En avril 1995, Jacques Parizeau, alors nouveau premier ministre du Québec, assistait à un match du Canadien contre les Nordiques de Québec au Colisée. Son épouse, Lisette Lapointe, était à ses côtés. Elle portait un chandail des Nordiques.
À l’époque, ce geste me semblait plutôt risqué d’un point de vue stratégique. Si j’avais été conseiller de M. Parizeau, j’aurais été nerveux. C’est que le sport s’alimente de petites rivalités, et Montréal a quatre fois la population de Québec. D’autant plus que le chef indépendantiste était alors à six mois d’un référendum serré.
C’est peut-être Mme Lapointe qui avait choisi elle-même ce qu’elle allait porter ce soir-là. Ni elle ni M. Parizeau n’avaient l’habitude de prendre des décisions en faisant abstraction du côté émotif.
Il y avait de toute façon d’autres facteurs à considérer. D’abord, Jacques Parizeau voulait multiplier les gestes pour donner du sens à l’idée que Québec soit une capitale nationale. À ce moment, les Nordiques menaçaient de quitter la ville — l’annonce allait venir un mois plus tard —, et même si M. Parizeau s’opposait au soutien d’un club de la LNH avec des fonds publics, il jugeait qu’il n’y avait pas vraiment de risque à afficher son égard pour l’équipe.
Mais surtout, Jacques Parizeau savait que ses chances dans un référendum ou dans tout autre projet politique s’amélioreraient si les gens ne le percevaient pas seulement comme un intellectuel montréalais. Il est né à Outremont et a grandi dans une famille bourgeoise. Son éducation s’est faite tantôt à Montréal, tantôt à l’étranger. Il s’était présenté deux fois dans des circonscriptions montréalaises, sans succès, avant de se faire élire en 1976 dans L’Assomption, en banlieue de Montréal (où le député actuel s’appelle François Legault).
Le chandail des Nordiques de Lisette était une façon parmi d’autres de faire oublier les racines montréalaises profondes de Monsieur.
Je pense à tout cela aujourd’hui en regardant les résultats de l’élection de lundi, qui s’est déroulée à peu près comme prévu. La Coalition Avenir Québec a raflé presque l’ensemble des circonscriptions hors de la métropole, et seulement deux sur l’île de Montréal. La formation a obtenu la majorité relative des votes dans toutes les régions, sauf à Montréal, où elle est arrivée troisième derrière les libéraux et Québec solidaire. (Mon collègue Philippe J. Fournier étale les chiffres dans ce fil Twitter.) Le Parti libéral du Québec a gagné 20 de ses 21 sièges à Montréal ; à Québec, il n’a récolté que 1 vote sur 18.
Les deux nouveaux partis qui ciblaient le vote anglophone et allophone, le Bloc Montréal et le Parti canadien du Québec, ne sont allés nulle part. Leurs chefs ont respectivement fini cinquième et sixième dans les circonscriptions où ils s’étaient présentés. En 1989, le Parti Égalité avait réussi à faire élire quatre députés à l’Assemblée nationale, à une époque où, comme maintenant, les politiques linguistiques du gouvernement inquiétaient les anglophones. Mais en 1989, un vote pour un nouveau parti en était un de protestation contre le gouvernement libéral de Robert Bourassa. Aujourd’hui, c’est le vote pour les libéraux qui est le vote de protestation.
À ce sujet, je suis fasciné par un petit détail de l’entrevue que François Legault a accordée à David Chabot, de l’émission Des matins en or, sur les ondes de Radio-Canada, alors qu’il se trouvait en Abitibi, quelques jours avant l’élection. D’autres chefs, s’ils avaient été dans la même situation, se seraient sûrement passé des questions sur les émissions d’arsenic de la Fonderie Horne qui attendaient le premier ministre à Rouyn-Noranda. Celui-ci a plutôt osé tenter sa chance et livrer un message d’autonomie régionale : Rouyn a besoin de Horne, a-t-il dit en substance, et les gens du coin peuvent juger si les normes en place sont adéquates pour assurer leur santé.
