Toujours le chef de famille !

Les analystes et les adversaires du gouvernement sortant ont cherché la fameuse « question de l’urne ». En vain. Car l’élection était en fait un plébiscite sur la personne de François Legault. 

Photo : Christian Blais pour L’actualité

Au Québec, on est une grande famille. Les désillusionnés de la politique, les déçus des résultats électoraux, les analystes qui décortiquent les incohérences du mode de scrutin n’en diront sûrement pas autant, mais le discours de victoire de François Legault l’illustrait parfaitement.

On ne choisit pas sa famille, ce qui explique qu’on se chicane avec elle, et parfois très fort. Mais rompre les liens est une autre affaire ; vaut mieux se raccommoder après une mauvaise soirée.

C’est ce qu’a fait François Legault, chef caquiste redevenu premier ministre huit minutes seulement après la fermeture des bureaux de scrutin. Il a dès lors parlé « à Dominique, à Gabriel, à Paul, à Éric » — les quatre chefs qu’il affrontait —, a-t-il dit à la foule qui l’acclamait.

Il n’y avait plus de « madame », de « woke » ou d’« irresponsable » en face de lui. La campagne électorale est finie, on revient à une aimable familiarité. Le premier ministre a même promis de reparler aux chefs de l’opposition politique (plus large donc que parlementaire, puisque le Parti conservateur n’a pas fait élire un député) en groupe et individuellement, pour qu’ils travaillent « ensemble ». Il a réitéré sa volonté en conférence de presse mardi après-midi, évoquant l’idée de discuter d’environnement avec Gabriel Nadeau-Dubois, ou d’économie avec Dominique Anglade, etc.

A priori, c’est un curieux engagement. Comme si cela signifiait quelque chose pour un gouvernement majoritaire, encore plus fort que lors de son précédent mandat. Ou comme si on était dans un mode de scrutin qui nécessite une coalition entre partis. Il s’agit d’un réflexe de commentatrice rationnelle, qui cherche à faire entrer la psyché électorale dans des cases mathématiques.

Sauf que la force de François Legault est ailleurs : dans son côté « on est parlables, on va s’arranger ». Cette élection a laissé des gens convaincus en plan ? On va faire ce qu’il faut pour que personne de la grande famille québécoise ne se sente oublié.

Comme pour bien des aspects de l’approche caquiste, cela ne repose sur rien d’autre que des paroles : pas de plan, pas d’études, pas de projet. De la spontanéité, par contre ! Mais en soi, cette familiarité rassure.

Et être rassurant est un atout politique beaucoup trop sous-estimé.

J’en veux pour preuve les propos du ministre Mathieu Lacombe et des nouveaux caquistes Martine Biron et Bernard Drainville. Ces trois ex-journalistes n’ont pas perdu leur sens de l’observation et ils ont tiré la même conclusion de leur porte-à-porte électoral. Ce dont les citoyens leur parlaient le plus, c’était de leur reconnaissance — leur gratitude, même ! — envers le premier ministre pour sa gestion de la pandémie.

On a beaucoup cherché la « question de l’urne » pour cette élection, mais au fond, celle-ci a été un référendum pandémique. François Legault a su gagner la confiance d’un très grand nombre de Québécois pendant les deux ans qu’a duré la crise sanitaire. Dès lors, « Continuons », le slogan tout simple de la Coalition Avenir Québec, suffisait comme programme.

D’ailleurs, la CAQ n’a perdu qu’une seule circonscription, au profit du chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon. Mais si ce dernier a mené une campagne d’exception, il faut aussi ajouter qu’il a bénéficié du désistement de la candidate de Québec solidaire. Sa victoire dans Camille-Laurin ne peut être assimilée à un rejet de la CAQ.

Pour le reste, on revient au constat que dresse le sondeur Jean-Marc Léger depuis des années : les Québécois sont des extrémistes du centre. Justement, François Legault est entouré d’une équipe de toutes tendances, inclusive même selon les critères du jour. À lui le plus grand nombre de femmes élues, à lui la première députée autochtone !

« J’aime le Québec, j’aime les Québécois ! » a lancé avec cœur le premier ministre pour clôturer son discours de victoire. En dépit de sa campagne boudeuse et des paroles de division dont il l’a lui-même émaillée, ça semblait si sincère qu’on ne pouvait que le croire.

Ce Québec-là, il va d’ailleurs le défendre si on l’attaque. Bas les pattes, accusateurs d’un Québec intolérant ! Comme il l’a dit aussi lundi, contrairement à ce que l’on voit dans d’autres nations, « au Québec, tous les chefs, tous les partis sont pour l’immigration ». L’accent était nettement sur le « tous ».

