Une campagne, huit constats

Des propos controversés. Des enjeux qui divisent. Et quatre partis au coude-à-coude dans les sondages. La campagne électorale québécoise de 2022 n’a pas été de tout repos. L’analyse en huit constats de notre chef du bureau politique, Guillaume Bourgault-Côté.

Ryan Remiorz / La Presse Canadienne / Facebook / montage : L’actualité

Comment mettre du suspense dans une campagne électorale où un parti compte 20 points d’avance sur ses adversaires depuis près de trois ans ? Demandez à François Legault de participer, vous aurez déjà l’assurance qu’il va se passer quelque chose. Et c’est bien ce qu’on a eu dans les cinq dernières semaines : beaucoup d’action, malgré le fait qu’il n’y a jamais eu de doute sur l’identité du parti qui formera le prochain gouvernement.

Ce fut animé notamment parce que François Legault a souvent donné l’impression d’être dans cette campagne comme un conducteur automobile qui roulerait en hiver avec des pneus quatre-saisons : jamais en pleine maîtrise et toujours près d’un dérapage. Mais ce fut dynamique aussi à cause de la présence simultanée de cinq caravanes — du jamais vu — qui ont sillonné le Québec en multipliant les engagements (et les attaques). Quoi retenir au terme de ce marathon ? Quelques constats :

François Legault est son pire ennemi.

Il a amorcé la campagne en refusant de nommer Dominique Anglade — cheffe du Parti libéral, tout de même — autrement que par le très générique « cette madame ». Aux nombreuses critiques sur son nébuleux projet de troisième lien, il a répondu qu’il « faut que les gens de Montréal arrêtent de regarder de haut les gens de Québec et de Lévis », alors que le maire de la capitale exprime ouvertement son scepticisme.

À ceux qui s’inquiètent des distorsions du système électoral actuel (qui paraissent particulièrement évidentes cette année), il a répondu que le sujet de la réforme du mode de scrutin — dont il a déjà été un défenseur — n’intéresse que « quelques intellectuels », et qu’il n’y avait pas lieu d’y revenir parce qu’il n’y a « personne qui se bat dans les autobus pour ça ». Le racisme à l’hôpital de Joliette ? C’est réglé. L’immigration ? C’est compliqué, et ça a été le grand fil conducteur des controverses qui ont marqué la campagne de François Legault.

Celui-ci a ainsi donné l’impression qu’en l’absence d’un adversaire clair pour lui donner du fil à retordre, il avait décidé de jouer lui-même le rôle. Plusieurs se demandaient si François Legault allait tenter d’imiter son collègue ontarien Doug Ford, qui a mené en juin une campagne effacée, très disciplinée, et dont le principal objectif semblait être d’éviter tout faux pas. Ce fut plutôt le contraire au Québec.

Un mouchoir de poche, c’est grand.

Nous verrons lundi soir dans quelle mesure les différents sondages auront vu juste en mettant presque sur un pied d’égalité les quatre partis d’opposition. Reste que la situation qui se profile est unique. En date du 28 septembre, la moyenne des sondages telle que compilée par le site Qc125 donnait le Parti québécois à 14 %, les conservateurs et les solidaires à 15 %, et les libéraux à 16 %. Il y a une triple égalité en deuxième ou en troisième place, c’est selon.

En tenant compte de la marge d’erreur, retenons surtout que tous les gens qui ne sont pas caquistes se trouvent dans le même mouchoir de poche. Ça fait pas mal de monde, car le vote de quelque 60 % des Québécois pourrait ne faire élire que le quart des 125 députés.

Ce coude-à-coude général et le mode de scrutin actuel ont donc pour effet d’assurer à la Coalition Avenir Québec une plus grande majorité qu’en 2018, avec essentiellement la même part des voix, entre 37 % et 38 %.

Même entre les partis d’opposition, la lutte est inégale. À moins d’une surprise lundi — et tout est possible, la parole appartient aux électeurs —, les libéraux semblent avoir de bonnes chances de conserver leur statut d’opposition officielle, alors que les conservateurs pourraient ne faire élire personne.

La « machine » libérale porte mal son nom.

Il y a eu ce début de campagne bringuebalant alors qu’il manquait encore plusieurs candidats — malgré le fait que la date des élections était connue depuis des années. La cheffe qui fait campagne dans une de ces circonscriptions orphelines. Des candidats qui se désistent, et un autre qui est à l’étranger.