À au moins deux occasions, François Legault s’est érigé en défenseur des citoyens de Rouyn contre l’ingérence des gens de l’extérieur, dont « Gabriel Nadeau-Dubois, de Montréal ».
Il aurait pu qualifier ce dernier de « socialiste notoire », ou encore parler de « Gabriel Nadeau-Dubois, celui qui est tellement woke que personne ne comprend ce qu’il dit ». Il a préféré affubler son rival de l’étiquette de Montréalais. Bien sûr, M. Legault a lui aussi grandi et vécu à Montréal, où il a dirigé Air Transat. Mais il réussit à dissimuler ses origines.
Je viens d’une ville ontarienne comparable à Rouyn-Noranda ; je peux facilement imaginer que la position de M. Legault doit être assez populaire là-bas. Et en effet, lundi, le candidat caquiste de cette circonscription abitibienne a défait la députée sortante de Québec solidaire.
Par ailleurs, François Legault défend depuis un an l’idée d’un troisième lien entre Québec et Lévis. Il a modifié son projet pour répondre aux critiques sur le coût du chantier et les émissions de GES ; le prix s’élève désormais à 6,5 milliards de dollars. Pour bien des Montréalais, ce projet relève de la pure folie. Même l’ancien maire Régis Labeaume était contre, et son successeur, Bruno Marchand, n’est guère plus enthousiaste. Pourtant, lundi, la CAQ a balayé ses rivaux dans la grande région de Québec, sauf une petite poche de résistance au centre de la capitale, d’ailleurs plutôt favorable au maire Marchand.
Quand j’étais étudiant à l’université, j’ai eu le bonheur de travailler trois étés de suite à Québec. Je sais à quel point les gens de Québec n’aiment pas se sentir jugés par les Montréalais. Le troisième lien n’est pas qu’un projet d’infrastructure routier pour M. Legault. C’est aussi un chandail des Nordiques à 6,5 milliards de dollars.
À peu près tout le monde fustige les effets pervers de notre système électoral uninominal à un tour, comme ils ont été révélés lundi pour une énième fois. Le chef de la CAQ avait promis en 2018 de réformer le système et en 2022 de ne pas y toucher ; aujourd’hui, il se targue de ne vouloir tenir que le deuxième engagement.
Lundi, il a fallu environ 19 000 votes pour élire un député de la CAQ contre 200 000 pour élire un péquiste. Un demi-million de votes n’ont pas suffi pour élire un seul député du Parti conservateur du Québec. Chaque membre de la petite et fractionnée opposition à l’Assemblée nationale aura bien plus d’électeurs derrière lui que chaque membre du gouvernement. Ce n’est pas du jamais-vu, mais ce n’est pas non plus de nature à encourager la perception populaire que la politique est juste.
À cette tension s’ajoute une évidence : François Legault a souvent fait campagne en confortant l’idée que bien des gens hors de Montréal, en banlieue comme en région, se font de la vie dans la métropole. On a beaucoup moins besoin d’une nouvelle loi pour protéger le français ou pour encadrer le port des signes religieux ostentatoires à Drummondville ou à Chicoutimi qu’à Montréal. Mais pour bien des Montréalais, principalement mais pas exclusivement les non-francophones, on n’a pas besoin de la loi 96 et surtout de la loi 21 à Montréal non plus.
François Legault a terminé sa campagne en assurant aux Rouynorandiens qu’ils ne se feraient pas dire quoi faire par des Montréalais. Pourtant, des gens de Montréal ont le sentiment de se faire dire comment vivre par les autres Québécois. Ce n’est pas la fin du monde. Tout a été fait selon les normes démocratiques. Mais ce sentiment d’aliénation est là.
J’ai déjà entendu dire à la radio, dans une discussion entre MBC et Martineau, que les Montréalais (au moins ceux qui ont voté pour le PLQ) ne sont pas des Québécois. Pour la frange plus dogmatique du nationalisme identitaire, seuls les Québécois francophones de souche française sont des vrais Québécois.