Le père protecteur a donc parlé : que les voisins ne viennent pas se mêler de nos chicanes de famille ! Même si celles-ci s’annoncent agitées.

Les commentaires sont fermés.

Cette grande famille, je n’en fais peut-être pas partie, parce que je n’ai pas du tout été rassurée ou confortée par la gestion de la pandémie et je crains le pire sous un gouvernement sans opposition forte, élu par une population vieillissante et avide de discours rassurants.

Oui, vous (et Jean-Marc Léger) ont tout à fait raison.
La CAQ reflète bien ce qui est le Québec (ou au moins sa majorité francophone) : nationaliste, mais pas séparatiste; soucieux de son environnement, mais pas prêt à lâcher son VUS; exaspéré par les problèmes en santé et éducation, mais résigné à survivre avec; méfiant envers les immigrants, mais pas xénophobe; amoureux de sa langue française, mais pas trop soucieux de bien l’utiliser… Bref, c’est une définition du centrisme.
Il est étonnant quand même pour un peuple qui, dans d’autres circonstances, a été aussi audacieux.
Est-ce qu’on avait d’autres choix? Retourner au régime libéral, celui de l’austérité, des magouilles, égaré dans une quête de son identité idéologique? Non, merci! Rentrer au « bercail » souverainiste et raviver les vieilles chicanes entre indépendantistes et fédéralistes, pour finir dans un référendum qui ne semble intéresser personne (sauf les fidèles péquistes)? Non, merci! Embarquer dans une révolution orange menée par des intellos du Plateau-Mont-Royal, dirigée par le Carré-Rouge-en-Chef? Non, vade retro! Plonger dans les eaux incertaines de la droite, conservatrice, complotiste, antisystème? Non, non et non.
Alors, devant la décrépitude des uns et les extrêmes des autres… la CAQ trône dans l’âme des Québécois.

Commentaire intéressant jusqu’à «Embarquer dans une révolution orange menée par des intellos du Plateau-Mont-Royal, dirigée par le Carré-Rouge-en-Chef? Non, vade retro! ». Oh la la! la révolution! On se croirait de retour aux méchants communisses de l’époque McCarthy! On pourrait se garder une petite gêne quand on parle de révolution. Le PQ était taxé de révolutionnaire et encore là, les exagérations n’ont rien apporté de bon aux débats.

Quant aux soi-disant intellectuels du Plateau-Mont-Royal, ça transpire les intellectuels de M. Legault qui aimeraient bien que notre système électoral soit plus représentatif des électeurs. Quel mépris pour les soi-disant «non intellectuels» du reste de la province qui ne se battent pas dans les autobus et qui peinent à assurer leur survie dans un monde en mutation et qui fait face à une des pires crises de son histoire.

QS est un parti comme les autres avec une plateforme qu’on peut aimer ou pas mais de là à lui lancer l’anathème, il y a toute une marge. Le mépris du soi-disant «Carré-Rouge-en-Chef» en dit plus long sur l’auteur du commentaire que sur le co-porte-parole de QS (oui, ça ne s’invente pas).

La révolution orange n’aura jamais lieu car c’est une vue de l’esprit. Le NPD, quintessence de l’orange en politique est au pouvoir depuis des lustres dans certaines autres provinces et la révolution n’eût jamais lieu. Ils sont au pouvoir en Colombie-Britannique et ils font exactement la même chose que les vieux partis, ils gèrent la province comme si c’était un commerce, à la solde des syndicats et des jobs.

M. Pierre, Je crois que vous avez raté totalement mon ton sarcastique 🙂
Ça me fait rire quand je lis des gens qui accusent QS de communiste, par exemple, ayant moi-même connu le communisme dans « une autre vie ». Même chose avec les « intellos du Plateau », un cliché usé de la droite populiste pour rejeter tout ce qui vient de Montréal ou tout simplement « sent » Montréal. Quant à GND, je l’aime bien ce « carré rouge », et j’espère qu’un jour, au bout de son recentrage et d’un souhaitable approche aux réalités rurales du Québec, il deviendra premier ministre. Il a l’intelligence et la passion nécessaires pour le faire.
Alors, vous voyez, c’est du pur sarcasme. Pourtant, je crois aussi un caractère centriste des Québécois, un peuple que j’apprécie dans ses qualités et défauts. En tant qu’immigrant, je tente seulement de vous comprendre, vous respecter et m’adapter le mieux que je peux.