Le 6 février dernier, la Cour suprême du Canada a statué [dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général)] que les dispositions du Code criminel prohibant l’aide médicale à mourir — il s’agit de l’article 14 et du paragraphe 241b) du Code criminel — portaient atteinte à un droit garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, soit le «droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne».
Le droit de mourir dans la dignité soulève des questions éthiques et morales complexes. Si les tribunaux ont d’ores et déjà reconnu à un adulte le droit de refuser des traitements médicaux qui auraient pour effet de prolonger son existence, ils s’étaient toujours refusés, jusqu’à maintenant, d’accepter que ce droit puisse comprendre celui de précipiter sa mort.
Un concert d’unanimité
Dans un contexte de prohibition quasi généralisée de l’aide au suicide et compte tenu du déchirement à la Cour suprême lorsqu’elle avait tranché la question en 1993 dans l’affaire impliquant Sue Rodriguez, on s’étonnera sans peine de ce concert d’unanimité à propos de cette décision.
D’abord, l’unanimité à la Cour suprême où les neufs juges composant le plus haut tribunal du pays se sont rangés derrière leur juge en chef pour conférer une certaine solennité à la décision en l’attribuant à «La Cour», ce qui est habituellement réservé aux questions plus «politiques», comme le renvoi sur la sécession du Québec, l’arrêt Khadr (2010) — dans lequel la Cour explore poliment les limites du pouvoir du premier ministre — ou, encore, les décisions en matière d’immigration ou de droits linguistiques.
Il ne faut pas croire cependant que les décisions unanimes sont légion à la Cour suprême. Il n’y en a eu aucune en 2014. La toute dernière décision unanime de la Cour suprême a été rendue le 20 décembre 2013 dans l’arrêt Bedford, une décision dans laquelle elle avait déclaré inconstitutionnelles les dispositions du Code criminel qui prohibaient la prostitution.
Ensuite, la majorité des réactions à la suite de l’arrêt Carter (2015) ont été favorables — et cela, malgré le fait que la décision ait été rendue par des juges non élus plutôt que par des représentants élus de la population. De fait, il n’y a que peu ou prou de désaccord avec le fait qu’il revient aux individus de décider pour eux-mêmes s’ils veulent ou non poursuivre leur «agonie» devant la mort.
J’emploie à escient le terme agonie, puisqu’il ne faudrait pas voir dans cette décision une licence au suicide. La Cour suprême, s’appuyant sur les craintes soulevées par certains groupes, a étroitement encadré cette aide au suicide. Il y a deux conditions imposées par la Cour pour pouvoir bénéficier d’une aide au suicide : d’abord, la personne doit consentir expressément à mettre fin à sa vie et, ensuite, celle-ci doit être affectée d’un problème de santé grave et irrémédiable.
La Cour précise aussi une situation qui n’est pas sans rappeler le mariage entre personnes de même sexe, que ce droit conféré à un individu de recevoir de l’assistance à mourir n’emporte aucune obligation pour un médecin de la lui procurer. Par analogie, le droit pour deux personnes de même sexe de se marier n’oblige pas les prêtres d’une confession religieuse particulière de les marier. Ainsi, suivant en cela l’argumentation de l’Association médicale canadienne, les médecins qui s’opposent à l’aide au suicide ne sauraient être contraints de la procurer à l’encontre de leur conscience ou en raison de leurs croyances personnelles.
Enfin, la Cour suprême a suspendu la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions du Code criminel prohibant l’aide au suicide pour une période de 12 mois, ce qui donnera amplement le temps au Parlement et à l’Assemblée nationale du Québec de départager leurs compétences respectives en la matière.
La volte-face de la Cour suprême
En 1993, dans l’arrêt Rogriguez, la même Cour suprême avait conclu — une décision de cinq juges contre quatre — que le paragraphe 241b) du Code criminel était conforme à l’article 7 de la Charte.
La question qui se pose est la suivante : comment la Cour suprême en est-elle arrivée à rendre une décision unanime déclarant inconstitutionnelles les dispositions du Code criminel qui prohibent l’aide au suicide, alors qu’elle avait elle-même affirmé le contraire il y a une vingtaine d’années et que les tribunaux de la plupart des pays occidentaux ont maintenu la validité de la prohibition législative qui en est faite ?
