Trudeau n’a pas (trop) à s’inquiéter

La session parlementaire à Ottawa a été marquée par l’inflation, la Chine et la Commission sur l’état d’urgence, mais c’est l’état du système de santé qui retient l’attention en cette fin d’année. Quelles sont les conséquences pour la survie du gouvernement Trudeau ?

Spencer Colby / La Presse Canadienne / montage : L’actualité

Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton et de secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite agi comme directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique à la télé, à la radio et sur le web, Karl est président de Traxxion Stratégies.

En situation minoritaire, les bilans de fin de session parlementaire nous donnent l’occasion d’évaluer la capacité du gouvernement de survivre à la prochaine année. Dans le cas du gouvernement libéral de Justin Trudeau, les signaux en provenance des partenaires néo-démocrates sont forcément de la plus grande importance.

Selon les termes de l’entente inédite qui unit les deux partis, les libéraux ont la possibilité de rester au pouvoir jusqu’en 2025 en comptant sur le soutien du NPD. Cependant, l’engagement du NPD n’est valide que si le gouvernement répond aux attentes sur une série de mesures sociales, environnementales et économiques. 

À cet égard, les intentions du chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, ne sont pas si limpides. D’un côté, en entrevue à l’émission Question Period de CTV en fin de semaine, il a dit être toujours satisfait de son partenariat avec Justin Trudeau, et a affirmé ne pas avoir le désir d’y mettre fin pour le moment. Mais le lendemain, M. Singh déclarait que le NPD était prêt à se retirer de l’entente si le fédéral n’agissait pas pour résoudre la crise des soins de santé pédiatrique qui frappe le pays… Pour bien marquer le pas, il a fait une demande de débat d’urgence aux Communes sur le sujet. 

L’un des problèmes d’une entente de gouvernance à long terme comme celle qui unit libéraux et néo-démocrates est qu’il est impossible de prédire l’avenir. Qu’est-ce qui sera au cœur des préoccupations des électeurs des années plus tard ? On l’ignore. 

Le bien-être des enfants canadiens a été pris en considération dans l’entente NPD-PLC, qui prévoit entre autres un nouveau programme de soins dentaires pour les Canadiens à faible revenu (en commençant par les enfants de moins de 12 ans). Ce programme est maintenant opérationnel, un gain pour le NPD.

L’entente prévoit aussi le financement à long terme des garderies ainsi que l’adoption d’une loi sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants d’ici la fin de 2022. L’année achève et le projet de loi C-35 n’a été déposé par la ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Karina Gould, qu’il y a quelques jours. Il y a donc du progrès… mais l’échéancier fixé par le NPD n’est pas respecté. N’empêche qu’il serait difficile de déchirer l’entente en raison d’une date de tombée repoussée.

Finalement, le NPD veut voir le gouvernement aller de l’avant avec un programme d’assurance médicaments universel prévu, dans l’entente, pour 2023. Il s’agit d’une politique de longue date des néo-démocrates.

Ce qui nous amène à la crise actuelle dans les services de soins intensifs pédiatriques. Partout au Canada, les hôpitaux ne suffisent pas aux besoins. Dans la région de Montréal, des enfants sont envoyés à Sherbrooke pour se faire soigner, faute de lits plus près. À Calgary, on a eu recours à une remorque chauffée pour agrandir l’urgence pédiatrique. À Ottawa, le CHEO a appelé la Croix-Rouge en renfort ! 

Le NPD y voit l’occasion de blâmer le gouvernement libéral pour le sous-financement du système de santé. Il va ainsi dans le même sens que les premiers ministres provinciaux, qui crient famine et blâment aussi le fédéral. 

Or, l’entente est plutôt vague sur le financement de la santé, ne contenant qu’une admission que les partenaires « savent que des investissements supplémentaires permanents seront nécessaires dans un avenir immédiat ». Pas d’échéancier précis, pas de cible de financement, et un objectif général d’augmenter le nombre de médecins et d’infirmières en soins primaires.

La stratégie du NPD n’est pas de changer les termes de l’entente, mais il est de bonne guerre de maintenir la pression et de faire monter les enchères. Car plus le temps passe après la mise en place d’une clause de cette entente et plus les électeurs oublient que ces mesures sont dues au NPD. La formation doit donc continuer de pousser pour imposer ses priorités, rappeler aux électeurs les progrès obtenus et ainsi démontrer sa pertinence et son utilité.

Pour le moment, Justin Trudeau n’a pas trop à s’inquiéter. Malgré l’urgence aux urgences, il n’y a pas d’urgence politique. D’une part, le Parti libéral a passé haut la main son premier test électoral depuis l’ascension de Pierre Poilievre à la tête du Parti conservateur, tandis que les deux partis d’opposition ont perdu des parts de marché lors de l’élection partielle tenue lundi dans Mississauga-Lakeshore. D’autre part, si la possibilité de voir le NPD mettre fin à l’entente qui maintient Justin Trudeau au pouvoir existe bel et bien, ce dernier semble tout de même préférer continuer à jouer son rôle de bonne conscience du gouvernement, et consolider son bilan de gouvernance.