Une odeur d’inflation… et d’élection

Finalement, il n’y aura pas de chèque : c’est par un crédit d’impôt remboursable que le ministre des Finances soulagera les Québécois des méfaits de l’inflation. Un choix qui donne le ton d’un budget bâti pour permettre au gouvernement de se rendre… jusqu’aux élections. L’analyse de notre chef de bureau politique.

Jacques Boissinot / La Presse Canadienne, montage : L’actualité

Pour mesurer l’importance que le thème de l’inflation a prise en quelques mois, une illustration : dans le budget présenté en mars 2021, on faisait mention du terme dans un grand total de… deux pages. Or, dans le plan budgétaire de cette année, plus de 30 pages abordent la question qui motive la mesure-vedette de ce dernier budget du ministre Eric Girard.

En temps normal, un gouvernement qui promet six mois avant une élection une somme d’argent fixe à pratiquement tous les Québécois — quelque 6,4 millions de contribuables (sur 6,8 millions) auront droit aux 500 $ promis mardi — aurait de la difficulté à nier que son budget est électoraliste. Mais quand il s’est fait demander ce qu’était un budget électoraliste durant le huis clos médiatique, Eric Girard a trouvé le moyen de répondre : « Je ne pourrais pas vous dire, je n’en ai jamais fait… ».

Il s’est aussi défendu d’offrir un budget trop généreux : il prévoit des investissements additionnels de 22 milliards de dollars sur cinq ans. Or, un « budget standard » inclut généralement des investissements de 15 milliards, a rappelé M. Girard.

Mais voilà : il n’y a rien de standard dans la période de « grande incertitude » que nous traversons. « On ne sait pas comment la pandémie peut évoluer, l’inflation est importante en ce début d’année et les banques centrales effectuent un resserrement de leur politique monétaire », a observé le ministre au début de son discours à l’Assemblée nationale. C’est tout ? Non, bien sûr, parce qu’il y a aussi cette guerre en Ukraine qui, au-delà de ses impacts humains, a aussi des impacts économiques — sur la croissance économique mondiale, sur les prix de l’énergie et des autres matières premières, sur les produits agricoles.

De manière immédiate et concrète, c’est l’inflation qui a un effet dans la vie des Québécois. Et la réponse du gouvernement à ce phénomène est du même ordre : immédiate et concrète… Ce qui veut aussi dire qu’il faudra faire autre chose plus tard si la situation perdure. Il n’y a ici rien de structurant pour prévenir à plus long terme l’appauvrissement des Québécois.

La mesure choisie par le ministre Girard pour aider à faire face à la hausse du coût de la vie est toute simple : un montant ponctuel de 500 $ sera versé aux adultes ayant un revenu net de 100 000 $ et moins (la mesure diminue ensuite, et disparaît pour ceux qui font plus de 105 000 $). Cela place donc sur le même pied un parent monoparental qui fait 40 000 $, et quelqu’un qui peut déclarer un revenu net de 100 000 $ après avoir versé 20 000 $ dans son REER… Un couple dans cette situation touchera ainsi 1000 $ pour 200 000 $ de revenus nets.

Pourquoi donc ce mécanisme uniforme ? Le ministre Girard attendait la question et avait placé un marque-page dans son document en vue de la conférence de presse. La page B9 détaille en effet le calcul utilisé pour en arriver au 500 $. C’est à la fois précis et… aléatoire. On a essentiellement pris l’indicateur de la Mesure du panier de consommation (logement, alimentation, vêtements, transport), fait une estimation de l’impact de l’inflation sur un « panier » d’environ 22 000 $, et arrondi à la hausse le résultat (432 $).

Quant à la limite de 100 000 $, elle est tout à fait arbitraire, a reconnu le ministre. « On a tranché. Il fallait tracer une ligne. » Mais ainsi tracée, la ligne a l’avantage d’inclure 94 % des contribuables…

De la même manière, il a été décidé que tout le monde aurait droit au même montant, parce que l’inflation touche tout le monde. Ce n’est pas faux, mais c’est aussi une évidence qu’elle ne touche pas tout le monde de la même manière. Au total, la mesure coûtera 3,2 milliards.