Il y a eu aussi ce trou de près de 16 milliards dans les calculs du cadre financier, pourtant validé par l’ancien ministre des Finances, Carlos Leitão. L’erreur est humaine, a-t-on plaidé (elle était aussi mathématique, plus concrètement). Mais pour une formation qui voulait regagner son titre de « parti de l’économie », ce n’était pas optimal. De même, la difficulté à expliquer d’où viendra l’électricité nécessaire pour alimenter le projet phare de la plateforme (ÉCO, sur l’hydrogène vert) n’a pas beaucoup mieux paru.

Ainsi, Dominique Anglade a eu beau mener personnellement une campagne dynamique, les différents couacs de celle-ci — souvent liés à l’organisation du parti, pourtant réputée pour son efficacité dans le passé — l’ont sans cesse ralentie.

Le résultat net est que ça n’a jamais décollé. Au contraire. Et la fracture apparue en 2018, tant sur le plan linguistique (les francophones ont déserté les libéraux) que géographique (les appuis sont concentrés dans l’ouest de l’île de Montréal), paraît plus grande que jamais aujourd’hui.

Le Parti québécois n’est pas mort.

Personne ne donnait cher de la peau du Parti québécois au début de la campagne. À quelques jours du scrutin, le sort de la formation demeure imprécis : selon les projections, le PQ a de bonnes chances de remporter trois circonscriptions, mais qui sait si la progression du parti dans les derniers sondages ne permettra pas d’ajouter quelques surprises ? Chose certaine, pour les péquistes, la campagne a ravivé des espoirs — et elle a mis en sourdine une partie des critiques annonçant la mort de la formation. Dans le bilan statistique de la campagne, on notera d’ailleurs que seul le PQ a fait de véritables gains dans les appuis depuis la fin août.

On pourra faire valoir qu’il est plus facile de progresser quand on part de presque rien, mais n’empêche que la tendance est positive. Paul St-Pierre Plamondon avait en début de campagne un taux de notoriété se situant dans la marge d’erreur avec zéro. Mais le chef a su faire bonne impression auprès du public, notamment lors des deux débats. Personne ne s’attendant à ce que le PQ prenne le pouvoir, il a pu recadrer le message autour du grand thème qui unit les péquistes — celui de l’indépendance (et de la défense du français).

Il est encore tôt pour parler de la renaissance du parti de René Lévesque. Après tout, malgré sa remontée, la formation se trouve en deçà des appuis obtenus en 2018 (qui représentaient les pires résultats électoraux de son histoire en pourcentage du vote). Mais le simple fait d’avoir démontré que le cœur du PQ bat toujours est déjà une petite victoire pour Paul St-Pierre Plamondon. Qui doit croiser fortement les doigts pour remporter son siège dans Camille-Laurin lundi…

À cet égard, il peut dire un grand merci à la candidate solidaire qui a dû se désister pour cause de « vol de dépliants péquistes dans les boîtes aux lettres » : elle a rendu une victoire de Paul St-Pierre Plamondon plus probable. À tout le moins, cela a mis du piquant dans la fin de campagne.

Promouvoir des taxes, c’est compliqué.

Gabriel Nadeau-Dubois promettait la campagne la plus ambitieuse de la jeune histoire de Québec solidaire, et ce fut le cas. Celui que François Legault a très ouvertement désigné comme son principal adversaire (c’était évident dans les débats — et cela a bien servi les deux) a été au cœur de l’action du début à la fin de la campagne. C’est déjà un constat : Québec solidaire compte plus que jamais dans la hiérarchie politique québécoise, et les talents du chef-co-porte-parole sautent aux yeux.

La formation a aussi présenté une plateforme plus étoffée que lors des dernières élections. Son cadre financier se tient. Son plan de lutte contre les changements climatiques restera une contribution importante — comme celui du Parti québécois, d’ailleurs, les deux formations abordant cet enjeu avec sérieux. Mais il y a aussi dans la plateforme des lacunes qui, attention médiatique oblige, ont été mises en lumière : un manque de détails (et, donc, de crédibilité) pour définir comment on pourrait atteindre les objectifs ambitieux que propose Québec solidaire.

La Coalition Avenir Québec a ainsi eu beau jeu de réduire à une menace de « taxe orange » les propositions d’instaurer un impôt sur les « grandes fortunes » (qui s’appliquerait aux gens qui ont un actif net de plus d’un million de dollars), d’imposer un impôt de 35 % sur les successions (quand elles dépassent un million) et d’imposer une taxe « malus » sur l’achat de certains véhicules polluants. Dans les trois cas, Gabriel Nadeau-Dubois a raison de dire qu’il s’attaque à une forme de « tabou », et de déplorer le fait qu’on a beaucoup plus parlé des gens qui s’inquiètent d’être millionnaires sans le savoir, plutôt que de ceux « qui arrivent à la retraite et qui n’ont pas une cenne ».

