Une domination totale

La CAQ laisse peu d’air à tous ses adversaires, qui forment l’opposition la plus divisée de l’histoire du Québec. À telle enseigne que certains risquent l’asphyxie.

montage : L’actualité

Les analystes de sondages aiment répéter qu’« il faudra de nouveaux coups de sonde pour vérifier si ces tendances se maintiennent »… Devant l’inconnu, le scientifique se bute naturellement à des murs d’incertitude.

Le dernier sondage Léger sur la politique au Québec (publié le 11 mars dans Le Journal de Montréal / Le Journal de Québec) fait partie de ces enquêtes d’opinion publique qui confirment les tendances.

Avec 41 % d’appui dans l’ensemble du Québec, la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault semble avoir trouvé une nouvelle vitesse de croisière depuis la glissade observée en janvier. Les Québécois se rangent moins derrière leur gouvernement qu’au début de la pandémie (on mesurait des taux d’approbation stratosphériques de plus de 85 %…), mais la CAQ demeure en bonne position pour sa réélection dans six mois. C’est même du jamais vu en plus de 30 ans. Il faut retourner à 1989, avant la réélection de Robert Bourassa face à Jacques Parizeau, pour assister à une telle domination du parti au pouvoir des mois avant les élections générales.

Selon les données actuelles, non seulement la CAQ se maintient au-dessus de son résultat électoral de 2018, mais elle fait face à une opposition qui n’a jamais été aussi divisée. Les deux partis qui ont dirigé le Québec en alternance de 1970 à 2018 sont même en déroute. La dominance de la CAQ s’explique donc à la fois par sa bonne performance dans les sondages (et les hauts taux de satisfaction à l’égard du gouvernement) et par des chiffres absolument désastreux pour le Parti libéral du Québec (PLQ) et le Parti québécois (PQ).



Selon la dernière mise à jour Qc125, la CAQ est projetée comme favorite dans 97 circonscriptions. Elle balaie presque l’entièreté du 450, de la Mauricie, du Centre-du-Québec, de l’Estrie, de l’Abitibi et de la région du Saguenay. La baisse détectée du PLQ de Dominique Anglade fait même miroiter la possibilité que la CAQ réalise une percée à Montréal et à Laval. Dans la Capitale-Nationale et sa voisine Chaudière-Appalaches, malgré les chiffres intéressants du Parti conservateur du Québec (PCQ) d’Éric Duhaime, la CAQ aurait raflé une forte majorité de sièges si le scrutin avait eu lieu cette semaine. De plus, la chute des appuis au PQ ouvre la porte à une potentielle percée de la CAQ dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie.

C’est donc une domination totale.



Que resterait-il alors aux partis d’opposition? Le PLQ de Dominique Anglade ne récolte que des miettes chez les électeurs francophones (11 % selon Léger). Devant un tel champ de ruines, le PLQ serait balayé du Québec francophone. Il devra même atteindre des résultats records auprès des non-francophones s’il veut sauver certains de ses acquis montréalais, comme Anjou—Louis-Riel, Maurice-Richard et Verdun. Hors de l’île, seules les circonscriptions de Pontiac en Outaouais et de Chomedey à Laval resteraient libérales.

La cheffe libérale pourra difficilement contrer la marée. Dominique Anglade est moins populaire que son parti, perçue comme la meilleure candidate au poste de première ministre par seulement 9 % des répondants, dont un maigre 4 % chez les électeurs francophones. Une remontée à court terme semble donc improbable. Même auprès des électeurs du PLQ, Dominique Anglade n’est la favorite que de 45 % des répondants.

Comme mentionné dans une récente chronique, les chiffres actuels ne montrent aucune progression notable de Québec solidaire (QS) depuis les élections de 2018, où le parti avait plus que doublé ses parts de suffrages par rapport au scrutin de 2014. Selon Léger, QS reçoit 14 % des intentions de vote, et le chef parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois inspire comme candidat au poste de premier ministre le même pourcentage de Québécois.

À 10 %, les choses ne s’améliorent pas pour le Parti québécois. Non seulement la formation de St-Pierre Plamondon s’est fait dépasser par le PCQ, mais le chef conservateur Éric Duhaime obtient déjà des résultats plus favorables que ceux du chef péquiste parmi ses propres électeurs. Duhaime est ainsi le choix comme meilleur candidat au poste de premier ministre de 86 % des électeurs du PCQ ; St-Pierre Plamondon est celui de seulement 31 % des péquistes. Auprès de la population générale, St-Pierre Plamondon se bat avec la marge d’erreur : seuls 3 % des électeurs le perçoivent comme le meilleur éventuel premier ministre.

Une victoire à l’élection partielle dans Marie-Victorin, le 11 avril, pourrait malgré tout donner un nouvel élan aux troupes indépendantistes. Toutefois, à moins que cette circonscription ne soit un écosystème politique distinct du reste du grand 450 ou qu’il n’y ait un « effet Nantel » important (impossible à détecter dans des sondages nationaux), cela paraît peu probable. Les taux de participation anémiques aux élections partielles rendent ces exercices démocratiques difficiles à prédire. D’ailleurs, lors de la dernière partielle dans Marie-Victorin en 2016 (après le départ de Bernard Drainville), seulement 26 % des électeurs inscrits avaient exercé leur droit de vote. Alors, si les électeurs péquistes se rendent en masse aux urnes pour appuyer Pierre Nantel, il pourrait causer la surprise et offrir à son nouveau parti une rare bonne nouvelle.

Toutefois, le PQ doit aussi regarder dans son rétroviseur, car non seulement le PCQ d’Éric Duhaime a grimpé rapidement dans les intentions de vote depuis l’automne, mais l’annonce du retrait graduel des mesures sanitaires par le gouvernement Legault ne semble pas avoir érodé les appuis au PCQ. Avec près du quart des électeurs de la région de Québec enclins à voter pour l’ancien chroniqueur et animateur radio vedette de cette région, le PCQ est compétitif dans une demi-douzaine de circonscriptions autour de la Capitale-Nationale et en Beauce.

Le PCQ peut-il dépasser le Parti québécois en suffrages et en sièges cet automne ? Une telle possibilité n’était même pas sur l’écran radar des analystes il y a quelques mois à peine. Elle doit désormais être envisagée.

La question est maintenant de savoir si Duhaime pourra transformer ces appuis (encore théoriques) en bulletins de vote dans les urnes, ou si le PCQ n’aura été qu’un éphémère mouvement de protestation antisystème, propulsé par les réactions de certains citoyens à la crise sanitaire de la dernière année et cantonné au Web.