Bien qu’elle puisse utiliser un euphémisme pour affirmer qu’elle «distingue» sa décision dans l’arrêt Carter (2015) de celle qu’elle avait rendue dans l’arrêt Rodriguez, il ne saurait faire de doute — en raison de l’identité des faits, des questions juridiques soulevées et des garanties constitutionnelles en jeu — que la Cour suprême a carrément renversé le principe judiciaire qu’elle avait établi en 1993.
Pour ma part, j’estime qu’il y a deux raisons qui expliquent cette volte-face de la Cour suprême.
Premièrement, la Cour suprême du Canada réaffirme dans l’arrêt Carter (2015) ce que j’oserais qualifier de principe cardinal sur lequel repose la Charte canadienne des droits et libertés, soit celui de l’autonomie personnelle. Évoqué d’abord tant aux États-Unis qu’au Canada en matière du droit pour une femme d’utiliser des contraceptifs ou de décider elle-même de poursuivre ou non une grossesse, ce droit à l’autonomie personnelle s’entend du droit d’un être humain de prendre les décisions qui lui sont intrinsèquement personnelles sans ingérence de l’État. «Le droit de « décider de son propre » sort permet aux adultes de dicter le cours de leur propre traitement médical : c’est ce principe qui sous-tend la notion de « consentement éclairé » et qui est protégé par la garantie de liberté et de sécurité de la personne figurant à l’article 7».
Deuxièmement, comme la Cour suprême du Canada l’a elle-même fait remarquer, le portrait en matière d’aide médicale a changé depuis que l’arrêt Rodriguez a été rendu en 1993. Depuis 1994, année où l’État de l’Oregon a modifié sa loi à la suite d’une initiative citoyenne afin de permettre l’aide médicale à mourir à l’égard d’une personne atteinte d’une maladie terminale, plusieurs autres États ont emboité le pas et permettent désormais une certaine forme d’aide à mourir. Il s’agit des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg, de la Suisse, de l’État de Washington, de l’État du Montana et de la Colombie. Ainsi s’exprime la Cour : «Ensemble, ces régimes permettent de disposer d’un ensemble de données concernant les rouages pratiques et juridiques de l’aide médicale à mourir, ainsi que de l’efficacité des mesures protégeant les personnes vulnérables.»
C’est précisément en raison de ce critère de la vulnérabilité des personnes susceptibles de requérir l’aide au suicide, et cela malgré la grande sympathie que les juges de la Cour suprême avaient pour Sue Rodriguez, qui a fait pencher la balance en faveur du maintien de la prohibition de l’aide au suicide en 1993. Dans l’arrêt Carter (2015), la Cour suprême a réfuté — les qualifiant même d’«anecdotiques» — les arguments du procureur général du Canada voulant que si l’aide au suicide n’est pas complètement prohibée, «le Canada dérapera vers l’euthanasie et le meurtre cautionné.» Ainsi, il ne saurait faire de doute que la Cour suprême perçoit donc une plus grande acceptation sociale de l’aide au suicide dans la société.
Au Canada et au Québec, cette plus grande acceptation sociale n’est probablement pas étrangère aux faits que les élus de la population et des membres du Sénat aient étudié attentivement cette question. On se rappellera le rapport du comité sénatorial sur l’euthanasie et l’aide au suicide déposé au mois de juin 1996 ou, plus récemment, celui que la Commission spéciale sur la question de mourir de la dignité déposait en mars 2012. Le projet de loi no 52 — la Loi concernant les soins de la fin de vie — déposé, lui, le 12 juin 2103 en constitue une émanation.
S’il me faut joindre mes applaudissements à ce concert d’unanimité à propos de cet arrêt Carter (2015) de la Cour suprême du Canada en raison du fait qu’il réaffirme un principe fondamental du droit constitutionnel canadien — soit celui de l’autonomie personnelle —, je ne puis que remarquer que ce concert d’unanimité est, en quelque sorte, en dissonance avec la situation qui prévaut dans le monde occidental où ce sont les tribunaux qui ont maintenu la prohibition à l’aide au suicide.
À vrai dire, on l’aura remarqué, la libéralisation de l’aide au suicide résulte quasi essentiellement d’initiatives citoyennes, et elle est le fait des gens élus de la population et non de tribunaux. L’on devrait s’en souvenir.
Alain-Robert Nadeau est avocat et docteur en droit constitutionnel.
Dans la phrase :« Deuxièmement, comme la Cour suprême du Canada l’a elle-même fait remarquer, le portait en matière d’aide médicale a changé depuis que l’arrêt Rodriguez a été rendu en 1993. », il y a une coquille. Ne devrait-on pas lire « portrait »?