J’ai parcouru le Québec d’est à ouest, sur la 132 et la 138, et même allé à Saguenay. Quoique je ne me sois jamais senti étranger, les différences sont là, très évidentes.
Le clivage ville-régions n’est pas étranger à d’autres pays. Le cosmopolitisme, libéralisme et multiculturalisme des villes (parmi d’autres ismes), provoque la méfiance de populations naturellement plus conservatrices.
Malheureusement, les politiciens populistes, dont Legault, profitent de ce clivage pour gagner des votes, au lieu d’essayer d’unifier la nation. C’est de l’opportunisme, ce qui dans notre époque est un trait fondamental des politiciens.
Bien d’accord avec vous.Populisme et manque de courage.Je me souviens des luttes contre l’amiante,un peu semblable a Rouyn, et les gouvernements de l’époque ont décidé pour la santé.Les villes d’Asbestos,Thetford Mines etc. en ont beaucoup souffert. Aujourd’hui ils sont reconnaissants et ont trouvé d’autres revenus. C’est ce que je reproche a ce gouvernement…seul l’argent compte.
On blâme souvent, à raison, les radios de Québec dont le fonds de commerce est de titiller les instincts les moins édifiants chez l’être humain en alimentant un sentiment de défiance envers les élites « dite corrompues » .. Les Québécois francophones ont fait leur preuve et ont toutes les raisons de se sentir à la hauteur quand il s’agit de se mesurer aux meilleurs dans nos sociétés modernes. Je trouve dommage que des démagogues, en quête de cotes d’écoute, arrivent à ébranler la confiance de leurs auditeurs en jouant d’une compétition artificielle entre l’élite et la « plèbe », entre Montréal et Québec.. Il ne faut pas non plus négliger le rôle central qu’occupent nombre de chroniqueurs en croisade réactionnaire identitaire, lesquels, jour après jour, s’activent à entretenir chez les francophones de souche un sentiment de « victimite » aiguë, un sentiment d’être menacés par l’autre, le musulman, le woke, l’anglo, les LGBTQ+, l’allophone, en somme, tout ce qui n’est pas « Nous ». Cette stratégie de clivage est malheureusement récupérée par des politiciens populistes souvent carriéristes et rongés par l’ambition. Et le grand perdant c’est le peuple qui a à composer dans un climat de crétinisation généralisée. La démocratie est en perte de vitesse en faveur des régimes autoritaires partout en Occident.. et ces démagogues nous engagent lentement mais sûrement sur cette pente glissante.
«On ne se bat pas dans les autobus» pour la réforme du scrutin «c’est une affaire d’intellectuels». Ne voit-on pas là le mépris qu’affiche celui qui est le premier ministre de la province? Cela recoupe le mépris que les Québécois du reste de la province ont envers les Montréalais et on compte sur ce mépris pour se faire élire. Ça revient à dire que les Québécois ne sont pas des intellectuels et qu’ils se foutent de la démocratie ! Pas très élogieux comme opinion des gens qui l’ont élu.
Ne nous trompons pas, en cassant du sucre sur le dos des immigrants, M. Legault visait aussi Montréal puisque c’est là où la plupart s’établissent et les remarques pathétiques, insultantes et mensongères de son ministre Boulet sur le sujet confirment encore une fois que c’est populaire ailleurs dans la province pour se faire élire, surtout quand on regarde le dossier insipide de ce gouvernement qui gère la province comme si c’était une compagnie aérienne.
Que reste-t-il à Montréal quand presque la moitié de la population de la province est en marge de ce gouvernement qui se prétend être une coalition… Une coalition de quoi au juste ? Quel est le plan du gouvernement provincial à l’égard de la métropole à part la fermeture d’un tube du tunnel Lafontaine durant 3 ans ? Avec sa population de près de 3 millions de personnes l’agglomération de Montréal pourrait devenir une province et serait parmi les plus populeuses, un peu plus que le Manitoba mais moins que l’Alberta.