Mais encore aurait-il fallu pouvoir expliquer plus clairement comment ces mesures allaient être appliquées, pourquoi on a tracé la ligne à tel ou tel seuil, etc. La volte-face par rapport aux terres agricoles (qui ne seraient finalement pas calculées dans la valeur de l’actif) démontrait qu’on a pris quelques raccourcis en rédigeant cet engagement. Cela dit, le débat a été lancé, restera à le faire évoluer.

Que réserve la soirée électorale pour Québec solidaire ? Les stratèges risquent d’être assis tout au bout de leur chaise. On semble se diriger vers des appuis semblables à ceux obtenus en 2018, mais beaucoup d’incertitudes demeurent. Quelques points de plus, ou de moins, auront une grande incidence sur le nombre de circonscriptions obtenues. La participation électorale des jeunes sera cruciale. Les luttes serrées dans Sherbrooke, Rouyn-Noranda–Témiscamingue et Jean-Lesage diront beaucoup de la force d’implantation de Québec solidaire à l’extérieur du centre de Montréal. Voilà des mois que l’on parle du fait que QS arrive à un carrefour de son histoire : c’est maintenant que ça se joue.

Étoffer un programme, c’est compliqué (bis).

Carte mystère dans cette campagne électorale, Éric Duhaime arrive en bout de parcours avec un bilan en demi-teinte. Les sondages montrent que le Parti conservateur a réussi à maintenir, voire à renforcer légèrement, les appuis obtenus depuis son élection à la direction du PCQ. Il y a donc visiblement plus que la colère anti-mesures sanitaires qui porte ce mouvement, et cet élément rassurera Éric Duhaime pour la suite des choses.

Son discours de droite assumé — réduction de la taille de l’État, priorité aux libertés individuelles, désintérêt pour la lutte contre les changements climatiques, place du privé en santé, etc. — trouve une résonance semblable à celle que générait l’Action démocratique du Québec en son temps. Mais Éric Duhaime n’a pas cherché à présenter plus que des concepts généraux durant la campagne : ses réponses sont le plus souvent évasives quand vient le temps d’expliquer. Il contourne les obstacles avec un sens de la répartie certes incisif, mais pas très éclairant pour l’électeur.

Cela fonctionne… à moitié. Si les sondages évaluent bien les appuis aux conservateurs, on doit conclure qu’ils stagnent depuis un moment. Et aussi qu’ils restent concentrés dans une région (Québec, sa Rive-Sud et la Beauce) où la CAQ domine encore largement. Aussi le principal défi d’Éric Duhaime — faire élire au moins un député pour avoir une voix à l’Assemblée nationale — paraît-il encore incertain.

L’immigration, c’est une richesse, mais dangereuse.

Côté contenu, comme en 2018, le dossier de l’immigration aura été la « patate chaude » de la campagne de François Legault. Il y a quatre ans, sa méconnaissance du processus d’immigration au Canada l’avait mis dans l’embarras. Cette année, ce sont divers propos sur les dangers que représenterait l’immigration qui ont marqué les esprits — et provoqué de vives réactions de ses adversaires.

Il y a eu l’épisode sur la menace aux valeurs québécoises, le 7 septembre : « Les Québécois sont pacifiques. Ils n’aiment pas la chicane. Ils n’aiment pas les extrémistes. Ils n’aiment pas la violence. Donc, il faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est là », avait-il dit en plaidant pour que les seuils d’immigration restent au même niveau. Le lendemain, il rectifiait le tir : « L’immigration est une richesse pour le Québec. […] Je n’ai pas voulu associer l’immigration à la violence. » Le sujet est « délicat », disait-il, mieux vaut ne pas trop en parler. Et pourtant…

Quatre jours plus tard, il parlait de l’immigration non francophone comme d’une menace pour la « cohésion nationale » au Québec. Et cette semaine, il a affirmé : « Tant qu’on n’aura pas stoppé le déclin du français, je pense que pour la nation québécoise qui veut protéger le français, ce serait un peu suicidaire d’aller augmenter » les seuils d’immigration.