Contrairement à la première mesure d’aide annoncée dans la mise à jour de novembre dernier pour faire face au coût de la vie (jusqu’à 275 $ pour 3,2 millions de Québécois à plus faibles revenus), il n’y aura pas de chèque à proprement parler dans ce cas-ci. Dans les faits, cela prendra la forme d’un crédit d’impôt remboursable — ce qui veut dire que pour toucher l’argent, il faut remplir sa déclaration — et que le remboursement se fera au cours de l’été, juste avant les élections…

Pour les partis d’opposition, cette mesure d’aide définit parfaitement le sens d’un budget qui est « purement électoraliste », selon l’ancien ministre libéral des Finances, Carlos Leitao. « On repousse les limites de l’électoralisme », a ajouté le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon. « Bienvenue dans la campagne électorale ! », a raillé la solidaire Manon Massé. La conservatrice Claire Samson a vu dans l’exercice la présentation du cadre financier électoral de la prochaine campagne de la CAQ…

Tout de même : ne retenons pas que cela de ce budget. Parce qu’il y a encore :

Des missions essentielles soutenues

Près de 8,9 milliards pour « rétablir » le système de santé (la fameuse « refondation » promise par le ministre Christian Dubé) ; 2,8 milliards d’investissements en éducation et en enseignement supérieur ; 4,2 milliards en diverses mesures pour stimuler la croissance économique : le dernier budget Girard confirme les précédents. C’est-à-dire que le gouvernement Legault aura été constant à soutenir les grandes missions de l’État durant son mandat.

Pour les trois prochaines années, le taux de croissance annuel moyen des différents portefeuilles (en excluant les mesures liées à la COVID) s’élèvera par exemple à 6,9 % pour la Santé et les Services sociaux et 6 % pour l’Éducation — les autres portefeuilles verront une croissance moyenne de 8,6 %. On est quand même loin du désengagement craint par plusieurs à l’arrivée au pouvoir du gouvernement caquiste… Le Plan québécois des infrastructures 2022-32 atteint 142,5 milliards, une augmentation de 7,5 milliards par rapport à l’an dernier.

Sur le plan social et culturel, le budget Girard prévoit des sommes importantes : 634 millions pour faciliter l’accès à un logement de qualité et abordable (ce qui reste nettement insuffisant par rapport aux besoins) ; 258 millions pour le secteur culturel ; et surtout, 2,2 milliards pour renforcer l’action des organismes communautaires et soutenir les « collectivités » — les femmes victimes de violence conjugale, les communautés autochtones, etc..

L’économie va bien

Malgré le contexte global, l’économie québécoise se porte bien — c’est un des constats de fond de ce budget. Après avoir reculé de 5,5 % en 2020, le PIB réel a fait le chemin inverse en 2021 (+6,5 %). Le gouvernement prévoit une croissance économique de 2,7 % en 2022 (une estimation plus prudente que le secteur privé, qui l’évalue à 3,1 %). L’an dernier, le budget prévoyait un déficit structurel de 6,5 milliards en 2026-27 : ce chiffre est maintenant évalué à 2,8 milliards.

Le gouvernement prévoit toujours le retour à l’équilibre budgétaire d’ici 2027-2028, et cela se fera « sans que les citoyens s’en rendent compte », assure le ministre. Il a ajouté dans son discours que « le chemin de l’équilibre budgétaire est tracé, sans austérité d’aucune sorte »… une petite pointe à son prédécesseur libéral.

Le cadre financier inclut aussi des « provisions pour risques économiques » — une réserve d’urgence, en d’autres mots — de 8,5 milliards, des versements au Fonds des générations croissants et un financement « stable et prévisible » des grandes missions de l’État. Autant de « bases solides » pour anticiper les « incertitudes qui planent sur l’économie mondiale », assure-t-on.

L’environnement : oui, mais…

Sur le front environnemental, le budget Girard ajoute un milliard aux 6,7 milliards prévus pour mettre en œuvre le Plan pour une économie verte 2030. C’est le programme qui rassemble les « actions concrètes » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour lutter contre les changements climatiques. À cela s’ajoutent aussi 357 millions pour la transition énergétique et la valorisation de milieux contaminés.

Suffisant? Non, ont tous fait valoir les partis d’opposition après la présentation du ministre. Parce qu’on remarque dans le Plan québécois des infrastructures (PQI) que le réseau routier aura droit à 30,6 milliards d’ici 10 ans, alors que le transport collectif aura droit à 13,3 milliards.

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C’est cela, du nenan pour tous, mais peu pour les écoles les hôpitaux et la formation de personnel complétant. Ensuite, on se plaindra du manque de personnel, du décrochage et de l’indigence des démunis. Pour qui voterais-je?