RÉPONSE DE L’ACTUALITÉ:
Vous avez parfaitement raison. C’est corrigé.
Merci de nous avoir écrit!
Pierre Duchesneau
Journaliste Web
Faut aussi noter qu’un seul juge a fait la différence en 1993 et que si un juge de la majorité qui a décidé contre l’aide médical à mourir avait opiné avec les 4 juges dissidents, la décision de la Cour suprême aurait alors été complètement différente. Donc, ce n’est pas un très gros « revirement » de la Cour – simplement un ajustement à la réalité.
Autre point à noter c’est que dans des états comme l’Oregon, la population peut par référendum faire changer les lois, contrairement à ce qui se passe ici et ça explique en partie le fait que les tribunaux doivent intervenir puisque l’état refuse de le faire malgré les voeux du peuple, ce sur une base idéologique religieuse qui n’est pas partagée par la majorité de la population.
Avec un gouvernement autocratique et anti-démocratique comme le gouvernement Harper, les tribunaux restent les derniers ramparts de la démocratie contre les abus de l’état.
Il faudrait voir attentivement ce que signifient exactement les expressions « consentir expressément » et « problèmes de santé graves et irrémédiables », citées dans le texte. Comment des gens inconscients ou déments peuvent-ils « consentir expressément » à ce qu’on provoque leur mort? Les lois prévoient un consentement écrit alors que le sujet était pleinement conscient. Mais peut-être pourrait-il changer d’idée s’il était lucide? De plus, un gouvernement pourrait donner un sens plus étendu au « consentir expressément »: cela pourrait être « le malade voudrait telle solution s’il était bien conscient… ». Et qui va décider qu’un problème de santé est grave et irrémédiable » Les politiciens pourraient étendre le sens de ces mots bien plus qu’on le pense maintenant.
Pour résumer, je crains qu’un jour, ce soit un fonctionnaire qui dise: celui-ci peut continuer à vivre, mais celle-là doit mourir en vertu des règlements légaux. La décision de la cour suprême consacre bel et bien la légalité de l’euthanasie, quitte aux gouvernements d’en définir les modalités d’applications.
Le suicide assisté existe depuis longtemps dans certains hôpitaux. La seule différence c’est qu’on y réfère comme « soins de conforts ». Je viens de perdre ma mère à l’hôpital et je sais de quoi je parle. Elle n’était pas mourante et elle n’avait aucune maladie terminale il y avait de ça un mois. Une fracture de la hanche pour laquelle la chirurgie a été une réussite. À cause de l’alitement prolongé, d’autres petites complications, qui auraient pu être surmontées, sont survenues. Sa plus grande souffrance était de nature psychologique. Elle souffrait d’anxiété, de peur et d’angoisse. Rien que des doses de Versed ne pouvaient régler, selon le médecin traitant.Voilà que vient s’ajouter la morphine en doses croissante pour la simple raison que l’infirmière se fiait aux fameux pictogrammes du niveau visuel de la douleur
chez le patient. Le hic c’est qu’un patient souffrant de malaises psychologiques peut aussi bien froncer les lignes du
front. D’ailleurs, ma mère répétait souvent qu’elle ne souffrait pas de douleur physique autre que de courbatures causées par l’inertie et l’alitement. Puis s’en est suivi que la morphine l’a rendue somnolente donc pas de force pour manger ou boire. Elle ronflait dans son sommeil et cela a été interprété par une infirmière de nuit, qui n’était entrée dans la chambre que pendant quelques secondes, comme étant des sécrétions. Voilà qu’on lui administre de la Scopolamine. En cinq jours on a réussi à la rendre tellement confortable au point tel, qu’elle ne ressent plus son angoisse. Elle est décédée vendredi dernier. En 1983, en ce qui concerne mon père, ce fut la même chose. Lui, par contre, souffrait d’un cancer. Pendant les deux dernières semaines de sa vie, il était dans un état semi-comateux. On lui administrait de la morphine aux 4 heures, puis aux 2 heures et parfois encore plus rapproché. Lorsque je leur avait demandé le pourquoi d’autant de morphine, je m’étais fait répondre que c’était mieux ainsi et que cela allait raccourcir sa souffrance. Donc, pourquoi tout ce temps à légaliser le suicide assisté quand en fait ça existe depuis longtemps
dans les soins hospitalier sous le terme de « soins de confort »?