez les 18-34 ans, alors que la CAQ domine chez la génération X (les 35-54 ans) et que la lutte est davantage serrée entre la CAQ et le PLQ chez les 55 ans et plus.

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Le vote francophone a un nouveau champion

C’est vers la CAQ que se dirigent les électeurs qui n’adhèrent pas au projet de souveraineté. Le vote francophone s’effrite pour les libéraux. Visiblement, de nombreux électeurs fédéralistes — et ceux pour qui le débat sur la souveraineté n’est plus prioritaire — cherchent une solution de rechange au PLQ, impopulaire dans les sondages, et qui gouverne depuis 2003, sauf pour la parenthèse péquiste de 18 mois entre 2012 et 2014.

Or, l’aval de l’électorat francophone est décisif dans 90 circonscriptions sur les 125 — celles où plus de 75 % des électeurs sont francophones.

68 %

Moyenne des intentions de vote chez les non-francophones pour les libéraux depuis le début de l’année 2018.

Depuis son sommet de 27 % dans les intentions de vote des francophones, en janvier 2017, le PLQ chute. À ce moment, Philippe Couillard était au coude-à-coude avec la CAQ auprès de cet électorat, et six points en retard sur le PQ, alors au sommet. L’élection dans Louis-Hébert a accéléré la descente. Le vote francophone s’est déplacé vers la CAQ, ce qui permet à François Legault d’envisager une victoire, minoritaire ou majoritaire.

Les électeurs anglophones et allophones sont toutefois encore fidèles au parti de Philippe Couillard, qui a d’ailleurs nommé l’automne dernier une ministre, Kathleen Weil, responsable des Québécois d’expression anglaise. François Legault a beau les inciter à se « libérer » des libéraux, de nombreux non-francophones doutent encore de l’attachement au Canada de l’ancien ministre péquiste. Même si l’appui de cet électorat a reculé, il est encore suffisant pour que le PLQ ne soit pas inquiété dans ses bastions montréalais.

Cependant, la légère hausse de popularité de la CAQ auprès des anglophones et allophones durant la même période pourrait provoquer, dans les circonscriptions où ces électeurs sont en nombre relativement important, des luttes serrées entre la CAQ et le PLQ, notamment en Estrie (Brome-Missisquoi et Orford) et en Outaouais (Gatineau).

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Où sont les bastions ?

Si Montréal et Québec sont presque gagnées d’avance, d’autres coins de la province seront plus chaudement disputés.Chaque début de campagne, les adversaires du PLQ sont conscients qu’il ne manque à la machine rouge que 20 sièges pour obtenir une majorité… Car depuis 1981, le PLQ n’a jamais obtenu moins de 42 sièges lors d’une élection générale. Bonjour la pression pour le renverser !

La force du PLQ dans l’ouest et le nord de l’île de Montréal, en banlieue ouest ainsi qu’à Laval et en Outaouais lui permet de partir en campagne avec une longueur d’avance. Même en 2012, minés par la tourmente de la corruption et de la collusion, et en présence d’une crise étudiante sans précédent, les libéraux de Jean Charest avaient remporté 50 circonscriptions, ce qui avait coincé les troupes de Pauline Marois dans un gouvernement minoritaire. Le PLQ n’avait cependant obtenu que 31 % des voix, un plancher depuis les années Duplessis.

Ces deux planchers — 42 sièges et 31 % des voix — pourraient toutefois être ébranlés. Si la moyenne des sondages est annonciatrice des résultats, le PLQ pourrait obtenir 30 % des votes le 1er octobre. Ce qui donnerait quand même environ 42 sièges aux libéraux. Insuffisant pour gagner, mais assez pour compliquer la vie d’un autre parti vers un gouvernement majoritaire.

Si Montréal est un refuge libéral, Québec est en voie de devenir la pierre d’assise de la CAQ. Dans la grande région de la capitale, le parti domine par 30 points dans certains sondages. Les 12 circonscriptions libérales (sur 17) y sont menacées.

