On garde les mêmes, et on recommence
C’est un cabinet de la continuité qui a été présenté jeudi : les deux tiers des 30 postes (il y en avait 26 jusqu’ici) sont occupés par des ministres du gouvernement Legault 1.0.
Au final, près de la moitié (13) des membres du nouveau conseil retourneront s’asseoir dans la même chaise qu’avant les élections — quoique parfois leurs tâches seront légèrement différentes. C’est le cas d’Éric Girard (Finances) ; de Sonia LeBel (Conseil du Trésor — elle cède les Relations canadiennes à Jean-François Roberge) ; de Christian Dubé (Santé) ; de Pierre Fitzgibbon (Économie et Énergie) ; de Benoît Charette (Environnement) ; d’Andrée Laforest (Affaires municipales) ; de Simon Jolin-Barrette (Justice) ; de Caroline Proulx (Tourisme) ; d’Isabelle Charest (Sport) ; de Lionel Carmant (Services sociaux) ; d’Éric Caire (Cybersécurité et Numérique) ; d’André Lamontagne (Agriculture) ; et d’Ian Lafrenière (Relations avec les Premières Nations et les Inuit).
Beaucoup de nouvelles
Parmi les dix nouveaux ministres nommés jeudi, huit sont des femmes. Cela ne donne pas un cabinet paritaire (il y a 14 femmes et 16 hommes, un léger déséquilibre dénoncé par le Groupe femmes, politique et démocratie, qui a rappelé que « la parité, c’est 50 % »), mais tout de même, l’effort mérite d’être souligné.
Les nouvelles venues sont :
- l’ex-présidente de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal, Christine Fréchette (Immigration, Francisation et Intégration) ;
- la journaliste de profession Pascale Déry (Enseignement supérieur) ;
- la journaliste de profession — bis — Martine Biron (Relations internationales et Francophonie, de même que Condition féminine) ;
- l’ancienne p.-d. g. de CIUSSS Sonia Bélanger (déléguée à la Santé et aux Aînés) ;
- la première élue autochtone de l’histoire, Kateri Champagne-Jourdain, qui était jusqu’ici directrice des relations avec le milieu du parc éolien Apuiat (Emploi) ;
- la fiscaliste et ancienne vice-présidente d’une firme spécialisée en immobilier d’entreprises France-Élaine Duranceau (Habitation) ;
- l’avocate et ancienne mairesse de Sainte-Luce, Maïté Blanchette-Vézina (Ressources naturelles et Forêts) ;
- de même que l’ancienne présidente de l’Union des municipalités du Québec, Suzanne Roy (Famille).
Bernard Drainville (Éducation) et Cristopher Skeete (délégué à l’Économie, et ministre responsable de la Lutte contre le racisme) sont les autres « nouveaux visages » du conseil des ministres. Dans les deux cas, la nouveauté est relative : M. Drainville est un vétéran de la politique, alors que M. Skeete est élu depuis 2018. C’est d’ailleurs le seul membre de cette cohorte qui n’était pas ministre et qui l’est devenu jeudi.
Peu de déçus
Des 26 ministres encore en poste à la fin de la dernière session parlementaire, trois ne se représentaient pas : Danielle McCann, Marguerite Blais et Nadine Girault. Puisque tous les autres ministres ont été réélus le 3 octobre, on présumait que certains d’entre eux seraient sacrifiés pour faire de la place aux nouveaux. Vraiment ? À ce jeu du non-rappel, il n’y a eu au final que peu de perdants.
Seuls Lucie Lecours — qui était ministre déléguée à l’Économie (remplacée par Christopher Skeete) — et Pierre Dufour — qui a eu un passage très difficile aux Forêts, à la Faune et aux Parcs ; ce ministère est scindé en deux désormais — perdent leurs postes. Nathalie Roy (Culture) n’a pas été rappelée, mais on sait qu’elle vise la présidence de l’Assemblée nationale.