L’impression que les caquistes ne sont pas à l’aise avec ce thème a aussi été renforcée par des propos tenus il y a une semaine par Jean Boulet. Celui qui est toujours ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration a soutenu dans un débat local organisé par Radio-Canada que « 80 % des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ». Comme l’a résumé François Legault, c’est « complètement faux » — et M. Boulet s’est « disqualifié » pour être reconduit dans ses fonctions, a-t-il ajouté. Jean Boulet s’est excusé, en faisant lui aussi valoir que l’immigration est une « richesse ». Ce qui, dans un discours caquiste visiblement décomplexé sur cette question, ne paraît pas toujours.

Le troisième lien n’unit personne.

On se doutait que le projet de troisième lien entre Lévis et Québec serait partie prenante de la campagne électorale — mais à ce point ? Il n’y a pratiquement pas eu une journée sans que le dossier soit évoqué dans une caravane ou l’autre, et surtout dans celle qui suivait François Legault.

À travers toutes les questions posées et les révélations ici et là, un grand constat : on n’a pas appris grand-chose de neuf, outre que tout est plus clair maintenant. François Legault a confirmé qu’il n’avait pas en main d’étude justifiant le projet, même si l’on sait que différentes études sont en cours. Le premier ministre sortant a aussi maintes fois répété que la CAQ « pense » qu’un tunnel est nécessaire, ou qu’il doit avoir quatre voies. Au final, a-t-il également dit, son gouvernement prendra une « décision politique » pour trancher, peu importe ce que diront les études commandées. Ces éléments — l’absence d’assises scientifiques, l’impression que le projet n’est justifié que par la volonté caquiste de le faire — formaient déjà la trame de fond de ce qui nourrit le mouvement de contestation du troisième lien depuis des années.

Toujours dans le même dossier, on retiendra par ailleurs les efforts des conservateurs pour faire mousser l’idée qu’il faut plutôt construire un pont partant de la Rive-Sud et aboutissant sur l’île d’Orléans. Éric Duhaime souhaite ensuite planter une « espèce d’autoroute qui va passer dans le champ » pour rejoindre le nouveau pont de l’île qui va vers la Rive-Nord, dont les travaux préparatoires débutent. Le tout est très sommaire, mais bon, on comprend l’idée.

À l’opposé du spectre, les propositions du Parti québécois (un train léger qui passerait par un tunnel exclusif), de Québec solidaire (pas de tunnel, mais l’implantation d’un service rapide par bus passant par le pont de Québec) et du Parti libéral (une ligne de tramway qui relierait Québec et Lévis, mais ce serait aux experts de déterminer de quelle façon) sont entièrement tournées vers le transport en commun.

Les commentaires sont fermés.

Les parties politique n’ont jamais mentionné combien ça prends de gens quand un immigrant entre au pays. Il faut donner des services, un professeur, un médecin’ un logement’ un épicier, un pharmacien, un optométriste, service de garde, et etc …. Il faut être conscient de cela. Il manque d’employé partout donc comment pouvons nous donner ces services. Il serait souhaitable qu’il y ait une étude et ça pourrait aider à évaluer combien d’immigrants nous pouvons accueillir.

Je suis d’accord… Et sur un plan bien personnel, il va de soi que quiconque invite une personne à sa table fera des efforts non seulement pour mieux la connaître mais pour bien la recevoir. Or, il arrive présentement que certains « forcent » la porte… Comment peut-on bien faire? Nos énergies sont déviées et beaucoup de règles sont bafouées… Je sais que la vie de ces personnes n’est vraiment pas rose… J’ai surtout beaucoup de difficultés à comprendre l’attitude du gouvernement fédéral… Je me demande parfois à quoi il sert vraiment…

L’élection envoie un message clair au gouvernement et aux immigrants. À Legault et son ministre Boulet : peu importe ce qui vous dites sur les immigrants, on s’en fout pas mal. Surtout parce que les immigrants sont concentrés à Montréal, la seule région qui reste debout face au tsunami caquiste. Puis aux immigrants : oui, on vous tolère, mais ne vous aime pas trop non plus. En fait, je crois qu’on nous considère un mal (peut-être) nécessaire. Pas de xénophobie, loin de là, mais un malaise bien ancré dans les perpétuelles questions identitaires des Québécois. Comment résoudre ce problème? Moi, je dirais de fermer la porte à l’immigration pour quelques années, le temps de trouver une réponse qui fasse consensus à la question : Pourquoi avons-nous besoin d’immigration? Et, surtout, qu’est-ce que la capacité d’accueil du Québec? Un débat pas géré par des politiciens, mais par des spécialistes en économie, démographie, études culturelles…