Si le Québec tourne le dos à un Montréal cosmopolite, est-ce que Montréal va tourner le dos au Québec ?
Monsieur Wells, avant de crier au loup, il convient de remettre les choses en perspective…
D’abord, les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale ont des élus dans la métropole, dont la CAQ qui en a deux. C’est donc dire que Montréal sera représentée lors de la formation du cabinet, et ce, non seulement par des élues montréalaises, mais par des élus de Laval et de la Rive-Sud. En effet, plusieurs députés de la CAQ élus dans les banlieues proviennent du monde des affaires et ont passé leur carrière dans le centre-ville de la métropole. Ces gens-là connaissent Montréal, comprennent ses besoins et sont en contact avec les leaders de la communauté. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si François Legault a attiré la plus grosse foule à la Chambre de commerce de Montréal lors de son passage… Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter d’un abandon de Montréal par le gouvernement ni d’une déconnexion entre l’équipe Legault et les besoins du cœur économique du Québec.
Ensuite, les voix qui se disent aujourd’hui outrées de la déconnexion montréalaise étaient bien silencieuses à l’époque où des régions entières du Québec étaient exclues du pouvoir. À titre d’exemple, sous Philippe Couillard, 90 % du budget du Québec était géré par des ministres regroupés dans l’ouest de Montréal et quelques comtés adjacents. Presque tous les ministères importants se retrouvaient entre les mains d’élus regroupés dans un périmètre de 15 km sur 15 km. On trouvait notamment dans cette zone restreinte les ministres des Finances, de la Santé, de l’Économie, des Ressources naturelles, des Transports, de la Culture et le président du Conseil du trésor. Pourtant, je n’ai pas souvenir d’avoir lu ou entendu des Montréalais décrier une concentration géographique excessive du pouvoir.
Enfin, qui est ministre est également député. Si le ministre représente une circonscription où les francophones sont en minorité, cela influencera ses sensibilités. On aurait pu alors prétendre que les intérêts de la majorité francophone étaient mis à risque par cette concentration du pouvoir dans l’ouest de Montréal… Dans le Conseil des ministres de François Legault, il y aura vraisemblablement des hommes et des femmes de toutes les régions : Québec, l’Abitibi, l’Estrie, l’Est-du-Québec, le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Autrement dit, le pouvoir exécutif sera donc réparti entre toutes les régions et les intérêts de l’ensemble des électeurs du Québec, pris en compte. Il ne faudrait pas en conclure pour autant que Montréal sera négligée, mal aimée ou abandonnée.
M. Legault fait de la petite politique sur le dos des Montréalais et son manège ne sent vraiment pas bon. Comme tous les politiciens d’aujourd’hui, il fait aussi de la politique à court terme, sans réelle vision d’avenir pour le bien commun de tous les québécois. M. Legault s’est souvent targué de parler au nom des Québécois; les Québécois par ci, les Québécois par là… Mais en réalité, pendant la campagne électorale il promettait de l’argent à ceux qui voteraient pour son parti et il a inventé une prétendue vision de haut des gens de Montréal sur le reste du Québec alors que les Montréalais ne sont pas de bois là. Dans les fait, il ne parle pas au nom de tous les Québécois, il parle à ses électeurs et au nom de ses électeurs. Il tente même de les acheter. C’est très pauvre et très cynique de sa part et ça un fait de lui un très petit Premier Ministre. La dernière fois que j’ai entendu parler d’un Premier Ministre qui promettait des cadeaux à ceux qui voteraient pour lui, on parlait de Duplessis. M. Nadeau-Dubois avait donc raison. M. Legault ramène la politique au Québec à beaucoup de ce qu’elle était à l’époque de Duplessis… Et ce n’est pas comme ça qu’on bâtit une société moderne et unie.
C’est un vrai libéral : Multiculturaliste, anti loi 21, contre la loi 96.
En fait anti Québécois…!