Certains ont toutefois perdu en galon, à commencer par Jean Boulet. Ses propos chargés pendant la campagne sur les immigrants qui ne travaillent pas et ne parlent pas français lui auront coûté cher : il avait l’Immigration, de même que le Travail, l’Emploi et la Solidarité sociale ; ne reste plus que le Travail sur sa nouvelle carte d’affaires.
Simon Jolin-Barrette, qui était l’homme de tous les dossiers durant le premier mandat (il avait la Justice, la Langue française, de même que la responsabilité de la Laïcité et de la Réforme parlementaire en plus d’être leader parlementaire) conserve les deux plus gros morceaux (Justice et leader parlementaire), mais délaisse la Langue française et la Laïcité à Jean-François Roberge (qui était à l’Éducation). Dans le cas de M. Jolin-Barrette, il s’agit moins d’une démotion qu’un rééquilibrage de sa charge de travail : il a livré les projets de loi, à d’autres de poursuivre le boulot. Quant à Jean-François Roberge, il perd certainement en prestige, mais cumulera tout de même cinq responsabilités — et il devient le porte-parole du gouvernement sur deux dossiers chers à François Legault, liés à la question identitaire.
Chantal Rouleau aura réussi le tour de force de perdre la responsabilité de la Métropole alors que c’est l’une des deux seules élues de la Coalition avenir Québec sur l’île. C’est donc Pierre Fitzgibbon qui se chargera des relations avec Montréal, bien qu’il soit élu à Terrebonne. À ce jeu de la représentation régionale, notons que même si la Coalition avenir Québec a raflé tous les sièges en Abitibi-Témiscamingue, François Legault a nommé Mathieu Lacombe (élu en Outaouais, dans Papineau, dont le bureau de circonscription est situé à près de 500 km de Val-d’Or) ministre responsable de cette région. Cette décision a vivement fait réagir en Abitibi jeudi, mais la réflexion du premier ministre était celle-ci : vaut mieux avoir un bon ministre qui ne vit pas dans la région, plutôt que de nommer au conseil un député qui ne mérite pas vraiment d’être là.
Marchand-Guilbaut
« Je pense qu’on est capables de travailler ensemble, Mme Guilbault et moi », a réagi le maire de Québec, Bruno Marchand, après avoir appris la nomination de Geneviève Guilbault comme ministre des Transports et de la Mobilité durable. Ce qui veut dire, notamment, que c’est l’ex-ministre responsable de la Capitale nationale qui pilotera au gouvernement les dossiers du troisième lien (qu’elle défend âprement, et que le maire Marchand n’endosse pas pour le moment) et du tramway (qu’elle a pourfendu, alors que le maire le soutient ardemment).
Concernant le troisième lien, il sera intéressant de voir si Geneviève Guilbault concrétisera la promesse de divulguer les études et les données qui diront si le projet est justifié. Jusqu’ici, elle fut l’une des voix appuyant que le projet est nécessaire, parce que… parce qu’on pense qu’il est nécessaire à la Coalition avenir Québec, essentiellement. Celle qui reste aussi vice-première ministre ne manquera pas de travail dans la région de Montréal non plus, avec les dossiers du prolongement de la ligne bleue, du REM de l’Est et de la réfection du tunnel Louis-H. Lafontaine qui tombent dans son assiette.
Fitzgibbon et les autres
L’un des constats entourant ce nouveau cabinet est plus clair que les autres : Pierre Fitzgibbon est bel et bien un « superministre », champion dans la catégorie des poids lourds du conseil. Son nouveau titre fait 25 mots : ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie ; ministre responsable du Développement économique régional ; ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal. C’est beaucoup de pouvoir économique entre les mains du chouchou de François Legault — qui nous répète sans cesse que le « Québec est chanceux d’avoir Pierre Fitzgibbon », malgré les reproches qu’il accumule au bureau de la commissaire à l’éthique.