Malgré son appui au tramway du maire Labeaume et au troisième lien entre Québec et Lévis, le PLQ ne parvient plus à susciter l’enthousiasme à Québec depuis l’hiver 2016. Cette période correspond au début des difficultés éthiques du ministre Sam Hamad, très populaire à Québec — il sera éjecté du Conseil des ministres en avril 2016 en raison de ses liens avec le lobbyiste Marc-Yvan Côté, qui aurait profité de cet accès privilégié alors que Hamad était ministre du gouvernement Charest.

Ailleurs au Québec, certaines luttes régionales pourraient réserver des surprises. Le PQ continue de dominer dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, mais ses forteresses du Saguenay–Lac-Saint-Jean sont menacées par la CAQ.

Dans les trois circonscriptions de l’Abitibi, des batailles à trois se dessinent, tout comme en Estrie. La Montérégie, au sud de Montréal, semble pencher en faveur des troupes de François Legault, alors que plusieurs circonscriptions péquistes remportées de justesse en 2014, comme Taillon, Saint-Jean et Vachon, pourraient basculer vers la CAQ.

Vivement la campagne électorale pour trancher tout ça !

Méthodologie

Nous avons analysé les sondages réalisés au Québec depuis trois ans. Chacun des sondages utilisés dans le calcul est pondéré selon la taille de son échantillon et sa date de terrain. Cette méthode permet d’amortir les fluctuations naturelles des données. Les chiffres utilisés proviennent des maisons Léger, Recherche Mainstreet et Ipsos. La marge d’erreur augmente pour les sous-échantillons.

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Il est toujours étonnant de remarquer combien la télévision est un « grand medium » qui peut transformer complètement des destinées. Avant le 6 juillet 2013, madame Guilbault était pour la plupart une parfaite inconnue. C’est elle qui avait été dépêchée par le Bureau du coroner sur le site de la tragédie de Lac-Mégantic. Ce paisible joyau de l’Estrie bordé d’une plan d’eau majestueux, protégé par la muraille verdoyante Appalachienne, est par la force des choses devenu l’image saillante des actualités dramatiques de cet été-là.

Le nom de Lac-Megantic a fait le tour du monde pour les pires raisons, peu après le visage bienveillant de madame Guilbault s’est imposé sur tous les écrans, jusqu’à plusieurs fois par jour dans tous les bulletins d’informations. Elle est devenue l’image rassurante des autorités, son visage poupin et charmant, sa voix bien articulée, son apparence, se sont imposés de toutes les façons apportant à la tragédie un contre-point sensible et donc beaucoup plus humain.

C’est un peu comme si son élection un jour au Parlement devait s’inscrire dans ce cheminement. Ce n’est le fruit du hasard, si depuis sa victoire dans Louis-Hébert, Madame Guilbault figure si souvent non loin de son chef lorsqu’il s’adresse à la presse dans ses déclarations. Son visage, sa silhouette, son image, évoquent un côté rassurant qui génère l’équilibre face à un Legault au tempérament pugnace voire quelquefois ténébreux, toutes choses qui ont nui à ses tentatives d’accéder au pouvoir en quelques occasions.

Reste à savoir s’il est possible de capitaliser les votes pendant une campagne électorale sur la seule image apaisante d’une autre personne que soi-même ou si monsieur Legault va devoir développer de nouveaux talents pour convaincre les électrices et les électeurs de lui donner un réelle chance de pouvoir former le gouvernement.

— « L’effet Guilbault » peut-il se prolonger indéfiniment ?

Comme le dit si bien ce proverbe d’origine germanique : « Habitude du berceau dure jusqu’au tombeau » — Sommes-nous vraiment en présence du véritable François Legault ? Je conjecture que nous devrions très bientôt être confrontés à l’implacable et pas toujours gracieuse épreuve des faits.