La décision de jumeler Énergie et Économie vise à faire de la transition énergétique un outil du développement économique. Jeudi, François Legault a tenté de désamorcer la crise qui se profilait depuis la sortie de la grande patronne d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, qui a bruyamment fait valoir qu’on ne peut attirer des entreprises ici sans se soucier de la « facture » énergétique qui vient avec. Dans son discours devant les ministres tout juste assermentés, le premier ministre a indiqué avoir parlé avec Mme Brochu, et assuré que les deux « partagent le même objectif de nous assurer qu’Hydro-Québec évolue de façon ordonnée ».
« Pour atteindre nos objectifs, j’ai décidé de créer un Comité sur l’économie et la transition énergétique, que je vais présider », a-t-il dit. Au sein de ce comité siégera Sophie Brochu, mais aussi les ministres de l’Économie, des Finances, de l’Environnement et des Relations avec les Premières Nations et les Inuit.
En environnement… on continue
« Il faut contribuer à l’effort qui doit être fait partout sur la planète pour lutter contre les changements climatiques. On doit ça […] à nos enfants », a dit François Legault dans son discours de victoire, le 3 octobre. « J’entends le message des jeunes. »
À cet égard, sa décision de reconduire Benoit Charette comme ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (ministère auquel on greffe maintenant la Faune et des Parcs) n’a pas nécessairement rassuré ceux qui espéraient que le nouveau mandat serait différent du premier. Miser sur la continuité, quand on sait que le plan de match actuel du gouvernement ne permettra d’atteindre que la moitié de la cible de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030, donne l’impression que Québec juge que tout va bien. Ni changement de ton ni coup de barre.
Nouvelle ministre, nouvel objectif
Tout le contraire se passe en matière d’immigration. Nouvelle ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette arrive au gouvernement avec une solide feuille de route professionnelle. Elle arrive aussi au moment où François Legault indique vouloir changer de ton dans un dossier qui a plombé sa campagne électorale — on se souviendra de ses propos sur les immigrants et la violence…
« Parmi nos grands défis, il y a l’immigration, a-t-il dit jeudi dans son discours. C’est un défi qui se pose à peu près partout sur la planète. Au Québec, le défi, c’est l’intégration au français. C’est un enjeu qui est vital pour l’avenir du français. Dans le mandat qui commence, je veux qu’on aborde l’enjeu de l’immigration comme une solution pour l’avenir du français, plutôt que comme un problème. On va se concentrer sur l’ajout à la majorité francophone. » La balle est dans son camp !
Nouveaux noms, nouvelles priorités
La manière dont le premier ministre a choisi de regrouper ou de nommer certains ministères permet de mesurer comment certains enjeux évoluent — le cas de Pierre Fitzgibbon illustre le tout avec éclat.
D’autres exemples ? Jusqu’ici, le dossier de l’habitation faisait partie du portefeuille des Affaires municipales. Depuis jeudi, il y a une « ministre responsable de l’Habitation » en bonne et due forme. France-Élaine Duranceau a hérité de ce nouveau poste.
Un peu comme l’a fait le gouvernement fédéral dans les dernières années, les « Affaires autochtones » disparaissent pour devenir « les Relations avec les Premières Nations et les Inuit ». À Ottawa, il y a eu le ministère des « Affaires indiennes », qui est devenu les « Affaires autochtones », puis plus récemment les « Services aux autochtones » et les « Relations Couronne-Autochtones ».
Il y a aussi un nouveau « ministère des Infrastructures » (Jonatan Julien), et un autre qui regroupe la Solidarité sociale avec l’Action communautaire (c’est nouveau). Les Ressources naturelles ne sont plus avec l’Énergie, mais avec les Forêts. À l’inverse, la Faune et les Parcs ne sont plus avec les Forêts, mais avec l’Environnement. Au volet des Transports, on ajoute la « Mobilité durable ». Isabelle Charest, qui s’occupait du dossier « sports » comme ministre déléguée à l’Éducation, est maintenant plus officiellement « responsable du Sport, du Loisir et du Plein air ». On a également scindé l’ancien portefeuille « Travail, Emploi et Solidarité sociale » en trois morceaux distincts.